Le 23 novembre 2006 avait lieu un colloque intitulé : Les défis du français au Québec, à l’Université McGill. Ce colloque était organisé par plusieurs partenaires issues des milieux universitaires de Montréal avec le Conseil supérieur de la langue française (CSLF). Son objectif était de poursuivre la réflexion entreprise dans des ouvrages collectifs «Le français au Québec : les nouveaux défis» et «Le français, langue de la diversité québécoise», sous la direction de Pierre Georgeault, directeur de la recherche et de l’administration du CSLF. Certains ateliers se rapportaient aux professions langagières et à la norme linguistique.
L’un des ateliers de réflexion portait plus directement sur l’évaluation de la situation du français au Québec. On y traitait notamment des analyses de Michel Pagé, Paul Béland et Pierre Georgeault sur la dynamique de l’usage du français dans divers secteurs de la vie publique, que ce soit dans les milieux de travail comme dans les centres commerciaux, dans les banques, avec l’administration scolaire et les services publics en général.
Ces auteurs observent que la langue d’usage public utilisée par un individu est reliée de multiples façons à sa langue maternelle ainsi qu’à la langue qu’il parle à la maison. Notamment, chez les allophones, le choix de la langue parlée à la maison est influencé par la langue utilisée au travail et dans l’espace public en général.
Les études présentées montrent que la prise en considération de tous les secteurs de l’usage du français peut enrichir notre compréhension de situation linguistique au Québec. Cependant, l’interprétation jovialiste donnée par les auteurs, et leur a priori contre tout renforcement législatif introduit une certaine confusion dans leurs analyses.
Les deux ouvrages collectifs du CSLF portent sur plusieurs aspects du dossier linguistique mais ils reprennent généralement la conception de la langue d’usage public présentée dans une étude du CSLF en 1999. Cette étude postulait que l’évaluation du français langue d’usage public rend davantage compte des effets souhaités de la politique linguistique au Québec, qui vise à faire du français la langue commune de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. La langue que les citoyens choisissent d’utiliser à la maison relève de la vie privée. Le choix de cette langue d’usage en privé leur appartient entièrement, et ne peut résulter d’une intervention de l’État.
Cette approche semble avoir été initiée par le CSLF sous la présidence de Pierre-Étienne Laporte. On considère que la Charte ne visait pas à contrer le déclin du poids démographique des francophones selon la langue d’usage à la maison, mais uniquement à faire du français la langue d’usage public. Parallèlement, dans les ouvrages collectifs récents du CSLF, on émet l’idée que les chercheurs qui tiennent compte des données sur la langue maternelle et la langue d’usage à la maison sont des « assimilationnistes». Dans l’ouvrage Le français, langue de la diversité québécoise, Michel Pagé et Pierre Georgeau dénoncent un modèle assimilationniste, selon lequel les seuls vrais locuteurs francophones seraient ceux qui le parlent à la maison, ce qui serait la condition pour être membres à part entière de la société québécoise !
En fait, l’énoncé de politique de la Charte de la langue française indique qu’elle visait notamment à contrevenir au déclin appréhendé de la proportion francophone de la population, déclin causé par les transferts linguistiques massifs des allophones vers l’anglais. Mais les mesures de la loi 101 visent à atteindre cet objectif en régissant le statut du français dans les institutions publiques du Québec, l’éducation et la vie économique. Plus précisément, les mesures scolaires de la loi 101 concernent l’usage du français dans les institutions publiques d’enseignement, et ont un effet considérable sur l’intégration et les transferts linguistiques des allophones. Naturellement, aucune mesure législative de la loi 101 ne vise à régir l’utilisation de la langue dans les foyers.
L’objectif d’augmenter le pouvoir d’attraction ou d’intégration du français ne correspond pas à un objectif d’assimilation. Il implique que, chez les citoyens qui effectuent normalement des transferts linguistiques, au fil des générations, la proportion de ceux qui optent pour le français corresponde au poids démographique de la population francophone. En fait, c’est une condition essentielle à la survie du français non seulement en tant que langue d’usage à la maison, mais aussi comme langue commune. C’est la normalité dans la plupart des autres grandes métropoles nord-américaines. Dans le reste du Canada, les transferts linguistiques se font à près de 100 % vers l’anglais.
Les études et les analyses des chercheurs du CSLF sur la langue d’usage public sous-entendent une redéfinition du terme francophone pour y inclure les citoyens qui utilisent principalement le français dans l’espace public. En recourant à cette nouvelle définition, on donnait la fausse impression d’une augmentation de la proportion de francophones.
Ainsi, l’étude de 1999 sur la langue d’usage public, on émettait l’hypothèse que l’indicateur utilisé « témoigne clairement d’un changement dans l’orientation linguistique des allophones. » Or, on peut difficilement observer un progrès ou un déclin à partir d’un indicateur servant pour la toute première fois. Cette étude sur l’usage public du français correspond sans doute à une des tentatives les plus douteuses pour donner un portrait optimiste de la situation du français. Elle a été hautement contestée par les scientifiques à la fois dans ses objectifs et sa méthodologie. C’est également sur cette étude que se fonde l’avocat Brent Tyler pour affirmer que le français n’a plus besoin d’être protégé.
Pour être francophone, suffit d’en donner l’impression
2015/09/23 | par Mario Beaulieu
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