Dans son article-éditorial du 29 janvier, intitulé Détacher Montréal du Québec, Pierre Dubuc dénonce un « power trip » de la part du maire Coderre et reprend, sans grande originalité d'ailleurs, le refrain traditionnel des indépendantistes qui s'opposent à la décentralisation du pouvoir par peur de nuire à l'indépendance du Québec. L'indépendance d'abord, la démocratie ensuite : un mythe qui est en partie responsable de 50 ans de centralisation excessive des pouvoirs de l'État québécois et de la désintégration dramatique des communautés locales et régionales, et donc de la démocratie, qui en est la conséquence.
Les propositions du maire Coderre sur les pouvoirs qu'il veut récupérer de Québec et des arrondissements sont sûrement sujettes à discussion. Il faut en débattre au mérite. Elles ne sont pas sans fondement cependant, et rejoignent même dans l'ensemble les revendications de ceux qui préconisent depuis longtemps une véritable démocratie territoriale et une décentralisation des pouvoirs et des ressources vers les collectivités territoriales.
Tout le monde convient que le partage des pouvoirs entre la ville centrale et les arrondissements a été improvisé sur un coin de table pour tenter de sauver in extremis la ville fusionnée - en vain - et s'est avéré dysfonctionnel à plusieurs égards; mais une décentralisation démocratique de la ville demeure un objectif important que les centralisateurs ont tendance à négliger. À bien des égards, le quartier est un village et les citoyens doivent pouvoir s'y identifier et s'y impliquer. Il faut juste trouver les bonnes façons de le faire. Québec est peut-être une meilleure réussite à cet égard.
Quant à la récupération de pouvoirs centralisés à Québec, s'il faut bien sûr se méfier de l'agenda caché du maire Coderre, fédéraliste et libéral impénitent, on ne peut qu'être d'accord sur la nécessité de redéfinir le statut politique des gouvernements locaux et territoriaux.
Dans la culture politique monarchique britannique, les municipalités et les villes ne sont effectivement que des créatures du gouvernement central, qui ne se gêne pas d'ailleurs pour tout contrôler et tour régenter, au grand dam du respect le plus élémentaire du principe de subsidiarité qui doit guider toute démocratie.
La mondialisation a augmenté encore cette concentration du pouvoir. Or, la souveraineté du peuple doit monter du bas vers le haut, et les pouvoirs résiduels sont au bas et non au haut de la pyramide. Le rôle de l'État n'est pas d'imposer et de contrôler : il doit d'abord rassembler, coordonner et orienter.
Le reconnaître n'est pas livrer le Québec à l'anarchie et à la partition, mais favoriser la plus élémentaire démocratie et efficacité.
Par ailleurs, tant que le Québec fera partie du Canada, on ne pourra empêcher les Québécois, les municipalités, les villes de recourir à leurs députés à Ottawa et à l'administration fédérale pour de nombreux programmes. Cela n'empêche pas le Québec d'intervenir et de soutenir les citoyens dans leurs démarches.
À terme, l'indépendance sera mieux assurée par des populations qui savent ce que c'est que de se gouverner elles-mêmes que par les diktats de politiciens centralisateurs et partisans. Comme ce n'est pas en confiant la responsabilité des régions à des ministres de Montréal et des fonctionnaires de Québec, qui n'ont jamais mis les pieds pour vrai en région, qu'on va permettre l'émergence d'économies régionales basées sur les ressources propres à chaque territoire et sur une prise en charge du développement par des élus régionaux imputables. La démocratie doit primer partout.
Quant à un statut particulier pour la métropole et la capitale, il n'y a là rien d'hérétique. On ne peut ignorer que, dans l'économie mondialisée qui est la nôtre, les grandes villes sont devenues des pôles d'échange et de référence plus importants souvent que les États nationaux et les frontières régionales.
Il ne sert à rien de brandir l'épouvantail de la Cité-État, qui fut pourtant une réussite historique supérieure à bien des égards à l'État-nation: mieux vaut repenser nos gouvernements métropolitains et les doter de l'autonomie requise pour qu'elles soient en mesure d'assurer à la cité une direction et une participation démocratique cohérentes.
Dans plusieurs pays européens, l'Italie notamment, où la décentralisation territoriale est inscrite dans la constitution, les communautés métropolitaines jouissent d'un statut politique différent de celui des régions et des municipalités.
Chez nous, l'île de Montréal est une des 17 régions du Québec et les communautés métropolitaines de Montréal et de Québec ne sont pas des instances politiques mais uniquement de concertation, outrageusement dominées en plus par la ville centrale.
Les structures de la communauté métropolitaine de Montréal sont complètement dysfonctionnelles d'ailleurs puisque celle-ci englobe la ville de Montréal et les villes de l'Île non fusionnées qui constituent la Région-MRC de Montréal, la ville-MRC-région de Laval, une partie des régions de Montérégie, Laurentides et Lanaudière, le tout se recoupant le territoire de 12 Municipalités régionales (MRC).
Il faut vraiment être masochiste ou indépendantiste-paranoïaque pour prétendre qu'un tel fouillis et une telle centralisation sont une caution pour l'indépendance et qu'une réorganisation des gouvernements territoriaux ouvrirait la porte à l'anarchie, à l'ingérence d'Ottawa et à la partition du Québec. Il faut surtout avoir perdu tout sens de la démocratie.