Fatigués d’entendre dire que le français recule au Québec au profit de l’anglais ? Surprise ! L’anglais recule plus rapidement que le français, notamment dans la région de Montréal.
Le Secrétariat à la politique linguistique, le Conseil supérieur de la langue française et l’Office québécois de la langue française (OQLF) se sont mis à trois pour nous annoncer la bonne nouvelle, dans la brochure La dynamique des langues au Québec en quelques chiffres 1996-2011 qu’ils viennent tout juste de publier conjointement.
Selon leur brochure, durant la période 2006-2011 le poids de l’anglais, langue d’usage, a recommencé à baisser au Québec, alors que celui du français a pratiquement cessé de reculer. Malgré l’immigration record entre ces deux recensements les plus récents.
Cela clôt le débat sur le nombre d’immigrants qu’il convient de recevoir par année. Du moins en ce qui concerne l’effet d’une immigration massive sur le caractère français du Québec.
La nouvelle tombe pile pour Philippe Couillard qui veut maintenir l’immigration à son niveau record actuel, voire le hausser encore davantage. Ce n’est sans doute qu’une pure coïncidence aussi que ce soit le gouvernement Couillard qui ait nommé les dirigeants des trois organismes en question.
Voyons comment ils manipulent, par exemple, les chiffres sur la langue d’usage, ou langue parlée le plus souvent à la maison, de manière à faire triompher le français.
Ils regroupent dans une catégorie « Langues multiples avec le français » toutes les personnes qui déclarent parler le français conjointement avec d’autres langues comme langues d’usage. Ils les additionnent ensuite aux personnes qui déclarent le français comme seule langue d’usage. Ils limitent l’anglais, par contre, aux personnes qui déclarent l’anglais comme langue d’usage unique.
Et le tour est joué. En regroupant les données de cette façon inégale, leur brochure indique qu’entre 2006 et 2011 le poids du français, langue d’usage, aurait fléchi d’un négligeable 0,1 point de pourcentage tant dans l’ensemble du Québec que dans la région métropolitaine de Montréal et dans l’île. Au contraire, l’anglais aurait perdu 0,2 point au Québec et 0,5 point dans la région métropolitaine et dans l’île.
Avantage au français, donc. À condition de fausser les données en sa faveur.
Hormis l’intérêt de soumettre à son patron un portrait complaisant de la situation, rien ne justifie un tel procédé. Une personne qui déclare parler le français et l’anglais également souvent comme langues d’usage à la maison est autant de langue d’usage anglaise que de langue d’usage française. Quelqu’un qui déclare parler l’italien, le français et l’anglais également souvent à la maison est autant de langue d’usage anglaise que française et italienne. Un individu qui déclare l’arabe et le français comme langues d’usage est pour moitié de langue d’usage arabe et pour moitié de langue d’usage française.
C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit de résumer la dynamique des langues dans les grandes lignes, il convient de distribuer également ces déclarations de bilinguisme ou de trilinguisme entre les langues déclarées. Statistique Canada, en particulier, emploie cette méthode de simplification pour dégager la vue d’ensemble de la situation qu’il publie après chaque recensement.
Suivons le mouvement des données lorsqu’on les simplifie de manière égale. Commençons avec la dynamique en 2001-2006, afin de mieux juger de ce que l’on s’attendrait normalement à voir en 2006-2011. L’essentiel des résultats ci-dessous provient des documents Le portrait linguistique en évolution et Caractéristiques linguistiques des Canadiens, publiés par Statistique Canada suite aux recensements de 2006 et 2011.
Entre 2001 et 2006, le poids du français, langue d’usage, perd 1,3 point de pourcentage au Québec, 1,8 point dans la région métropolitaine de Montréal, et 2,3 points dans l’île. En même temps, l’anglais gagne 0,1, 0,1 et 0,2 point dans les mêmes unités territoriales.
Recul record du français.
Entre 2006 et 2011, le français perd respectivement 0,6, 1,0 et 1,2 point, pendant que l'anglais gagne 0,1 point partout.
La dynamique demeure nettement défavorable au français.
Il y a plus. Statistique Canada nous avertit, dans Caractéristiques linguistiques des Canadiens, que le questionnaire tronqué imposé par Harper en 2011 a porté les gens à répondre différemment qu’en 2006.
L’organisme fédéral précise que, compte tenu de ce que nous savons concernant les naissances, décès et migrations survenus entre 2006 et 2011, « le [poids du] français comme langue maternelle au Québec aurait dû diminuer de façon plus importante au cours de cette période ». La même observation s’applique sans doute à la langue d’usage, dont l’évolution suit habituellement de près celle de la langue maternelle.
Les déterminants démographiques ont effectivement joué de même façon en 2006-2011 qu’en 2001-2006. L’immigration, en particulier, s’est maintenue à un niveau record.
Par conséquent, l’ampleur du recul du français observé entre 2006 et 2011, après simplification égale des réponses multiples, aurait dû ressembler davantage à celle constatée au moyen du questionnaire employé en 2001 et 2006. Autrement dit, nous aurions dû voir le français reculer encore plus nettement en 2006-2011.
Dans leur brochure, nos trois organismes québécois se gardent bien de nous rappeler cet avertissement capital.
L’OQLF tait également cet avertissement dans son étude Portrait démolinguistique 1996-2011, publiée en même temps que la brochure et qui lui sert de fondement. L’étude présente cependant les données sur la langue d’usage en 2001, simplifiées à la façon de nos trois organismes, alors que la brochure nous les dérobe.
De la sorte, l’étude de l’OQLF peut aussi comparer les données faussées pour 2001 aux données semblablement faussées de 2006. Entre 2001 et 2006, la catégorie « Français seul ou avec d’autres langues » perd respectivement 1,2, 1,8 et 2,2 points au Québec, dans la région métropolitaine et dans l’île de Montréal, tandis que l’anglais gagne 0,2, 0,3 et 0,3 point dans ces mêmes territoires.
Cela représente un recul du français à peu près identique, par son ampleur, au recul record du français en 2001-2006 obtenu par Statistique Canada en simplifiant les données de façon égale.
On voit à quel point la méthodologie qui fonde l’analyse de nos trois organismes est fautive. La simplification inégale des données dégage en effet un recul désastreux du français accompagné d’un léger gain de l’anglais en 2001-2006, suivi d’une stabilisation quasi complète du français assortie d’un recul de l’anglais en 2006-2011. Ce qui n’a aucun sens, vu que les déterminants démographiques n’ont guère varié entre ces deux périodes.
C’est quand même assez cocasse. Alors que Statistique Canada nous avertit que, selon toute vraisemblance, le recul du français en 2006-2011 est pire encore que ce que laisse voir le questionnaire Harper, nos trois organismes censés veiller au maintien du caractère français du Québec organisent les chiffres de manière à nous faire croire qu’on s’inquiète pour rien.
De toute évidence, Couillard peut compter sur la servilité de ceux qu’il a nommés à la tête de ces trois organismes.
Il va pouvoir continuer à jouer de sa lyre pendant que le Québec s’anglicise.
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