Récemment, des parents résidents dans l’ouest de l’île de Montréal m’ont rapporté leurs difficultés à obtenir que l’école fréquentée par leurs enfants fonctionne complètement en français. Ils mentionnent qu’au moment où leurs enfants ont commencé à fréquenter une institution préscolaire, ils se sont faits déconseiller fortement par des voisins d’envoyer leurs enfants à l’école primaire française de cette municipalité. On leur a dit que, mis à part les cours, rien ne s’y passait en français. Cette institution était une école d’immersion avant d’être transférée à la commission scolaire française en 1998.
En réponse à la plainte émise par ces parents à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, on leur a proposé une dérogation pour envoyer leurs enfants à l’école de Pointe-Claire, dans un milieu plus francophone. Cela semblait être pratique courante dans ce genre de situation. Ils ont donc accepté que leurs enfants subissent les inconvénients du transport quotidien pour se rendre dans une école plus éloignée, mais qui fonctionnait davantage en français.
Cinq années plus tard, on leur a refusé la dérogation, car il n’y avait plus de place disponible à Pointe-Claire. Ce fut le cas pour plusieurs autres enfants. Le retour à l’école Beaconsfield fut très difficile pour leurs enfants. La majeure partie des communications s’y fait en anglais, hormis le contenu des cours. La langue anglaise domine autant dans les conversations entre les écoliers anglophones ou francophones dans les classes et les corridors, que dans les activités parascolaires.
Lorsque la mère des enfants en question a exprimé son indignation devant l’état lamentable de la place du français à l’École primaire Beaconsfield, plusieurs membres du personnel et de la direction lui répondirent à l’unisson : « Bien, voyons Madame, vous devriez être contente, vos enfants vont sortir de l’École Beaconsfield parfaitement bilingues... »
Tout en admettant l’importance de connaître une ou plusieurs langues secondes, cette résidente leur a rétorqué « qu’il y a une énorme différence entre rendre des enfants bilingues et les faire assimiler par la majorité ». Elle rappelle que la population de l’École primaire Beaconsfield est composée d’à peine 30 % d’enfants francophones. Il faut se rappeler également que, dans l’ensemble de l’île de Montréal, les écoliers francophones sont déjà minoritaires.
Cette mère de famille courageuse a formulé des plaintes au Conseil d’établissement de l’école primaire Beaconsfield et à la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Elle terminait en demandant : « Quelles sont les actions concrètes auxquelles les parents francophones et anglophones peuvent s’attendre de la part du Conseil d’établissement pour qu’enfin notre école primaire Beaconsfield puisse porter fièrement le titre d’école française à part entière ? » Sa question est restée sans réponse concrète.
La direction de cette école a récemment poussé l’arrogance jusqu’à envoyer une note par le sac à dos des enfants, dans laquelle elle demandait aux parents de remplir un coupon-réponse afin de donner leur consentement pour recevoir des informations bilingues sans leur donner le choix de les recevoir uniquement en français !
Un représentant de l’Office québécois de la langue française a confirmé que cette pratique contrevient à la Charte de la langue française. De plus, le régime pédagogique de l’enseignement primaire et secondaire prévoit que la commission scolaire doit prendre les mesures nécessaires pour que la qualité de la langue française soit le souci de tous dans l’apprentissage et dans la vie de l’école.
De plus, la politique de valorisation de la langue française de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys dont fait partie l’école Beaconsfield, mentionne que la direction d’une école doit communiquer en français en tout temps et en tous lieux.
En somme, l’ensemble de la situation dans cette école est préoccupante parce qu’elle touche le droit de recevoir l’enseignement en français. Tous les chercheurs s’entendent pour dire que, parmi toutes les dispositions de la Loi 101, ce sont les mesures scolaires qui ont eu le plus grand effet sur la force d’attraction du français.
Charles Castonguay a récemment analysé la dynamique linguistique dans l’ouest de Montréal à la lumière du plus récent recensement de Statistique Canada en 2001. Les résultats sont frappants. il a comparé la proportion de citoyens de diverses langues maternelles qui ont changé de langue d’usage à la maison dans douze municipalités de cette région. Il observe ainsi un taux net d’anglicisation de 12 % des francophones de l’ouest de l’île de Montréal. Pour les citoyens de langue maternelle autre (allophones), le taux d’anglicisation est de 84 %.
La dominance de l’anglais dans l’anglicisation des allophones s’est maintenue au même niveau tout au long des années quatre-vingt, malgré la loi 101. En même temps, l’anglicisation des francophones semble avoir légèrement progressé. Leur taux net d’anglicisation était en effet de 9 % en 1981, et de 12 % en 1991.
Dans la partie sud de l’ouest de l’île, qui est composée de six municipalités à majorité anglophone, soit Dorval, Dollard-des-Ormeaux, Kirkland, Pointe-Claire, Beaconsfield et Baie-d’Urfé, le taux net d’anglicisation est de 17 % chez les francophones et de 88 % chez les allophones. De plus, chez les jeunes adultes (24 à 34 ans), le taux net d’anglicisation de francophones a augmenté à 28 %.
Ces données démontrent bien les effets dévastateurs du bilinguisme institutionnel sur la force d’attraction du français. Et si le gouvernement du Québec n’a pas la volonté politique d’appliquer la loi 101 pour faire du français la langue commune dans les écoles françaises, et surtout dans l’ouest de l’île, on peut difficilement s’imaginer jusqu’où il ira pour acheter la paix linguistique.