Régulièrement des jeunes -et des moins jeunes- posent la question : « Qu'avons-nous de si particulier et de si différent du Canada et des États-Unis qu'il faille nous séparer? » Genre, hier encore, ces deux jeunes brillants de par chez nous:
« Je suis plutôt favorable à faire du Québec un pays. Mais je crois qu'on doit le faire avec la ferme intention d'inclure tous les gens qui constitue le Québec. Il faut aussi protéger notre langue et notre culture. Mais c'est quoi notre culture au juste? Qu'est-ce qui unit les québécois et qui les différencie du reste du Canada, à part la langue, le français ? » « Personnellement, j'ai déchanté de l'indépendance. Je pourrais vivre avec, mais je ne la crois pas nécessaire. Je ne nous crois pas dépendant. Nous faisons partie du Canada, un des pays avec la meilleure qualité de vie dans le monde, dans lequel nous avons un poids politique proportionnel à notre population. Nous avons plus en commun avec les anglais du Canada que de choses qui nous divise. Je pense que l'idée d'indépendance est une distraction empreinte de romantisme, mais une distraction quand même. Pourquoi tout projet social et politique qu'on puisse envisager repose toujours obligatoirement sur l'indépendance? La gauche québécoise fait du surplace depuis 20 ans à cause de ça. » Quand j'entends ça, j'ai toujours envie de dire : mais bon dieu! d'où est-ce que vous sortez?
Et je me dis que la vraie menace à notre identité est moins l'immigration multiculturelle que tous ces jeunes atteints d'un syndrome d'amnésie et de déracinement lourd de conséquences. I. Comment pouvez-vous ignorer votre enracinement dans ce territoire que nous paratageons depuis plus de 400 ans avec les Premiers peuples qui s'y trouvaient bien avant, cette vallée extraordinaire du Saint-Laurent et ses hivers rigoureux? II. Comment pouvez-vous ignorer que vous descendez génétiquement et culturellement -de ces jeunes Français audacieux, Champlain en tête, qui ont tenté l'aventure d'un Nouveau-Monde et d'une Nouvelle-France? -de ces Indiens iroquois, algonquins, innus, cris, libres, égalitaires et naturalistes, avec qui nous avons fondé ce pays tolérant et fraternel et appris à aimer la nature? -des coureurs de bois qui ont pénétré, en canot d'écorce et avec l'aide des Indiens, jusqu'aux limites de l'Amérique, à la Nouvelle-Orléans au Sud, aux Rocheuses à l'ouest, à la Baie-d'Hudson au nord, aux Iles-St-Pierre-et-Miquelon et aux côtes de la Nouvelle-Angleterre à l'est? -des paysans qui ont défriché les terres et fondé des villages le long du Saint-Laurent et jusqu'en Abitibi, au Lac-Saint-Jean, dans les cantons royalistes de l'Estrie et de l'Outaouais, et dans tout l'arrière-pays, sans l'aide d'aucun gouvernement? -de ceux qui se sont joints à nous et ont mêlé leurs chants et leur sang aux nôtres au cours des années, les Indiens d'abord, puis les Anglais, les Écossais, les Irlandais, les Italiens, les Polonais, et plus récemment, les nouveaux venus des quatre coins du monde? -des pêcheurs acadiens de l'Acadie, de la Gaspésie, des Iles-de-la-Madeleine, de la Basse-Côte-Nord qui ont fourni la morue sèche et salée au monde entier pendant des siècles, en échange de pitons valables uniquement dans les magasins de leurs patrons gersiais, les Robin et autres? -des bûcherons et des raftman canadiens français et irlandais qui ont coupé et transporté le bois à force de bras des hivers durant, pour les Anglais et les Américains, dans des chantiers misérables et infestés de poux et de vermine? -des patriotes qui ont subi les provocations, les dévastations et les répressions sanglantes d'un occupant qui voulait les faire disparaître comme peuple français en les écartant du pouvoir et des affaires? -des mineurs de Rouyn-Noranda, de Murdochville ou d'Asbestos, qui ont brûlé leurs poumons, leur cœur et leur foie sous terre, dans la poussière et l'humidité? -des ingénieurs et des travailleurs québécois qui ont bâti les barrages de Manicouagan, de la Baie-James, de la Romaine, et nos gratte-ciels, et nos ponts et nos échangeurs et nos autoroutes? -des artistes, écrivains, professeurs qui nous ont étonné et ont étonné le monde entier en parlant de nous, Vigneault, Leclerc, Riopel, Perreault, Charlebois, Laliberté, Céline, Tremblay, Pellerin et tous ceux qui témoignent de la créativité exceptionelle de notre peuple et nous divertissent et nous instruisent chaque jour encore? -de ces femmes qui ont eu 15 enfants, les ont habillés, nourris, réchauffés, instruits, souvent seules des hivers entiers, avant de