À cause de l'ALÉNA et des déréglementations et privatisations qui l'ont accompagnée, la population canadienne perd rapidement le contrôle de son approvisionnement en énergie, ce qui met en péril les prochaines générations. Ces facteurs donnent lieu à des exportations presque illimitées de ressources énergétiques non renouvelables aux États-Unis au nez et à la barbe des gouvernements canadiens qui trahissent les intérêts de ceux et celles qui les portent au pouvoir.
Nos réserves en énergie naturelle (hydro-électrique, gazières et pétrolières) sont-elles si abondantes ? Quelles seront les conséquences du rythme actuel d'augmentation des exportations vers les États-Unis ? Le gouvernement canadien pourra-t-il encore utiliser ses ressources énergétiques aux fins du développement du Canada compte tenu de l'intégration canado-américaine actuelle du marché de l'énergie ?
Telles sont quelques-unes des questions que se posent les auteurs d'une analyse produite par le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP)*, qui se veut une réponse aux arguments des compagnies pétrolières et gazières contre l'adhésion du Canada au protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Le bon Chrétien
Le SCEP montre que, depuis 1982, alors que le ministre de l'énergie de l'époque (un certain Jean Chrétien !) avait confié au Conseil canadien des chefs d'entreprise le mandat d'ébaucher la politique canadienne de l'énergie, les gouvernements n'ont fait que se soumettre « aux demandes du monde des affaires et des sociétés oeuvrant dans le domaine de l'énergie pour adopter la continentalisation au détriment du nationalisme. »
Cette manœuvre avait pratiquement enterré le Programme énergétique national (PEN) de Pierre-Elliott Trudeau qui, deux ans auparavant, visait à « canadianiser » les ressources énergétiques du pays (création de Pétro-Canada et de l'Office national de l'énergie, politique du « double prix » du pétrole pour protéger les consommateurs contre les aléas du prix mondial du brut) jusqu'à ce que, en 1994, l'ALÉNA officialise « le contrôle d'un pays sur les ressources énergétiques d'un autre ».
Contrairement au Mexique qui a refusé d'inclure ses ressources énergétiques dans l'ALÉNA, les compagnies énergétiques canadiennes réussissaient, elles, à faire pression sur le gouvernement canadien pour introduire plusieurs dispositions de l'ALÉNA qui leur garantissent des profits à court terme.
Ces principales dispositions sont les suivantes:
a) les exportations d'énergie passent de la catégorie des « services » à celle des « produits », ce qui les assujettit aux accords commerciaux;
b) les restrictions à l'exportation d'énergie sont éliminées. Cette disposition met fin à la longue politique de permettre des exportations d'énergie seulement si une réserve de 25 ans nécessaire aux besoins canadiens pouvait être prouvée;
c) les exportations d'énergie ne peuvent être taxées;
d) le Canada ne peut réglementer le prix des exportations et des importations d'énergie. Cela met fin à la politique du double prix du pétrole en vertu de laquelle le pétrole destiné au marché intérieur devait être moins cher que celui destiné à l'exportation;
e) il est permis (contrairement à d'autres secteurs) de subventionner le secteur de l'énergie. L'un des effets de cette disposition est d'augmenter les exportations d'énergie canadienne vers les États-Unis puisque les risques reliés aux investissements y sont quasi inexistants;
f) les États-Unis peuvent exiger du Canada une proportion constante de la production d'une ressource donnée. Par exemple, si le Canada exporte 52 % de son gaz naturel aux États-Unis au cours d'une période de 36 mois, il ne pourra plus diminuer cette proportion. En fait, il ne peut que l'augmenter tant les autres dispositions du traité incitent à l'exportation d'énergie.
Cette dernière disposition est particulièrement perverse puisqu'elle signifie que le Canada ne peut exporter ni pétrole ni gaz à d'autres pays que les États-Unis. S'il le fait, il devra augmenter sa production de façon à garantir aux États-Unis leur proportion d'exportations.
Même problème en cas de difficultés d'approvisionnement local, le Canada serait obligé d'augmenter sa production à la fois pour son besoin et pour ne pas diminuer sa proportion d'exportation vers les États-Unis (accélérant d'autant l'épuisement de réserves non-renouvelables) ou de se tourner vers l'importation de ressources énergétiques dont il possède pourtant de grandes quantités.
Déjà, le Canada importe 850 000 barils de pétrole brut par jour pour compléter l'approvisionnement des raffineries de l'Est du pays (surtout au Québec) et le pipeline Enbridge qui, avant 1997, allait normalement dans les deux sens entre Edmonton et Montréal, ne coule plus que d'est en ouest entre Montréal et Sarnia apportant de plus en plus de pétrole importé au sud de l'Ontario.
