(NDLR : Alexandre Leduc est un membre influent de Québec solidaire. Les leçons qu’il tire pour le Québec de ses observations en Catalogne méritent d’être prises en considération par celles et ceux qui lancent des appels à une Coalition électorale des partis souverainistes.)
J’étais récemment délégué de Québec solidaire en Catalogne pour observer les élections du 27 septembre, un scrutin bien particulier pour les indépendantistes catalans qui espéraient obtenir un mandat majoritaire pour faire l’indépendance. Pour QS, il était important de prendre contact avec les forces vives de la société civile et les partis progressistes catalans afin de voir comment le Québec pouvait s’inspirer des leurs stratégies.
Le mouvement indépendantiste catalan est très diversifiée. Il est principalement composé de trois partis politiques (CDC : centre-droit, ERC : centre-gauche et CUP : gauche) et de deux grandes organisations de la société civile (Omnium cultural et Assemblea nacional catalana).
En prévision des élections référendaires de 2015, deux grandes stratégies électorales sont mises de l’avant par les indépendantistes catalans : 1) une coalition unitaire des partis indépendantistes ou 2) des campagnes séparées avec une feuille de route commune vers l’indépendance.
La première option était ardemment souhaitée par la société civile qui avait même commandé des sondages d’opinion qui, au final, laissaient entendre que les partis perdraient des voix s’ils n’adoptaient pas cette stratégie.
La deuxième option était plutôt favorisée par les partis politiques comme tels, surtout ERC et CUP. La figure d’Artur Mas étant plutôt controversé chez les progressistes, ils ne désiraient pas s’y associer, de peur de trop diluer leurs valeurs et perdre des appuis.
Toutefois, face à un léger épuisement des troupes et à la montée des nouveaux partis (Ciutadans et Podemos), le président catalan Artur Mas, provenant de CDC, menace de repousser à plus tard les élections anticipées qu’il avait convoquées pour le 27 septembre.
Pour les maintenir malgré tout, il émet comme condition d’aller de l’avant avec la coalition. Les associations civiles réussissent à forcer la main à Oriol Junqueras, le chef d’ERC. La CUP participe aux discussions mais émet comme condition finale que les députés en fonction ne puissent pas se porter candidat.
Sans surprise, cette condition est jugé inacceptable pour les politiciens de carrière de CDC et d’ERC. La CUP fait donc campagne en parallèle tandis que CDC et ERC fondent la coalition « Junts pel si ».
Malgré l’échec d’une coalition tripartite, une feuille de route commune vers l’indépendance réunit les trois partis indépendantistes. Techniquement parlant, chaque parti a chacun sa propre feuille de route, mais dans les faits, très peu de choses les différencient.
Les deux proposent une déclaration de souveraineté dès le lendemain d’une victoire électorale. La CUP exige toutefois le 50%+1 pour procéder à cette première étape. Ensuite, un gouvernement de transition de 18 mois aura la tâche de préparer les nouvelles institutions de l’État (agence de revenu, rapatriement de pouvoirs, etc.) pendant qu’une assemblée constituante préparera une nouvelle constitution à être adoptée par référendum. À cela suivrait une déclaration d’indépendance qui fermerait le bal.
« Junts pel si »
« Ensemble pour le oui », tel est le nom de la coalition électorale entre CDC et ERC. Ils militeront sous le slogan « le vote de ta vie » qui n’est pas sans rappeler le « once in a lifetime » qu’avait utilisé, l’an dernier, le premier ministre écossais Alex Salmond.
Fait intéressant et inusité, les coalisés réussissent à aller chercher de nombreux représentants de mouvements sociaux qui sont médiatiquement connus. Les deux femmes dirigeantes d’Omnium cultural et de l’Assemblea nacional catalana sont d’ailleurs numéro 2 et 3 de la liste commune.
Se joignent à elles des artistes, des universitaires, des professionnels du sport, etc. Le porte-parole de SUMATE fait également le saut. Conscient de son caractère controversé, Artur Mas se contente de la 4e place dans la liste commune de Junts pel si.
Plus important encore, pour démontrer le caractère non partisan de la démarche, et surtout pour préserver l’équilibre CDC vs ERC, les cadres de Junts pel si vont chercher comme tête de liste une jeune retraité de la politique, Raul Romeva. Eurodéputé très populaire provenant des verts, il permet à la coalition de s’adresser aux verts indépendantistes qui seraient déçus de l’indécision constitutionnelle de leur parti.
Le fait que de grands rivaux se coalisent et que de nombreuses figures publiques sautent dans l’arène électorale donnent aux élections son plein caractère plébiscitaire. Le 27 septembre devient donc un moment national empreint de sérieux.
« Governem-nos »
La CUP fait donc campagne en parallèle et intitule sa campagne « gouvernons-nous ». Ce slogan réfère à la question sociale et à la question nationale en même temps : gouvernons-nous en nous délivrant de l’Espagne et gouvernons-nous en nous délivrant du capitalisme.
