L’auteur est sociologue et analyste des médias
Pour la population du Québec et surtout pour les partis politiques, les enjeux de cette dernière campagne électorale avaient une importance considérable et même décisive.
Les intérêts des uns et des autres se sont entrechoqués dans un combat acharné. La volonté de maintenir la droite au pouvoir, s'est heurtée à un désir de changement largement répandu chez les électeurs ainsi qu'à la détermination du PLC de se sortir enfin du purgatoire.
Par ailleurs, la stratégie de relance du mouvement souverainiste (péquiste) est venue considérablement atténuée les prétentions du NPD voulant qu'il soit la seule alternative progressiste.
Les partis, au cours de cette campagne, ont sorti leurs artilleries lourdes et le combat s'est déroulé, plus que jamais, sur le terrain des médias.
Intermédiaires entre les partis et les citoyens, les organes de presse ont la lourde responsabilité de fournir au public les informations leur permettant de faire des choix éclairés.
Le travail est délicat, car il s'agit de faire connaître les programmes des partis et les engagements qu'ils prennent pour améliorer le sort des gens tout en évitant d'être leur porte-voix.
Or, on assiste depuis plusieurs années à des changements importants dans le mode de traitement de l'information. Les commentaires, opinions et interprétations prennent désormais de plus en plus le pas sur l'analyse des faits et sur la transmission d'informations justes et pertinentes.
Une étude de la couverture médiatique de la campagne électorale réalisée par Influence Communication révèle que 94% du contenu des médias consistait dans des interprétations, analyses et critiques, alors que les propos et propositions des chefs de partis occupaient seulement 6% de l'espace médiatique.
Informer ou communiquer
On constate aussi un intérêt plus marqué des journalistes et chroniqueurs pour les stratégies et tactiques électoralistes plutôt qu'au contenu des messages des partis.
Ce faisant, ils deviennent paradoxalement plus vulnérables à leurs tentatives de manipulation et stratégies de communication partisanes.
Ceci explique peut être le fait qu'ils sont, en général, tombés assez facilement dans le panneau du niqab, concocté de main de maître par le PCC.
Chose curieuse, ce piège a nui uniquement au NPD alors que le PLC avait la même position. C'est là, à mon avis, que les médias ont joué un rôle important.
En décrétant que l'affaire du niqab nuisait surtout au NPD et en le répétant ad nauséam on a fini par donner, à la population, l'impression que le NPD était, de tous les partis, celui qui était le moins au diapason des valeurs de la société québécoise.
Soulignons que les espaces des médias ouverts aux commentaires du public ont été, à partir de ce moment, littéralement pris d'assaut par les partisans du BLOC et du PCC. Le NPD n'a pas su profiter de ces tribunes pour faire valoir son point de vue.
Parti favori dans les sondages, le doute s'est alors installé quant à la capacité du NPD de battre le gouvernement Harper. Le flambeau du changement est alors passé dans les mains du PLC.
De plus, l'accent mis sur les stratégies et non sur les contenus entraînent des distorsions importantes dans l'analyse critique que font les médias de la performance des partis.
Le Parti Libéral, qui a certes mené une très bonne campagne, s'est vu attribué les meilleures notes alors qu'on a eu de cesse de souligner les maladresses stratégiques du NPD.
La connaissance des dossiers, la clarté et la pertinence des arguments souvent avancés par Mulcair ont été rarement relevées.
Rares aussi sont les médias a avoir fait la lumière sur le bien fondé des attaques des autres partis relativement au double discours livré en français et en anglais par T. Mulcair.
La chose a son importance, car cette critique a beaucoup contribué à miner la confiance du public envers Mulcair.
Les médias, il faut aussi le reconnaître, ont fait des efforts intéressants pour rendre accessibles, sur leurs diverses plateformes, les programmes des partis. Ces contenus n'ont malheureusement pas été suffisamment analysés et mis en perspective.
Ce qui risque de retenir davantage l'attention du public et des observateurs c'est, sans doute, la contribution réelle, voulue ou pas des médias, au succès de la campagne de séduction menée par le Parti Libéral et Justin Trudeau. Ils ont fait de celui-ci une véritable superstar, lui qui au début avait l'image d'un politicien en «culotte courte».
Au terme de cette campagne force est de constater la présence de déséquilibres significatifs dans le traitement réservé aux divers partis.
On ne peut aussi manquer de faire un certain rapprochement entre les préférences qui transparaissaient souvent des propos des commentateurs vedettes et la position éditoriale de certains médias francophones.
Plus préoccupant encore, c'est le renforcement des liens qui se sont établis entre les pouvoirs politiques, économiques et médiatiques dominants qui, finalement laissent peu de place aux porteurs d'une autre vision de société.