Sables bitumineux
Alors qu'aucun baril de pétrole albertain n'approvisionne l'est du pays, le Canada exporte plus de 70% du pétrole qu'il produit aux États-Unis, soit 1,5 millions de barils par jour sur un total de 2,1 millions. Cette proportion croit à mesure qu'augmente la production de pétrole à partir des sables bitumineux de la région de Fort McMurray, en Alberta.
À première vue, les réserves des sables bitumineux albertains paraissent inépuisables (300 milliards de barils), mais si les annonces par les pétrolières et le gouvernement fédéral de tripler la production albertaine d'ici 2007 se concrétisent, cela signifiera une production de près de 2 milliards de barils annuellement, bonne en théorie pour 150 ans.
Mais le Conseil national de recherche canadien avertit que « même une réserve de 1000 ans n'assurera que 80 ans d'alimentation selon les niveaux d'extraction actuels si la consommation annuelle augmente de 5 % ».
Gaz naturel
Quant aux réserves de pétrole conventionnel (10 milliards de barils), incluant le pétrole en mer des plates-formes Hibernia et Terra Nova (Terre-Neuve) et Cohasset (Nouvelle-Écosse), elles devraient être épuisées dans sept ans, selon l'Institut Parkland (Alberta).
Le Canada exporte aux États-Unis également plus de la moitié du gaz naturel qu'il produit et cette proportion augmente très vite! Par exemple, entre 1998 et 2000, ces exportations ont cru de 20 % (de 3,3 à 4 billions de pieds cube), infiniment plus rapidement que la consommation locale ou les exportations vers d'autres pays.
De plus, les Américains prévoient que leur demande totale de gaz naturel augmentera de 55 % au cours de la prochaine décennie (de 22 billions de pieds cube à 34) tandis qu'ils devront importer 60 % plus de pétrole d'ici 2020 (de 10,4 millions de barils par jour à 16,7).
Hydroélectricité
C'est sans doute pour cela que George W. Bush propose un nouveau pacte de l'énergie avec le Canada et le Mexique qui viendrait s'ajouter à l'ALÉNA. Ce pacte vise à ouvrir les réserves restantes (le Canada n'exporte, par exemple, que 10 % de son hydroélectricité) et à construire de nouveaux pipelines vers les États-Unis.
Le SCEP dénonce aussi les subventions déguisées aux producteurs de combustibles fossiles au détriment des projets hydroélectriques et d'autres énergies durables (éolienne, solaire, tirée de la biomasse, etc).
Ces subventions prennent la forme de très faibles redevances imposées à l'accès aux ressources publiques que sont le gaz naturel et le pétrole. Ainsi, l'État américain de l'Alaska impose aux compagnies exploitant son pétrole des redevances 1,6 fois supérieures à celles de l'Alberta tandis que, pour la Norvège, ce chiffre passe à 2,7.
1 % de taxes
De même, les sociétés d'exploitation des sables bitumineux (déjà très prospères) ne paient en redevances que 1 % de la valeur du pétrole qu'elles produisent jusqu'à ce que leur soit remboursé de la sorte la totalité des coûts de capital investis.
Comment, dans un tel contexte, se demandent le syndicat, le Canada parviendra-t-il à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 21 % d'ici 2012 pour se conformer aux dispositions du protocole de Kyoto qu'il a signé?
Le SCEP rappelle également que l'énergie produite et gardée au Canada comporte une « valeur ajoutée » qui se calcule en termes de potentiel d'utilisation industrielle. Par exemple, les liquides du gaz naturel (propane, butane, éthane) et certains produits dérivés du pétrole alimentent l'industrie pétrochimique canadienne qui fabrique les adhésifs, plastiques, réfrigérants, caoutchoucs et fibres synthétiques, etc.
Une industrie comme celle des plastiques alimente à son tour d'autres industries comme la production d'automobiles et l'emballage des produits alimentaires.
Prise d'otage
Selon le syndicat, les 70 % du gaz naturel exporté produit au Canada en 1998 ont rapporté une valeur de 20,1 milliards de dollars. Mais les 6 % de gaz investis dans le secteur pétrochimique ont rapporté à eux seul une valeur de 35 milliards $.
Avec l'ALÉNA et les exportations de pétrole et de gaz, insiste la politique du SCEP, ce pan de l'industrie canadienne « est tenu en otage par les politiques continentalistes de l'énergie. L'alimentation en gaz naturel est devenue un problème primordial de la croissance de ce secteur. »
Problème qui sera encore aggravé si est construit le pipeline géant qui doit transporter directement à partir de l'Arctique canadien le gaz naturel aux États-Unis sans alimenter les producteurs pétrochimiques de l'Alberta.
Au Québec, le secteur pétrochimique dépendra bientôt de l'accès aux matières premières d'alimentation provenant du gaz naturel en mer de l'Île de Sable jusqu'à maintenant inaccessible puisque presque entièrement exporté.
*(http://www.cep.ca/policies/energy_fhtml).