Mme Line Beauchamp, ministère du Développement durable de l’Environnement et des Parcs
Madame la ministre, au nom des membres de la Coalition, je vous félicite pour votre nomination à titre de ministre de l’Environnement et souhaite vraiment que, pour vous, le mot environnement englobe le mot santé publique. J’espère aussi que vous apporterez un vent d’espoir à vos fonctionnaires souvent désabusés par ce ministère démuni et malmené. Vous serez ma dixième ministre de l’Environnement et j’espère, encore, que vous considérerez avec fierté cette nomination et non pas, comme bien de vos prédécesseurs, une « démotion ».
J’ignore si vous le savez, mais la tâche sera lourde. Vous êtes responsable d’un ministère mal-aimé qui, depuis 1998, perd 20 millions $ par année parce que son budget n’est pas indexé au dollar constant et représente un famélique 0,03 % du budget de la province. Lors du dernier budget appliqué par votre gouvernement, votre ministère a coupé dans des programmes importants pour financer les organismes de bassin versant; ces organismes méritent mieux et cette situation nous préoccupe au plus haut point.
La Coalition que je représente s’impatiente de l’apathie de la classe politique face à la « Politique nationale de l’eau ». D’ailleurs, votre gouvernement a été vilipendé à ce sujet par la Vérificatrice générale du Québec en décembre 2003, puis en 2006, pour l’incurie de l’État et sa méconnaissance dans le domaine de la gestion des déchets. Encore en 2007, notre propre analyse dévoile que cette politique (PNE) n’a jamais connu de plan d’action, ni de budget spécifique pour se concrétiser.
Dois-je vous apprendre qu’au Québec en cas de pénurie d’eau, une mine a préséance sur un hôpital ? Dois-je vous apprendre aussi que le manque de financement des infrastructures dans le domaine de l’assainissement des eaux usées crée des problèmes importants de santé publique ? La solution de financement des infrastructures avancée par le Parti Libéral du Québec et soutenue par la loi 134 et ses partenariats publics-privés n’a rien réglé, au contraire. Ces partenariats sont inopérables et coûteux. Les maires des villes qui l’ont bien compris, n’en veulent pas, sauf si le ministère des Affaires municipales s’ingère avec insistance.
La privatisation de la gestion de l’eau est une solution inacceptable pour la Coalition Eau Secours !
Madame la Ministre, il est temps que le monde de l’environnement reçoive quelques messages d’espoir. Nous vous demandons de poser rapidement quelques gestes concrets qui ne coûteront rien à l’État :
Légiférer pour qu’il ne soit plus possible de mettre en marché des toilettes avec des réservoirs de plus de 6 litres au Québec (économie d’eau);
Obliger les embouteilleurs d’eau à appliquer les mêmes règles sur la qualité d’eau en vente libre que vous exigez pour la distribution de l’eau au robinet par les villes (qualité de l’eau potable);
Empêcher la vente de bouteilles en plastique non réutilisables (déchets);
Refuser de donner des permis de pollution à des entreprises lorsque votre ministère ignore l’impact qu’aura le rejet à l’eau des résidus de chimie de synthèse, ou si l’entreprise ne prévoit pas de moyen pour résoudre elle-même ses pollutions. Cela se nomme principe de « précaution » en faveur de la santé publique.
Et finalement, ce qui ne coûte absolument rien, modifier le credo de votre ministère afin de passer de celui d’accompagnateur aux promoteurs-pollueurs à celui de novateur en faveur de la qualité de vie des citoyens et citoyennes, tel que spécifié dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, (Chapitre IV Droits économiques et sociaux 2006 c3, a.19 « Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité ».
Madame la Ministre, ce serait irresponsable de ma part de vous laisser croire que les sujets énumérés ci-haut font le poids face à une situation environnementale laissée en friche par vos prédécesseurs. Si vous avez l’intention d’orienter votre ministère, comme son nom le dit, dans l’axe du développement durable et endurable, voici quelques dossiers qui méritent votre attention :
Déposer rapidement le plan promis par votre prédécesseur qui devait, selon lui, faire cesser la prolifération des algues bleues (cyanobactéries) dans les lacs et baies du Québec. Les citoyens seuls ne parviendront pas à enrayer le problème : l’expertise, le contrôle, le leadership et les ressources financières dans ce dossier sont des devoirs de votre ministère.
Combattre la prolifération des trihalométhanes dans l’eau potable, car nous savons maintenant que 20 % des cancers du foie leur sont attribués.
