Dans le Devoir du jeudi 12 janvier, le chef du Parti Québécois, M. Jean-François Lisée a fait connaitre ses propositions post-course à la chefferie concernant la langue française. Sur la forme, M. Lisée parle de choisir ses combats afin de ne pas « diviser la population ». Par ce choix de vocabulaire, il rejoint symboliquement les adversaires de la législation linguistique québécoise (et de l’indépendance…) qui instrumentalisent le concept de « division » depuis des lustres.
Est-ce nécessaire de répéter que le concept de « langue commune », qui est au cœur de la Charte de la langue française, est l’exact contraire de la « division »? M. Lisée, qui a répudié le concept rassembleur de « langue commune », pour celui beaucoup plus problématique de « prédominance du français », tombe ainsi dans le piège à ours tendu par les ennemis de la loi 101.
Sur le fond, les propositions, dont M. Lisée fait état dans le Devoir, se distinguent surtout par ce qu'il ne souhaite pas faire. M. Lisée ne souhaite donc pas:
1. Enlever le statut « bilingue » aux municipalités ne comptant pas une majorité d'anglophones. M. Lisée soutient que ce statut « bilingue » n'est qu'un « symbole », entendons « vide »: « Le coût politique d’enlever ce symbole n’est absolument pas compensé par un gain net dans la francisation au Québec », affirme-t-il.
Peut-être a-t-il raison. Quoi qu’il en soit, M. Charles Castonguay, spécialiste bien connu en démo-linguistique, avait étudié la question en 2013 pour conclure que les dites municipalités « bilingues » constituaient en fait les principaux foyers d'anglicisation au Québec.
Je le cite: « Loin de reculer depuis 1971, l’anglicisation des jeunes adultes de langue maternelle française a progressé dans le West Island. Dans l’ensemble des douze villes à statut bilingue dans l’île de Montréal, 21 % de ces francophones déclarent parler, au moment du recensement de 2011, l’anglais comme langue principale à la maison… En contrepartie, le taux de francisation des anglophones est d’un gros 1 %. Parmi les allophones, le taux d’anglicisation s’élève à 32 %, comparé à une francisation de 7 %. » Si ces villes sont prêtes à se battre pour conserver ce statut, c'est que celui-ci, loin d'être un « symbole vide », est d'une grande importance et leur permet d'établir un environnement local où l'anglais règne en maitre et leur permet d’assimiler massivement les jeunes francophones et allophones (21% et 32 respectivement chez les 25-44 ans en 2011!). Ces villes « bilingues » sont des territoires perdus à la loi 101.
2. M. Lisée ne souhaite pas non plus « retirer aux militaires francophones basés au Québec le privilège d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise ». Cette exception dans la loi 101 illustre à quel point l'armée canadienne est une organisation anglicisante : ceux qui en font partie ne voient point de salut hors de la langue anglaise (bon 150ième du Canada en passant!).
Il est vrai que cette mesure ne concerne que quelque 800 personnes actuellement. Mais il ne faut pas oublier que le droit d'aller à l'école anglaise se transmet à toute la descendance. L'effet au cours du temps suit donc une progression exponentielle. Le statut de militaire au Québec agit ainsi comme les écoles passerelles qui servaient à acheter le droit aux écoles anglaises publiques pour les familles fortunées. Le Québec a cru bon de fermer ces passerelles (que la Cour suprême du Canada a ré-ouvertes avec un jugement unilingue anglais, mais ceci est une autre histoire). Pourquoi les militaires feraient-ils exception? Concédons cependant que c’est une mesure structurante de faible ampleur.