La campagne électorale est l’occasion pour la CUP de renouveler ses figures publiques. En effet, un règlement interne ne permet pas à un membre du parti de faire plus d’un mandat sous l’étiquette de la CUP. Les trois députés élus en 2012 devaient donc céder leur place pour 2015.
Junts et la CUP ne se sont pas vraiment attaqués l’un à l’autre durant la campagne. Assez tôt, il a semblé fort probable que Junts n’obtienne pas la majorité seule. La CUP allait donc obtenir la balance du pouvoir. Les porte-paroles en ont profité pour dire ouvertement que jamais ils n’aideraient Artur Mas à devenir président de la Catalogne. La CUP était prête à voter pour Romeva ou Junqueras, mais pas pour Mas.
Les résultats
Le 27 septembre, plus de 77% de Catalans se rendent aux urnes. C’est presque 10% de plus que lors de l’élection de 2012. Cette hausse de participation n’est pas une bonne nouvelle pour le camp indépendantiste, car une majeure partie de ces « nouveaux » électeurs semblent être des unionistes, normalement abstentionnistes, qui se sont mobilisés face à la menace de la séparation.
Les résultats sont proches de ce qu’avaient prédit les sondages. Junts obtient 62 sièges, la CUP 10, les deux obtenant donc conjointement 68 sièges, une majorité plus que nécessaire pour gouverner au parlement.
En nombre de votes, les résultats sont par contre plutôt décevants pour Junts qui a obtenu 1 620 973 votes alors qu’en 2012, ERC en avait obtenu 496 292 et CDC 1 112 341 pour un total de 1 608 633. Cela représente une faible hausse de 12 340 voix, soit à peine 0,7%.
Comment expliquer ce résultat décevant ? D’abord, auparavant CDC formait une coalition avec le tout petit parti Union démocrate de Catalogne, qui n’a pas accepté le récent virage indépendantiste.
Ayant fait cavalier seul, Union est tombé dans la marginalité politique mais a malgré tout peut-être pris quelques voix à CDC.
Pour expliquer le résultat décevant de Junts, il faut peut-être regarder du côté de la CUP qui a obtenu 336 375 voix, une progression de 210 156 voix par rapport aux 126 219 votes récoltés en 2012.
Il y a donc de fortes chances que des électeurs d’ERC allergiques à Mas aient décidé de reporter leur voix sur la CUP plutôt que de suivre le mot d’ordre de la coalition.
Dans tous les cas, il est aussi surprenant que décevant de voir que l’élargissement de la coalition à des personnalités fortes de la société civile n’a pas généré un appui populaire plus important.
Au final, les voix indépendantistes (CDC+ERC+CUP) sont passées de 1 740 818 en 2012 à 1 957 348 en 2015, une progression majeure de 216 530 votes. En refusant la stratégie de coalition, on peut dire que la CUP a sauvé la campagne de Junts. Une ironie pleine de leçons.
Malheureusement, ces 1 957 348 voix ne forment pas une majorité absolue de 50%+1, mais avoisinent plutôt 47.8% des voix exprimées le 27 septembre.
Les dangers d’une coalition
Comme nous l’avons vu plus haut, la stratégie de la coalition électorale n’a pas bien servi CDC et ERC. La hausse minuscule du nombre de voix trahit un mauvais calcul électoral. Bien qu’un scénario tout-à-fait similaire soit impossible au Québec, compte tenu de notre mode de scrutin, il faut faire attention à l’impact qu’une apparence de coalition pourraient avoir sur l’électorat québécois.
Je fais référence ici à la question d’alliances, de pactes et d’échanges de comtés à grande échelle. Même s’il n’est pas question de fusionner le PQ, ON et QS, de faire des primaires souverainistes ou même de négocier une bannière commune, le fait de procéder à des échanges de comtés à grande échelle participerait peut-être à donner une impression de coalition ou d’osmose entre les deux partis.
Il y a certainement un électorat que se partagent le PQ et QS, mais il est raisonnable de croire que la droite du PQ ne votera jamais pour Françoise David et que la gauche de QS ne votera jamais pour Pier-Karl Péladeau.
À trop étirer l’élastique sur l’axe gauche-droite, il éclatera à coup sûr. Face à une impression de coalition, les électeurs souverainistes des deux « extrêmes » risquent fortement de rester à la maison ou de choisir un autre parti.
Dans le débat sur la convergence souverainiste, il faudra tenir compte de ce risque. Si après analyses et débats, les membres demeurent ouverts au concept d’échanges de circonscriptions, limiter les échanges à un ou très peu de comtés pourrait nous éviter la perception d’osmose inhérante à ce genre de démarche.
Après tout, lorsque Françoise David et Jean-Martin Aussant se sont échangés Gouin et Nicolet en 2012, personne n’a cru que QS et ON avait fusionné.
(article reproduit du site Presse-toi à gauche)
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