Au nom du Réseau de solidarité avec l'Amérique Latine et les Caraïbes de Québec
Voilà, c'est fait. On annonce dans tous les grands journaux de papier ou télévisés que Dilma Rousseff a été démise. Avec toute sorte de nuances comme quoi c'est le résultat d'un coup d'État constitutionnel ou qu'il s'agit de manoeuvres de politiques tout aussi corrompus qu'elle, comme si sa défense n'était pas le plaidoyer le plus éloquent de son innocence. Et de fait, comme il n'y a pas eu preuve de quelconque crime de sa part, elle demeure éligible à tous les postes électoraux.
On l'a dit, Dilma Rousseff a été de tous les combats contre les dictateurs brésiliens et elle a fini par succéder à Lula. À leurs deux, le Brésil pauvre est sorti partiellement de la misère qu'entretenait la puissante oligarchie de droite brésilienne depuis des lustres. L'accès à l'université a été élargi à toutes les classes sociales. Une certaine prospérité a fait parler du Brésil comme d'un pays émergent. i.e. que son image de néo-colonie, où une classe de grands propriétaires terriens et de militaires faisaient la loi et l'ordre, s'est transformée en ce que nous associons à une relative prospérité dans nos pays : des emplois nouveaux, une économie sortant de la dépendance, une richesse nouvelle à partager, des institutions moins corrompues, une démocratie revivifiée, ...
Tout ce dont un pays peut rêver pour parler d'émergence dans un monde divisé entre nations riches et nations pauvres, le Brésil semblait le connaître avec le Parti des Travailleurs dont l'ascencion au pouvoir avait été suivi par les syndicalistes, les paysans sans terre, dans les favelas ou bidons-villes, dans la jeunesse, parmi les moins nantis du Brésil, dans les communautés ecclésiales de base et chez les artistes qui ont massivement protesté contre le coup d'État.
La droite rongeait son frein, toute à la hâte de se défaire de ce qui érodait ses privilèges pendant que les politiques du Parti des Travailleurs assuraient à l'économie d'ensemble un élan nouveau vers la prospérité. Le Brésil suscitait l'envie du monde et se plaçait désormais parmi ceux dont il faut compter l'influence dans les différents traités économiques internationaux. Comment ne pas faire le lien entre cette situation et l'élection d'un gouvernement de gauche et progressiste qui a à coeur le bien commun plutôt que les éternels vaches sacrées et les acquis des privilégiés ?
Politiquement, les moyens dont a disposé la droite pour son coup d'État ont été mis en place par Lula pour combattre la corruption. C'est ainsi que peut paraître se renverser contre la gauche des réformes qu'elle promeut pour améliorer les choses. Mais il faut aller plus loin dans l'analyse et ne pas se laisser berner par les apparences.
Plusieurs ont observé que le système juridique s'est tout à coup politisé radicalement pour refermer son piège contre le régime de gauche. On a vu de multiples juges, assesseurs, magistrats trouver tout à coup à la gauche des défauts impardonnables qu'ils laissaient impunis quelques temps auparavant. Tout à coup les lois nouvelles édictées par les nouveaux gouvernements ont été appliquées à l'encontre et avec parcimonie à des élus de gauche et particulièrement contre Dilma Rousseff.
Par-dessus tout, des alliances ont éclatées qui laissent entrevoir des carrières nouvelles à droite ouvrant des opportunités d'accès au pouvoir que certains n'auraient pas eu sans leur élection à gauche dans le vent de changement qui soufflait sur le Brésil. Des carrières s'épanouissent à droite dont le strapontin était de gauche. Et un vent contraire souffle, mais teinté de l'opportunisme qui fait passer de la gauche à la droite sans que se posent les questions de moralité politique devant prévaloir à ces choix de changer de camps.
Dilma ira en Cour Suprême. Cette voie légale aura-t-elle vertu de calmer la grogne populaire contre le coup d'État ? La Brésil évitera-t-il la vindicte internationale de ses paires ? Des ambassadeurs de l'Équateur, du Venezuela, du Nicaragua ont quitté le pays. Le El Salvador étudie la question. La lutte semble loin d'être clause comme on le laisse entendre souvent dans nos propres médias car on y néglige ce qui a changé profondément en Amérique du Sud ces dernières années : une volonté d'indépendance, notamment par rapport au grand frère étasunien, rarement vu dans le passé. Une même volonté de voir à ses propres affaires sans les ingérences qui avaient si lourdement favorisé les militaires dans une gestion réactionnaire, autoritaire et de contrôle téléguidé de l'extérieure.
Voilà bien qui pourrait marquer le destin de l'Amérique du Sud et du Brésil même dans les conditions où la droite reviendrait au pouvoir. Elle n'y reviendrait pas sans que des institutions politiques nouvelles, comme ces partis de gauche ayant connu le pouvoir et y aspirant à nouveau, n'aient laissé une empreinte indélébile sur les sociétés sud-américaines. Ce sont les progrès que laissent habituellement derrière eux, quand ils ne sont pas complètement démoralisés et laissés divisés par les défaites, les partis sociaux-démocrates, de gauche ou révolutionnaires. Ou en tout cas ce que leur apparition et pérennité reflètent en politique des progrès et des aspirations nouvelles parmi les couches populaires au fil des montées de la colère face au mépris, à l'indigence ou à la violence arbitraire.