Dominique Lebel était directeur de cabinet adjoint de Pauline Marois. À ce titre, se vante-t-il, il a participé à toutes les réunions du Conseil des ministres et a été témoin de toutes les rencontres stratégiques. L’intimité du pouvoir (Boréal) est son journal politique (2012-2014), dans lequel il a consigné, au jour le jour, les rencontres, les débats et les états d’âme de Madame Marois et de son entourage.
Les médias traditionnels ont surtout relevé ses portraits, souvent peu flatteurs, de membres du Cabinet, mais une lecture plus attentive est riche de leçons pour les militants indépendantistes. Deux d’entre elles s’en dégagent.
Premièrement, la faiblesse du gouvernement Marois devant les multinationales, plus particulièrement les sociétés minières où la ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet apparaît être la seule à vouloir leur tenir tête. Nous y reviendrons dans un autre article.
Deuxièmement, l’amateurisme à faire pleurer de Mme Marois et de sa chef de cabinet et principale conseillère Nicole Stafford, et l’absence totale de stratégie sur la question de la souveraineté en prévision de l’élection d’avril 2014.
Pourtant, dès le 11 décembre 2013, le directeur général du Parti Québécois Sylvain Tanguay avait prédit que le Parti libéral ferait la prochaine campagne sur la souveraineté. « ‘‘La vraie question stratégique pour nous est de savoir comment nous allons placer la question de la souveraineté dans la prochaine campagne, parce que les libéraux, eux, c’est le positionnement qu’ils vont prendre’’, insiste-t-il », nous dit Dominique Lebel.
Une prédiction qui s’est avérée exacte. Mais, personne n’en tiendra compte. Le gouvernement Marois devait être le gouvernement de la « gouvernance souverainiste ». Le concept n’a jamais été précisé et n’a jamais été un sujet de préoccupation pour Mme Marois et son entourage.
Ce n’est que le 6 mai, que Nicole Stafford réunit – pour une première fois depuis le 30 novembre! – une dizaine de personnes pour une rencontre sur la stratégie politique. Quel constat fait le comité?
« Nous perdons de tous les côtés, écrit Lebel. Ceux qui seraient susceptibles d’applaudir à nos efforts en matière de finances publiques ne nous témoignent aucune reconnaissance, alors que ceux qui en souffrent nous accusent de les laisser tomber. Nous décevons nos alliés, et ceux qui pourraient adhérer à nos politiques font la sourde oreille. »
Comment entend-on rectifier le tir? En continuant à faire « le grand ménage » dans les finances publiques, avance Mme Marois !
Sylvain Tanguay sent bien que ce n’est pas la voie à suivre. Le 12 juin, il a l’outrecuidance, raconte Lebel, de proposer « un remaniement ministériel et des changements dans l’entourage de Madame. Il souhaite que nous donnions un signal. Nicole réagit fortement. ‘‘Faire des changements d’entourage, ça ne donne pas de points dans les sondages’’. Madame écoute sans broncher ».
Deux mois plus tard, le couple Marois-Stafford dépose les armes. Lebel écrit dans son journal, en date du 20 août : « Nicole ne voit pas comment nous pourrions mener la prochaine campagne sur la souveraineté. ‘‘Ce n’est pas dans le débat. Nous aurions l’air déconnectés. Vraiment, je ne vois pas’’. Madame en rajoute : ‘‘Je ne crois pas que nous pourrions annoncer la tenue d’un référendum dans le prochain mandat. Le contexte n’est pas là’’. »
Lebel ajoute : « Nicole souligne que la peur d’un référendum explique en bonne partie les résultats médiocres du Parti québécois en 2012. La première ministre conclut la discussion en réitérant son plan de match. ‘‘On va accentuer la promotion de la souveraineté par le Parti; on va recadrer le discours sur la gouvernance souverainiste; on va avancer avec l’idée d’un livre blanc sur les relations entre Québec et Ottawa’’ ».
On refile donc la tâche au parti, qui est sans direction et sans moyens, on « recadre » un discours qui n’a jamais eu de « cadre » et on sort de son chapeau un « livre blanc »! C’est un enterrement de première classe.
Mais le projet souverainiste était à l’agonie depuis fort longtemps. Le tandem Marois-Stafford lui a coupé l’apport d’oxygène en s’assurant de faire battre dans les instances du parti toute proposition ayant pour but de préparer un référendum. On pense, entre autres, à une proposition en ce sens de Mme Lisette Lapointe.
