L’écrivaine et militante laïque Djemila Benhabib a affirmé hier en Cour supérieure qu’elle referait exactement la même interview qu’elle a accordée en février 2012 à l’animateur du 98,5 FM, Benoît Dutrizac, une entrevue au cours de laquelle elle a dénoncé certaines pratiques religieuses des Écoles musulmanes de Montréal, notamment la récitation coranique de versets violents et sexistes imposée aux jeunes enfants et l’obligation du port du voile islamique pour toutes les petites filles de l’institution.
Les valeurs véhiculées par les Écoles musulmanes de Montréal sont contraires aux valeurs fondamentales du Québec, a estimé en gros hier le Prix international de la laïcité 2012 au cours de son percutant témoignage. Le modèle de société offert aux Écoles musulmanes n’est pas le modèle sociétal du Québec. « Le site internet de l’école était une vitrine de cette école », a-t-elle ajouté.
Les Écoles musulmanes de Montréal, subventionnées à hauteur de 400 000 $ par année par le gouvernement du Québec, n’ont pas apprécié d’être ainsi prises à partie par Mme Benhabib. Elles poursuivent donc l’ancienne candidate du Parti québécois pour des propos soi-disant anti-coraniques et pour avoir comparé les pratiques religieuses de l’école à de l’endoctrinement digne de camps militaires en Afghanistan et au Pakistan. Le montant de la poursuite, qui a des allures de poursuite bâillon, s’élève à 95 000 $.
Lentement, calmement et fermement, Djemila Benhabib a réfuté une à une, devant la juge Carole Hallée, les prétentions de ses accusateurs. Elle a d’abord raconté son cheminement personnel, ayant été élevée par un couple mixte (un père algérien et une mère chypriote grecque), laïque, progressiste et fortement engagé dans les luttes sociales et politiques. Ce milieu familial fut à l’origine, a-t-elle expliqué, de ses convictions républicaines, laïques et jacobines. Elle a raconté avoir reçu, à l’école publique, des cours d’enseignement religieux où elle a été assujettie à la mémorisation coranique et avoir grandi dans une société musulmane où la présence des femmes n’était pas acquise.
Toute sa vie, et en particulier à partir des années noires de l’Algérie de la décennie 1990, la question de l’islam est demeurée pour elle une question centrale et névralgique. Elle a raconté comment le Front islamique du salut (FIS) qui voulait faire de l’Algérie un État théocratique, a donné la directive de voiler les femmes, assassinant celles qui refusaient de le porter.
Menacés de mort par les islamistes, elle et sa famille ont été contraintes à l’exil en France en 1994. Mme Benhabib a été reçue au Québec comme réfugiée politique en 1997. Après avoir reçu sa maîtrise en sciences physiques, l’auteure de Ma vie à contre-Coran a fait des études en sciences politiques et en droit, obtenant ainsi une seconde maîtrise. Mme Benhabib a raconté hier avec émotion que son face-à-face avec l’hydre islamiste l’a poussée à intellectualiser ses constats et à leur donner une dimension autre qu’affective. « Je suis allée chercher des moyens intellectuels pour mettre des mots sur ce que j’avais vécu ».
Abordant la question de l’entrevue litigieuse, elle a affirmé qu’il était inacceptable d’enseigner aux enfants des versets violents parlant d’ébouillantés ceux qui ne suivent pas le chemin d’Allah et de parler de « houris », des vierges promises en récompense au paradis pour les hommes. « On n’a pas à distinguer si une femme est vierge ou pas » a-t-elle dit, « c’est une atteinte à la dignité des fillettes ».
Elle a affirmé que si elle a parlé d’endoctrinement digne de camps militaires en Afghanistan et au Pakistan, c’est pour souligner la rigidité de cet enseignement religieux et l’obéissance au dogme. Elle a ajouté que de telles écoles n’existent pas au Maghreb et que le seul endroit où l’on a des écoles semblables, c’est en Afghanistan et au Pakistan.
C’est grave d’enseigner à des petites filles que le rôle sexuel des femmes, c’est de servir de récompense aux hommes, ajoutant que ce type d’enseignement qui se fait dans cette école musulmane est en contradiction avec nos valeurs. « L’égalité est un levier important dans une démocratie et ne pas s’en soucier, c’est ne pas tenir compte de l’évolution historique du Québec. Je voulais que les gens comprennent le sérieux de tout cela, a-t-elle dit, j’étais en mode lanceur d’alerte ».
Mme Benhabib a reconnu que ses critiques adressées aux Écoles musulmanes étaient « sévères mais ce que j’ai lu était grave », a-telle précisé.
L’écrivaine a également rappelé la virulence de la campagne d’intimidation dont elle a été la cible après sa fameuse entrevue de février 2012 (courriels haineux et menaces diverses). Les centaines de courriels reçus et leur caractère répétitif démontraient qu’il s’agissait d’un mouvement organisé qui touchait également l’animateur du 98,5 FM, Benoît Dutrizac.
C’est pour cette raison, a-t-elle témoigné, qu’elle a accepté une entrevue de suivi le 22 février 2012 à la même station de radio. «Je ne cèderai jamais à l’intimidation», a lancé la militante laïque qui voulait également marquer, à ce moment-là, à quelle famille de pensée musulmane elle appartenait, celle d’un grand mouvement réformiste qui a pris naissance dans les années 50 en Égypte et qui remettait en question le dogme. « Je m’inscris dans ce courant réformiste », a-t-elle expliqué à la juge Carole Hallée. « Ma culture n’est pas une aliénation, elle est une libération », a-t-elle lancé.
Djemila Benhabib a de plus fait état hier de son opposition au financement par l’État des écoles religieuses. « Les religions sont des particularismes », a-t-elle dit. « Et l’État n’a pas à financer des particularismes », a-t-elle insisté tout en soulignant son opposition à une société érigée sur les bases du multiculturalisme.
Le procès se termine aujourd’hui, jeudi, avec les plaidoiries des avocats des deux parties, Me Julius Grey pour les Écoles musulmanes et Me Marc-André Nadon pour Djemila Benhabib.