Faisant fi des dépassements de coûts appréhendés de presque 1 milliard de dollars, le gouvernement Charest a annoncé le 7 avril dernier qu’il allait de l’avant avec la construction de DEUX mégahôpitaux à Montréal. Le McGill University Health Center (MUHC) recevrait 1,58 milliard de dollars et le CHUM 1,5 milliard de dollars. Les contrats de construction et d’entretien des bâtiments seront donnés au secteur privé sous forme de PPP.
Cette décision fait suite au refus catégorique en décembre dernier de McGill et des éditorialistes de The Gazette d’accepter un partage des spécialités entre mégahôpitaux pour tenter de réduire le coût des projets.
Du côté des médias francophones, la polémique médiatique a été centrée sur le site du CHUM. Mais le principal débat devrait porter sur le besoin d’avoir DEUX mégahôpitaux, séparés sur une base linguistique. Comme s’il y avait deux villes à Montréal, ou comme si nous étions trop riches, Québec a décidé de payer pour deux infrastructures identiques et cela ne semble étonner personne !
Seulement quelques intervenants ont soulevé cet enjeu. À cet égard, deux jeunes chercheurs finissants de l’Université Mc Gill, Patrick Sabourin (étudiant à la maîtrise en biologie) et Frédéric Lacroix (Ph. D. en génie électrique) se sont signalés. Depuis deux ans, ils effectuent des travaux sur le financement des universités et les services de santé anglophones et francophones. Ils ont chiffré avec exactitude l’énorme disproportion du financement gouvernemental du réseau universitaire anglophone. En 2002-2003, les universités anglophones recevaient 23,2 % des subventions du gouvernement québécois et 33 % du financement fédéral. Cependant, les Québécois anglophones (selon la langue maternelle en 2001) correspondent à 7,9 % de la population du Québec.
Sabourin et Lacroix ont démontré qu’outre son impact anglicisant, cette disproportion a des impacts économiques majeurs défavorables à l’ensemble des citoyens du Québec. Le projet des deux mégahopitaux universitaires en est un exemple flagrant. Par exemple, le Québec continue d’assigner 25 % des places en médecine à l’université McGill, alors qu’environ 60 % des médecins formés à McGill quittent le Québec. Cet exode affecte également les natifs du Québec.
À l’inverse, les facultés de langue française ont un taux de rétention qui oscille autour de 88 %. L’Université de Montréal reçoit le même montant que McGill bien qu’elle forme quatre fois plus de médecins pratiquant au Québec que McGill, soit 40 % du total comparativement à 10 %. Mentionnons, afin de saisir en partie l’ampleur du désastre financier, que les frais de formation d’un médecin sont de 125 000 à 150 000 dollars pour un généraliste.
De plus, cela implique une concentration surabondante des ressources à Montréal , alors que les besoins à l’extérieur de la métropole sont criants. À titre d’exemple, le Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) a besoin de 179 millions pour des rénovations urgentes.
Il serait à la fois logique, juste et plus rentable pour la société québécoise d’investir préférentiellement à l’Université de Montréal (qui a fait ses preuves !). Le Québec est-il si riche qu’il doit bénévolement former des médecins pour l’Ontario et les États-Unis ?
Seulement quelques autres intervenants ont osé remettre en question la construction des deux mégahopitaux. La Société Saint-Jean Baptiste de Montréal a dénoncé ce projet en diffusant une prise de position pour un CHU unique endossée par plusieurs intervenants des milieux hospitalier et universitaire, dont Denis Lazure ex-ministre de la Santé de 1976-1981 ainsi que d’autres médecins tels que Jacques Baillargeon Henri.
Malgré plusieurs tentatives, ce point de vue a eu très peu de retentissement médiatique à l’extérieur des périodiques indépendants tels que l’aut’journal et la revue l’Action nationale.
Patrick Sabourin et Frédéric Lacroix travaillent actuellement à établir la coalition unseulchu.org, qui se veut un regroupement non partisan de citoyens en faveur de la construction d’un seul mégahôpital universitaire à Montréal.
Robert Laplante, le directeur de l’Action nationale, a résumé la situation avec éloquence en posant les questions suivantes : « Pourquoi donc le gouvernement du Québec s’acharne-t-il à défendre cette aberration ? Pourquoi cette absolue couardise de la part du milieu médical devant une décision qui va à l’encontre des priorités les plus élémentaires du développement de la profession et de l’élargissement des effectifs ? Pourquoi, les défilades des milieux d’affaires, d’habitude si prompts à sonner l’alarme devant les dépassements de coûts des projets publics ? Pourquoi cet embarras du Parti québécois à poser les questions qui s’imposent, à faire son travail d’opposition correctement, rigoureusement ? Pourquoi ces nuances imbéciles chez les éditorialistes et commentateurs qui tapissent leurs interventions de sous-entendus maladroits, bien enrobés dans les “ raisons culturelles et historiques ” invoquées pour nier l’évidence ? »
Laplante explique que « ce sont les rapports de pouvoir qui expliquent et fondent la rationalité sous-jacente à l’irrationnel qui marque ce débat et caractérise ce projet. Se donner un seul centre, cela voudrait dire redéfinir la place et la sphère d’influence de l’élite anglophone de Montréal. Cela voudrait dire cesser de maintenir un financement public surpondéré qui donne aux institutions anglophones des moyens sans commune mesure avec leur poids démographique et qui, du coup, hypertrophie leur rôle et leur donne des possibilités de mener une concurrence indue aux institutions francophones. Se donner un seul centre, cela voudrait dire cesser de se laisser culpabiliser, cesser de plier l’échine devant la condescendance et les manœuvres de racisme larvé qui consistent à faire passer pour de l’exclusion tout effort visant à mettre fin au règne du privilège et du développement séparé. »
Plusieurs intervenants considèrent qu’il est trop tard pour agir dans ce dossier et que c’est une affaire classée. Mais comme le notait The Gazette, le premier ministre Charest et le ministre de la Santé Philippe Couillard répètent cet engagement depuis trois ans, alors que le budget pour la prochaine année fiscale ne prévoit toujours rien pour les mégahopitaux.
Nous devrions assister prochainement au lancement de la coalition unseulchu.org. Le site internet de la coalition est déjà actif et une pétition a commencé à circuler. Vous pouvez signer la pétition en ligne. Le travail de cette coalition peut à tout le moins commencer à susciter une prise de conscience collective. Il est plus que temps de commencer à se mobiliser.
Le MUHC refuse tout partage avec le CHUM
2015/09/23 | par Mario Beaulieu
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