Nous, femmes et mères sans statuts, qui vivons et travaillons dans l'ombre, invisibles et exclues, nous interpellons l'opinion publique, ensemble, pour la première fois.
Nous vivons dans la précarité à cause de notre statut d'immigrante. Ce statut précaire menace notre sécurité, notre liberté en tant que femmes, nos droits en tant que travailleuses, et notre vie de famille. De nombreuses manières, notre futur et nos rêves sont bloqués. Nos enfants, né-e-s ici ou résidant ici depuis des années, sont terrorisé-e-s par la menace d'une déportation, qui les arracherait à leur école, leurs camarades et leur vie sociale, ou qui les séparerait d'un de leur parent. Certaines familles ont déjà été brisées par la déportation d'un de leur membre et attendent dans l'angoisse d'être à nouveau réunies.
Nous travaillons ici, et contribuons à la richesse du Canada. Nous nettoyons vos maisons, servons dans vos restaurants, travaillons à la chaîne, nous produisons la nourriture que vous mangez. Nous payons des taxes. Pourtant, nous demeurons exclu-e-s de l'ensemble des biens sociaux : l'éducation, les soins de santé, les allocations pour enfants, les garderies, le chômage... Nous sommes parmi les personnes les plus exploitées dans la société : nous travaillons de longues heures dans des conditions très difficiles, nous ne bénéficions pas du salaire minimum, nous n'avons pas de protection sociale, nous ne sommes pas syndiquées. Malgré nos compétences et nos qualifications, nous n'aurons jamais de promotion et nous ne pourrons pas, comme tout le monde, gravir les échelons.
Nous, signataires de cette lettre, sommes parmi des dizaines voire des centaines de milliers de sans statuts au Canada. Monsieur Trudeau a été élu dans une circonscription de Montréal où réside des milliers de sans statuts. Mais officiellement, nous n'existons pas.
Pendant des années, nous nous sommes battu-e-s pour régulariser nos statuts. Nous avons rempli des listes infinies de dossiers, coûteux et longs : nous avons fourni la preuve de chaque détail de nos vies, encore et encore. Nous sommes tanné-e-s de remplir des formulaires et de rassembler des documents, en attendant une réponse arbitraire, avec incertitude et la peur au ventre. Parmi nous, certaines ont des diplômes, d'autres pas, beaucoup ont des familles, alors que d'autres sont seules : nous sommes venues au Canada pour différentes raisons et nous ne pouvons plus repartir. Nous ne voulons pas être jugé-e-s individuellement mais simplement accepté-e-s en tant qu'être humain, à égalité avec les autres membres de la société. Nous aimerions que le cas par cas ne soit plus la règle.
Aujourd'hui, nous nourrissons un grand espoir suite aux nombreuses déclarations du nouveau Premier Ministre et de Madame Grégoire. Peut-être sommes-nous naïves d'y croire... mais sans espoir, nous ne pouvons pas vivre.
Monsieur Trudeau s'est engagé à prendre des mesures immédiates pour rouvrir les portes du Canada et faire de la réunification des familles une priorité (1). Ouvrir les portes du Canada aux immigrant-e-s, aux familles et aux réfugié-e-s est une très bonne nouvelle ! Si le gouvernement a la possibilité et la volonté d'accueillir de nouvelles personnes, il a aussi le pouvoir et - nous l'espérons vivement - la volonté de nous accueillir et de réunifier nos familles : nous qui résidons, travaillons et élevons déjà nos enfants ici depuis des années. Nous participons à la vie sociale et communautaire de Montréal, nous sommes engagé-e-s dans des actions bénévoles, nous sommes déjà intégré-e-s.
M. Trudeau et Mme Grégoire ont aussi exprimé leurs positions pour les droits des femmes et le futur de nos jeunes. Nous sommes certain-e-s que ces droits qui leur sont si chers nous concernent également, nous qui sommes parmi les femmes les plus vulnérables de ce pays, nous sommes convaincues que M. Trudeau pense aussi à nos enfants lorsqu'il affirme : « Chaque enfant mérite de grandir dans un monde où la discrimination, la violence et l’exploitation n’existent pas et d’avoir une saine alimentation, des soins de santé adéquats, une bonne éducation et un milieu de vie sécuritaire. » (2).
Nous vivons ici, nous resterons ici. Ceci est notre maison et celle de nos enfants. Nous voulons vivre dans la dignité, la paix et la stabilité, nous voulons que la peur qui sans cesse nous habite se dissipe. Nous attendons avec espoir que ce nouveau gouvernement montre toute l'humanité dont il a tant parlé, nous espérons un changement qui, pour une fois, nous inclurait aussi…
Par cette lettre, nous demandons à être reçues par le Premier ministre et Mme Grégoire, pour discuter de nos revendications et leur faire part de nos luttes quotidiennes.
Nous demandons au Premier ministre de bien vouloir se prononcer sur la question de la régularisation des sans statuts au Canada.
Le collectif des femmes sans statuts de Montréal
Montreal, 26 Novembre 2015
Dont :
* Fatima mère de quatre enfants, travailleuse temps partiel dans un restaurant, inquiète pour l'avenir de ses enfants
* Emma, mère de 2 enfants, travailleuse à temps partiel dans un épicerie, en lutte depuis neuf ans pour ses papiers, enfants souffrant de la séparation d'avec leur père, qui a été expulsé il y a plus d'un ans.
* Sabrina, mère de 3 enfants, travailleuse comme femme de ménage chez des Canadiens, maman et enfants épuisés
* Marie, en recherche d'emploi, mère de 2 enfants, souhaitant un meilleur avenir pour eux ici au Canada
Photo : Jacques nadeau – Ledevoir.com