Juste à temps pour la rentrée scolaire, le Journal de Québec a signé deux articles portant sur le programme d’anglais intensif en sixième année du primaire. Dans le premier, intitulé « L’anglais intensif encore peu implanté », on déplore que « cinq ans après l’annonce du gouvernement Charest, seulement 15 % des élèves de sixième année ont accès à un programme d’anglais intensif ». Dans le deuxième article, intitulé « L’anglais intensif aurait des impacts positifs pour les élèves en difficulté », il est écrit que, selon un relevé fourni par la Commission Scolaire des Découvreurs (CSDD), pour les élèves sans difficultés d’apprentissage «la moyenne des élèves en anglais en deuxième secondaire est de 73% pour ceux qui ont fait de l’anglais intensif comparé à 70% pour ceux qui n’ont pas suivi ce programme ». Il est aussi affirmé que pour les élèves en difficulté d’apprentissage avec un plan d’intervention, « une fois au secondaire, ces élèves réussissent nettement mieux en anglais que les autres élèves en difficulté qui n’ont pas suivi le programme, avec au moins dix points d’écart selon les compétences à acquérir. Ces élèves réussissent par ailleurs mieux en lecture (72% comparé à 66%) et leurs résultats sont aussi supérieurs en mathématiques pour la compétence résoudre (78% comparé à 70%). En écriture et en mathématique pour la compétence « raisonner », leurs résultats sont semblables ou légèrement supérieurs. »
Je me suis procuré « les relevés» produits par la CSDD. Il s’agit d’une compilation intitulée « Suivi de la réussite : cohorte 2012-2013 d’élèves de 6ième ayant ou non bénéficié de l’enseignement de l’anglais intensif » et d’une autre comparant les résultats aux épreuves des élèves de sixième année avec plan d’intervention qui ont fait ou non de l’anglais intensif. Comme il est de coutume dans ce domaine, la CSDD a produit de simples compilations de résultats scolaires, sans analyse statistique, sans correction pour le niveau socio-économique des écoles et des classes que l’on compare, etc. Bref il s’agit d’une compilation et non d’une étude menée selon la méthode scientifique. Une compilation qui n’est pas sans intérêt, mais il serait hasardeux d’en tirer de grandes conclusions.
Une limitation de ce genre de comparaison qui n’est pas souvent explicitée est que les notes des élèves dans les matières qui ne relèvent pas du spécialiste d’anglais sont attribuées par la titulaire de sixième année. Une titulaire qui n’a pas eu le temps de couvrir avec toute la profondeur souhaitable la matière pendant les 5 mois précédant le début de l’anglais intensif aura peut-être tendance à compenser à la correction des copies en tenant compte de la façon dont la matière a été vue. Ce n’est pas totalement rigoureux mais c’est humain. Un groupe qui va en anglais intensif et qui a eu peu de temps pour voir les notions va donc peut-être bénéficier d’une correction plus souple qu’un autre groupe qui a disposé de plus de temps. Bien entendu il s’agit d’une simple hypothèse qui n’a jamais été testée. Si cette hypothèse se vérifiait, voilà qui introduirait un biais fondamental qui n’est jamais pris en compte dans une simple compilation de données. Il faudrait effectuer une étude où la rédaction et la correction des examens des deux groupes à comparer est faite par une tierce partie. Cette étude n’existe pas à ma connaissance.
Voilà pour les préliminaires méthodologiques. Examinons le document intitulé « Suivi de la réussite : cohorte 2012-2013 d’élèves de 6 ième ayant ou non bénéficié de l’enseignement de l’anglais intensif ». En secondaire 1, l’on constate que le passage par le programme d’anglais intensif ne semble pas affecter dramatiquement les résultats en français et mathématiques et semble améliorer les résultats en anglais (3% de différence dans le programme d’anglais régulier et 1,4% de différence dans le programme d’anglais enrichi). La mise en place de l’anglais intensif ne semble pas conduire à une catastrophe dans les résultats au secondaire pour les matières autres que l’anglais et semble donner une amélioration des résultats en anglais. Fort bien. En secondaire 2, les résultats en mathématiques et français des deux cohortes (anglais intensif ou non) sont encore similaires et l’écart qui existait dans leurs résultats en anglais en secondaire 1 se résorbe partiellement. Comme si le groupe n’ayant pas fait d’anglais intensif améliorait son niveau d’anglais en secondaire 2 plus rapidement que celui qui est passé par l’anglais intensif ou comme si le groupe qui a fait de l’anglais intensif n’en retirait plus de bénéfices deux ans après. En secondaire 3, la tendance se confirme. Il y a une légère différence à l’avantage des groupes d’anglais intensif dans les résultats des cours du programme d’anglais régulier et une différence très probablement non significative en français, mathématiques et … en anglais enrichi! Ceux qui suivent le programme d’anglais enrichi au secondaire et qui ont fait de l’anglais intensif au primaire ne semblent pas performer mieux en anglais en secondaire 2 et 3 que ceux qui n’ont pas fait d’anglais intensif!