Construire des usines d’assainissement des eaux avec les villes qui n’en ont pas et qui déversent leur pollution à la rivière. De la même façon, contribuer au financement de bassins de rétention pour les usines sujettes aux surverses d’égouts.
Convaincre les ministères du Transport et des Affaires municipales d’appliquer, à la grandeur du Québec, la logique du « tiers inférieur » dans le creusage des fossés le long des routes. Il est maintenant prouvé que l’apport de sédiments dans nos lacs et rivières provient entre autres de ces rigoles qui, lors de grandes pluies, transportent des particules de terre.
Poser un geste de décentralisation démocratique en permettant aux villes d’accepter ou non des porcheries sur leur territoire en fonction des charges de phosphore par bassin versant.
Faire cesser les activités des promoteurs immobiliers dans les milieux humides qui sont les filtres naturels (ça ne coûte rien) de nos nappes d’eau souterraine.
Connaître enfin l’état de nos réserves d’eau souterraine et leur temps de recharge avant d’accorder de nouveaux permis de captage d’eau. Nous ne parlons pas ici des très utiles travaux de la Commission géologique du Canada, mais d’études sur les connaissances municipales qui pourraient servir à orienter les schémas d’aménagement du territoire.
Après 40 ans de tergiversations et de négociations secrètes, trouver une meilleure solution que la reddition des droits de l’État aux bénéfices des propriétaires et pollueurs des Lagunes de Mercier en Montérégie.
Refinancer les groupes environnementaux locaux, régionaux et nationaux, maintenant que le ministère a économisé durant les quatre dernières années sur dos des bénévoles et des associations de protection des lacs et rivières.
Le 23 avril dernier, le premier ministre du Québec m’apprenait par lettre qu’il vous transférait le dossier de la continentalisation de l’eau en Amérique. Je vous incite à partager cette juridiction avec l’ensemble des partis politiques du Québec. Car, même avec le ministre des Affaires intergouvernementales, votre ministère n’aura pas le poids nécessaire devant l’ « establishment » canadien du Conference Board of Canada et autres groupes de pression économique.
Je reviens aux demandes nécessitant quelques petites réglementations et qui ne coûteront rien au trésor public. J’insiste, car déjà le premier ministre a annoncé qu’il s’apprête à faire un cadeau fiscal à la classe moyenne. Cette annonce nous indique clairement que votre ministère restera désargenté.
Nous vous suggérons donc d’inviter le Conseil des ministres à effectuer cette remise d’impôt dès que le ministère des Affaires municipales aura terminé la mise en place des normes découlant du règlement sur la qualité de l’eau potable adopté en 2001, et qui oblige la filtration de l’eau pour contrer certaines pathologies de santé publique, sources d’une grande fréquentation dans les urgences d’hôpitaux et cliniques sans rendez-vous. Il est grandement temps aussi d’intervenir pour que plusieurs villes de la Côte-Nord et de l’Abitibi/Témiscamingue accèdent enfin à de l’eau potable de qualité, elles qui attendent des décisions gouvernementales depuis 10 ans maintenant.
Malgré la lourdeur du constat, nous vous souhaitons la bienvenue dans le monde de l’environnement qui est, encore aujourd’hui, aux prises avec une classe politique qui croit toujours possible de dompter et d’exploiter la nature. Une erreur de paradigme, une erreur philosophique et économique selon nos analyses. Cela dit, vous pouvez compter sur nous pour mettre l’épaule à la roue à tout plan ou geste pouvant réaliser quoi que ce soit en environnement, car il s’en parle beaucoup et s’en fait très peu. Pour le moment, le travail qui incombe aux employés de votre ministère, lequel rapetisse comme une peau de chagrin à chaque fois que vous retraitez un employé sans le remplacer, se fait par les bénévoles des associations de lacs, de rivières, de milieux humides et d’aires dites protégées. Si cela démontre du caractère généreux des Québécois et Québécoises, ça ne démontre en rien que l’État soit à la hauteur de leurs espoirs.
Au nom du Comité de coordination de la Coalition, veuillez recevoir mes meilleurs vœux quant au mandat qui vous échoit et l’assurance de notre collaboration.
André Bouthillier, président. Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau - Eau Secours!. C.P. 55036, CSP Fairmont, Montréal, Qc H2T 3E2. Courriel: webmaster@eausecours.org. Site Internet: http://www.eausecours.org. Téléphone: 514-270-7915. Télécopieur: 514-276-8404