Malgré tout, surtout à cause de la Charte sur la laïcité, le PQ remonte dans les sondages et, au déclenchement des élections, un gouvernement péquiste majoritaire est en vue. Deux thèmes sont ciblées: l’économie et l’identité. Rien de prévu sur la souveraineté, sinon le livre blanc, malgré la présence de Pierre Karl Péladeau.
C’est vite la catastrophe. Dominique Lebel documente le long calvaire dans son journal.
Dès la première journée, le 5 mars, « certains journalistes commencent à noter qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’interroger la première ministre. (…) Madame montre des signes d’impatience. ‘‘On aurait dû répondre à leurs questions’’ », relate Lebel.
Le lendemain, il fait le constat : « On a pleinement conscience d’avoir raté le départ. Madame trouve que ça débute mal. ‘‘On aurait dû répondre à leurs questions hier’’, répète-t-elle ».
Et ça se poursuit.
9 mars. « Depuis le début, la souveraineté est très présente dans la campagne. Ce qui n’était pas le plan de match. (…) Nous n’avons plus le vent en poupe depuis le déclenchement des élections. »
10 mars. « Le sujet du jour : ses actions dans Québecor. Les vendra-t-il? Peut-il être ministre et propriétaire de médias? Péladeau et Madame ont été préparés pour répondre à ces questions, mais ils ne réussissent pas à franchir le mur. Ils paraissent sur la défensive ».
11 mars : « Madame parle de tourisme. Ses propos semblent venir de nulle part. Les journalistes sont dix, quinze, vingt à vouloir interroger la première ministre. Je note rapidement les sujets : l’impact de la souveraineté sur le tourisme, la présence ou non de douanes entre le Québec devenu pays et les provinces canadiennes, la question du passeport québécois et autres choses connexes. Je ne me méfie pas ».
12 mars. « Nous devons absolument recentrer le message vers l’économie, la solidarité, l’environnement. Nous sommes sans arrêt sur la défensive. »
13 mars. « Le thème du jour : l’entreprenariat. Les questions des journalistes portent sur la souveraineté et les actions de Péladeau dans Québecor. »
14 mars. « La campagne prend un tour référendaire. Madame présente un engagement du Parti en environnement dans l’indifférence totale. C’est comme si notre programme électoral ne se distinguait pas suffisamment de celui du Parti libéral dans l’œil des journalistes. Ils se rabattent donc sur le référendum afin de créer la polarisation propre à toute campagne. »
Et le reste de la campagne est à l’avenant.
La veille du jour du scrutin, Dominique Lebel a un éclair de lucidité. Il écrit : « Le Parti Québécois n’a jamais pris la mesure des conséquences de la défaite référendaire de 1995. Ni de la nature du gouvernement fédéral de Stephen Harper. Ni de la demi-victoire de 2012. Ni de l’évolution de la jeunesse québécoise ».
C’est un peu tard! Mais c’est surtout le constat de son propre échec comme conseiller politique.
Un autre élément capital semble lui avoir échappé : le rôle de médias. Au cours de la campagne, il note : « C’est comme s’il y avait deux campagnes. Ce que Madame met en avant dans ses déclarations, souvent en compagnie de candidats, et celle qui se construit à partir des questions des journalistes ».
Là, encore, il aurait dû savoir. Surtout, après sa rencontre, plusieurs mois auparavant, avec Guy Crevier, éditeur de La Presse qu’il relate de la façon suivante : « Je rencontre Guy Crevier, éditeur de La Presse, à ses bureaux. Il se lance dans une charge à fond de train contre le gouvernement. ‘‘Très mauvais début de mandat; rupture avec les milieux économiques; mesures budgétaires rétroactives; faiblesse du ministre des Finances’’. Je sors de cette rencontre ébranlé ».
Que de naïveté ! De leur propre aveu, les fédéralistes abordent le débat sur la souveraineté comme une « guerre », dont les élections constituent les batailles privilégiées. Du côté du tandem Marois-Stafford et de leur entourage politique, on s’est amené sur le champ de bataille désarmé, sans stratégie et sans état-major. Pas étonnant que devant tant d’amateurisme, les militants se désespèrent et les électeurs se défilent.
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