Comme nous l’avions fait remarquer dans l’aut’journal, le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) publiait cet été, un ouvrage collectif intitulé Le Français au Québec : Les nouveaux défis. Sa présentation a suscité un certain émoi, car un des directeurs de l’ouvrage s’en était pris à la « vision passéiste » d’un Yves Michaud… Cet ouvrage collectif ne constitue nullement un avis du CSLF. Il regroupe des textes ne reflétant en général qu’un seul des points de vue sur les nouveaux défis du français.
Le premier septembre dernier, le Conseil supérieur de la langue française a effectivement rendu public un avis sur la langue de travail, présenté à la ministre responsable de la Charte de la langue française. Cet avis est fondé sur un rapport de recherche et une série de consultations auxquelles soixante et un organismes ont participé.
Le CSLF constate que : « le français n’est pas encore la langue normale et habituelle au travail. C’est le cas notamment des travailleurs allophones chez qui le français, pour plus de la moitié d’entre eux, n’est pas la langue principale du travail; c’est aussi le cas dans des milieux de travail linguistiquement mixtes, où l’anglais reste la langue de convergence dans une proportion élevée. »
Le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Jean Dorion s’est réjoui du réalisme manifesté par le CSLF : « pour une rare fois, une voix officielle s’élève pour reconnaître une réalité qui crève pourtant les yeux dans la région métropolitaine de Montréal. Ces faits démontrent qu’il est non seulement urgent, mais qu’il est vital pour l’avenir du français que le Gouvernement applique les recommandations du CSLF. »
Cet Avis du CSLF a pourtant très peu attiré l’attention des médias. Il a été complètement censuré par le journal La Presse ! Il semble que les faits rapportés aient été jugés trop peu compatibles avec l’a priori jovialiste du quotidien. Comme le dirait Alain Dubuc, il faut à tout prix éviter d’ouvrir « la marmite linguistique ».
Cette indifférence des médias risque de faciliter la mise au rencart des recommandations du CSLF, qui apparaissent tout à fait pertinentes. Elles constituent un minimum pour contrer le recul et progresser vers l’établissement du français langue commune au travail, sans impliquer directement des changements législatifs. Si la loi 101 en matière de langue de travail était simplement appliquée, un premier pas important serait fait.
Le Conseil rappelle que le mécanisme principal conçu par les artisans de la Charte de la langue française pour franciser le milieu du travail est la certification des entreprises par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Mais la certification comporte des limites auxquelles il faut remédier par des stratégies complémentaires. La certification ne garantit pas que l’usage du français est généralisé dans l’entreprise, notamment dans les communications orales entre collègues, avec les supérieurs ou avec les subalternes, de même que dans celles avec les clients et les fournisseurs québécois, y compris celles avec les sous-traitants de services informatiques. Le Conseil recommande donc que cet aspect de la francisation des entreprises fasse partie des mandats de l’Office québécois de la langue française, qui verra à rendre opérationnel ce mandat, et que les moyens financiers pour le réaliser lui soient donnés par le gouvernement.
Les entreprises de moins de 50 employés n’étant pas soumises à la certification, plus du tiers des travailleurs du secteur privé ne profitent pas de ce mécanisme de francisation. Environ 50 % de ces entreprises sont situées dans la région de Montréal, regroupant une forte proportion de nouveaux arrivants.
En vertu de l’article 151 de la Charte, l’Office peut exiger que certaines petites entreprises obtiennent un certificat. Le CSLF propose que l’Office y recoure plus fréquemment.
De plus, le Conseil recommande que des travaux soient entrepris pour trouver une formule allégée de certification adaptée aux entreprises de moins de 50 employés.
Ce sont les comités de francisation qui ont le rôle de procéder à l’analyse linguistique de l’entreprise, d’élaborer le programme de francisation, d’en surveiller l’application et de veiller à ce que l’utilisation du français demeure généralisée à tous les niveaux après l’obtention du certificat. Mais malgré leur rôle crucial, selon une étude de l’OQLF en 2002, les comités de francisation étaient actifs dans seulement 18,8 % des grandes entreprises et leur efficacité est contestable. Le Conseil recommande que le gouvernement fasse des comités de francisation un outil central de francisation et, à cette fin, qu’il dote l’Office de moyens financiers suffisants pour lui permettre d’assurer la formation continue de ses membres.