pouvoir s'affirmer comme égales aux hommes plus que partout ailleurs? -de nos grands hommes politiques : Champlain, Papineau, Mercier, Duplessis, Lesage, Lévesque, Parizeau, qui ont défendu les droits de notre peuple et lui ont assuré un développement et un rayonnement malgré les conditions difficiles d'un Canada et d'une Amérique anglaise et capitaliste. III. Comment pouvez-vous ignorer que nous sommes toujours le seul peuple qui parle et vit en français en Amérique du Nord, sans pour autant ignorer l'anglais, et un français qui porte le sceau de notre survie et de notre joie de vivre dans ce pays nordique? Et comment ne pas en être fier et avoir à cœur de parler cette langue bellement? IV. Comment pouvez-vous ignorer que la Confédrération canadienne a été organisée -et continue à se développer- de façon à nous placer en minorité dans notre propre pays, à nous noyer dans un pays anglophone et à nous réduire à être une province et une ethnie parmi les autres, bien que nous soyons un des deux peuples fondateurs du Canada moderne, dans l'esprit toujours vivant du rapport de Lord Durham selon lequel nous sommes « un peuple fier, travaillant, doux, accueillant, ingénieux, honnête, sociable, gai, courtois, poli et hospitalier, mais un peuple ignorant, sans histoire et sans littérature, et surtout, un peuple arriéré, qui ne montre aucune aptitude pour l'entreprise et sera toujours inférieur à la race anglaise qui est appelée à prédominer dans le Bas-Canada (le Québec), même numériquement, comme elle le fait déjà par ses connaissances supérieures, sa volonté, son esprit d'entreprise et ses richesses supérieures » V. Comment pouvez-vous ignorer que le Québec ne dispose ni des pouvoirs ni d'un droit de veto, si ce n'est par ses députés minoritaires à Ottawa, sur la monnaie et les banques, la défense, les relations internationales, le commerce extérieur et interprovincial, les juridictions qui concernent plus d'une province, notamment certains ponts, certaines routes, les voies navigables, les aéroports, les quais, le fleuve, la voie maritime, la navigation, les eaux côtières, la pêche, les Premières nations, l'immigration, la poste, les brevets, l'assurance-chomage, le recensement, sans oublier la justice criminelle et familiale, la navigation de plaisance sur les lacs, les bases militaires, les Plaines d'Abraham, et les impôts que nous lui versons. VI. Dans chaque Québécois il y a, quelque part, un coureur des bois, un aventurier, un chasseur, un pêcheur, un bûcheron, un indien, un braconnier, un paysan, un bon vivant, un homme qui sait tout faire, un patriote. Bref, le Québec est de toute évidence un peuple distinct au Canada, en Amérique et dans le monde. Il est né en partenariat étroit avec les Indiens et nous en avons gardé un goût particulier pour la liberté et la nature. Nous sommes des Français qui ont passé 400 hivers au Canada, ce qui a fait de nous des costauds et des débrouillards. La langue et la culture françaises ont pris chez nous une couleur particulière : robuste, joyeuse, colorée. D'avoir résisté depuis 250 ans à la volonté des Anglais de nous faire disparaître comme peuple nous a ancré encore davantage dans notre identité propre. Le territoire que nous habitons et développons depuis 400 ans, le long du fleuve, nous relie profondément et fait partie de nous. Sans doute parce que nous avons toujours été un peuple de paysans pauvres, nous avons un sens inné de l'égalité et de la justice, ce qui nous a permis de développer une société plus égalitaire, plus solidaire, plus ouverte au monde que le monde anglosaxon. Tout ça fait que nous sommes un peuple et que, après tant d'année de statut minoritaire dans un pays anglophone qui est à l'opposé de notre culture, nous méritons de nous épanouir et de nous développer sans la tutelle de personne, par nos propres moyens, et de prendre notre place dans le monde comme tous les autres peuples. Le Canada a bien le droit d'être comme il veut, mais il restera toujours étranger pour nous; son pouvoir fédéral qui intervient à tout moment dans nos affaires nous nuit plus qu'il nous aide, car il nous empêche d'imposer notre propre direction, et ses choix économiques, sociaux, militaires et culturels ne sont pas les nôtres.
Nous sommes un pays, mais un pays sans papiers: il est normal que nous ayions le goût d'être un pays normal, officiel, indépendant, ouvert au monde et fier de lui. Il est temps d'acquérir nos papiers officiels et notre citoyenneté.
Photo : SSJB
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