Quant aux résultats des élèves en difficultés d’apprentissage, la CSDD a produit une compilation des résultats aux épreuves du ministère des élèves de sixième année en 2014-15. Sur la première page, on présente les résultats pour tous les élèves avec ou sans anglais intensif. Sur la deuxième page, on présente les résultats des élèves en difficultés d’apprentissage avec plan d’intervention (PI) avec ou sans anglais intensif. Les résultats semblent démontrer de bonnes améliorations en anglais pour les élèves qui ont fait de l’anglais intensif et des résultats égaux ou légèrement supérieurs en français et mathématiques. Pour les élèves avec PI qui font de l’anglais intensif, l’amélioration en anglais est impressionnante et, chose intéressante, il semble aussi y avoir une amélioration en français dans la compétence « lire » et en mathématiques dans la compétence « résoudre ». D’où le titre de l’article du Journal de Québec du 6 septembre 2016 : « L’anglais intensif aurait des impacts positifs pour les élèves en difficulté ». Une chose a cependant attirée mon attention : les résultats de « tous les élèves » présentés en page 1 incluent également les élèves avec PI. Drôle de comparaison. Ne faut-il pas plutôt comparer l’impact de l’anglais intensif sur les élèves sans difficultés d’apprentissage séparément de ceux avec difficultés d’apprentissage?
Si on refait l’analyse pour les élèves sans PI, c’est-à-dire sans difficultés d’apprentissage ou « réguliers », ceux-ci bénéficient-ils des cours d’anglais intensif? A partir des données de la CSDD, j’ai donc recalculé les résultats pour les élèves « réguliers » (voir Tableau 1). Les résultats indiquent que les élèves « réguliers » qui font de l’anglais intensif ont des résultats inférieurs en français et mathématiques à ceux qui ne font pas de l’anglais intensif. Et pour ce qui est des résultats en anglais, la différence passe de 7,2 points de différence pour « tous les élèves » à 5,1 points pour les élèves sans PI qui font de l’anglais intensif pour la compétence en anglais « Communiquer » et de 10,3 points à 8,6 points pour la compétence en anglais « Ecrire ». Bref, non seulement les élèves réguliers qui font de l’anglais intensif réussissent moins bien en français et mathématiques comparativement à ceux qui ne font pas d’anglais intensif, mais en plus, leur amélioration en anglais est plus modeste que ce que la CSDD veut bien nous faire croire!
Résultats pour les élèves sans PI avec ou sans anglais intensif (AI)
|
Elèves réguliers avec AI (%) |
Elèves réguliers sans AI (%) |
Français « Lire » |
80,2 |
80,6 |
Français « Ecrire » |
82,7 |
83,5 |
Mathématique « Résoudre » |
87,8 |
89,3 |
Mathématique « Raisonner » |
80,6 |
82,1 |
Anglais « Communiquer » |
91,5 |
86,0 |
Anglais « Ecrire » |
88,7 |
80,1 |
Bref, sur la base des chiffres rendus publics par la CSDD, on peut conclure ceci :
1) Les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage avec plan d’intervention semblent bénéficier de l’anglais intensif. Des études sont requises afin de comprendre pourquoi et si ces résultats sont réels et statistiquement significatifs.
2) On ne sait pas ce qui arrive aux élèves avec difficultés d’apprentissage au secondaire, les données ciblant ce groupe n'étant pas disponibles. Il serait pertinent de les suivre.
3) Les élèves « réguliers » sans difficultés d’apprentissage qui font de l’anglais intensif voient leurs résultats en français et mathématiques chuter.
4) Leur amélioration en anglais est modeste.
5) L’amélioration des résultats en anglais semble être transitoire et se résorber presque totalement à partir de secondaire 2, surtout pour les élèves inscrits en anglais enrichi.
6) Il faut faire une étude où la correction et la rédaction des examens sont faits à l'aveugle par un tiers parti.
Bref, l’anglais intensif est loin d’avoir les effets magiques que certains tentent de lui attribuer. En absence d’études offrant des résultats statistiquement significatifs, au lieu de s’intituler « L’anglais intensif aurait des impacts positifs pour les élèves en difficulté », un article publicisant les résultats de la CSDD aurait tout aussi bien pu s’intituler « L’anglais intensif nuirait aux élèves sans difficultés d’apprentissage » ou bien « Anglais intensif au primaire : peu d’amélioration dans les résultats en anglais au secondaire ».