Selon l’article 45 de la Charte de la langue française, un employeur ne peut invoquer le fait qu’un salarié ne connaît pas suffisamment une langue autre que le français pour le congédier, le mettre à pied, le rétrograder ou le déplacer. L’article 46, au demeurant, accorde une protection semblable pour l’embauche externe.
Les données recueillies par l’OQLF sur les petites entreprises manufacturières de la région de Montréal révèlent que la moitié d’entre elles exigent le français et l’anglais à l’embauche, tandis que d’autres n’exigent que l’anglais (6 %).
Les mécanismes de recours en cas de bilinguisme injustifié sont actuellement inefficaces parce qu’un travailleur qui porte plainte se place dans une situation fort délicate par rapport à son employeur ou futur employeur. Des mécanismes autres que la plainte du travailleur envers l’employeur devraient être définis. Le gouvernement et ses réseaux doivent donner l’exemple et réduire le plus possible le nombre de situations où l’anglais est requis et celles où la connaissance d’une autre langue que le français est une condition d’accès à l’emploi, le français étant la langue officielle.
Le CSLF considère également qu’il faut renforcer les services de francisations. Le Conseil est préoccupé par les effets de la réforme entreprise en 2004 par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), réforme qui entraîne une diminution des heures d’enseignement par programme. Les seuils d’immigration retenus par le Québec doivent être fixés en tenant compte de la capacité d’intégrer les nouveaux venus à la vie en français, et des ressources affectées à leur francisation. Pour retenir au Québec les immigrants, le Conseil est d’avis qu’il faut mettre l’accent sur l’intégration linguistique et culturelle de toute la famille.
De plus, il s’impose d’assurer la formation linguistique de base de tous les travailleurs immigrants allophones adultes; d’offrir une formation qualifiante en français aux travailleurs en général, aux professionnels, aux immigrants allophones, etc; de donner une bonne formation en langue technique aux jeunes et aux futurs travailleurs. Ces interventions requièrent des ressources supplémentaires dans la majorité des cas.
L’amélioration de la langue technique pour les jeunes est également importante. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport doit s’assurer que les cours offerts en formation professionnelle et technique le soient en français dans le réseau scolaire francophone, et que les étudiants de l’enseignement professionnel et technique du réseau scolaire anglophone maîtrisent aussi en français la langue technique de leur domaine de formation.
Par ailleurs, l’Administration publique donne parfois l’impression que l’anglais est aussi la langue officielle du Québec, que l’État est bilingue puisque l’on peut communiquer avec lui en anglais à volonté. Cette impression est renforcée par la place qui est donnée à l’anglais dans les messages téléphoniques enregistrés des ministères et organismes.
Pour ce qui est des communications avec les autres gouvernements et avec les personnes morales au Québec, la loi 104, adoptée en 2002, apportait à la Charte des changements destinés à réintroduire le français, langue officielle, comme langue unique des communications écrites (Charte de la langue française, article 16). Toutefois, les parties du texte qui rétablissent l’unilinguisme ne sont toujours pas en vigueur.
Le recours le plus efficace contre les entreprises en infraction avec le processus de francisation est l’article 22 de la Politique gouvernementale relative à l’emploi et à la qualité de la langue française dans l’Administration. Il implique que l’Administration publique n’accorde aucun contrat, subvention ni avantage à une entreprise contrevenante. Ce recours est beaucoup trop peu utilisé. De plus, étant donné que seule l’Administration centrale est nommée dans le libellé de l’article 22 de la Politique gouvernementale, le Conseil recommande que le gouvernement cite les organismes municipaux et les établissements scolaires, les organismes de santé et de services sociaux, les sociétés de financement et d’investissement comme étant aussi soumis à l’application des dispositions de l’article22. Il doit être rigoureusement appliqué dans le cas des subventions, des prêts sans intérêt et d’autres avantages financiers consentis aux entreprises par le gouvernement ou ses sociétés de financement et d’investissement.