3. M. Lisée ne souhaite pas non plus imposer la loi 101 au Cégep. Voilà un gros morceau. Rappelons que M. Curzi avait livré une bataille épique pour imposer l’idée d’étendre les dispositions de la loi 101 au cégep au PQ. M. Curzi et son équipe avaient produit plusieurs études afin d'approfondir la question. Dans une de ces études « Le grand Montréal s'anglicise », il était indiqué qu'environ la moitié des allophones scolarisés en français poursuivaient leurs études collégiales en anglais. Situation qui se poursuit si elle ne s’est pas aggravée depuis (curieusement, le ministère de l’Éducation a fait disparaitre les statistiques linguistiques d’inscription au collégial de son site web en 2013).
M. Curzi concluait: « Si la Charte de la langue française avait été appliquée au cégep dès 1993, près de 45 000 personnes de plus auraient jusqu’ici étudié en français plutôt qu’en anglais au collégial. Comme les études collégiales sont en amont du monde du travail, une des mesures à prendre afin de franciser le monde du travail montréalais serait donc d’y appliquer la Charte de la langue française. Enfin, même en prolongeant l’application de la Charte au niveau collégial, le réseau anglophone attirerait 33 % de plus de nouveaux inscrits que sa clientèle naturelle de langue maternelle anglaise alors que le réseau français en attirerait 9 % de plus. Actuellement, les réseaux français et anglais recrutent respectivement 1 % et 103 % de plus que leur clientèle naturelle ».
Pour illustrer ce propos, doit-on rappeler que Dawson College à Montréal est de loin le plus gros Cégep au Québec et recrute plus de 10 000 étudiants? Est-ce normal dans un État qui a le français comme langue officielle?
Sur son blogue, M. Lisée avait applaudi une étude publiée par l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) en 2010. Cette étude, un modèle du genre, montrait clairement que le passage au collégial anglais a un effet anglicisant important chez les non-anglophones quant à la langue d’usage privée et publique, si on compare avec le comportement linguistique des allophones et des francophones qui fréquentent le collégial français.
L’utilisation du français baissait drastiquement au plan de la langue de travail, de la langue de consommation des biens culturels, de la langue que l’on utilise comme consommateur et surtout de la langue utilisée avec les amis chez ceux qui étudient dans un environnement anglophone.
Qui plus est, les réponses obtenues quant aux questions posées sur les projets de vie venaient réfuter l’argument selon lequel le cégep anglais ne représente qu’une expérience temporaire permettant de perfectionner sa connaissance de la langue anglaise avant de réintégrer un environnement plus francophone.
En fait, le passage au collégial anglais est plutôt un tremplin vers des études universitaires en anglais et une intégration au marché du travail anglophone.
L’étude de l’IRFA montrait clairement que le choix du Cégep anglais résultait souvent d’une décision de tourner le dos au Québec français et de s’intégrer au monde anglophone. Ce n’est pas l’exigence de passer un examen de français au Cégep anglais comme le propose M. Lisée, qui viendra infléchir cette tendance lourde, que dis-je, massive.
Finissons avec ce que M. Lisée souhaite faire, ce qui est nettement moins long à traiter que ce qu’il ne souhaite pas faire : imposer la loi 101 aux entreprises de 25 à 49 employés, augmenter la proportion d’immigrants qui parlent français et imposer un « parcours » d’anglais enrichi dans les cégeps français.
Euh, pardon, M. Lisée est-il en train de dire qu’il veut angliciser les cégeps français afin de les rendre « plus attirants »? Ai-je bien compris? Sûrement une erreur du journaliste.
L’idée de franciser la langue de travail est bonne. Excellente, sublime même. Le problème réside dans l’application. Comment imposer une langue de travail dans un milieu privé?
Il faut savoir que la loi 101 est appliquée aux grandes entreprises depuis 1977. Cela n’empêche nullement que la langue commune du travail dans ces grandes entreprises à Montréal soit majoritairement l’anglais à l’heure actuelle, même dans les entreprises inscrites au processus de francisation!
La francisation des PME est donc un tigre de papier : bonne idée en théorie, difficilement applicable en pratique. Franciser la formation en amont en imposant, par exemple, la loi 101 au cégep aurait des effets structurants beaucoup plus importants qu’une bureaucratie tatillonne qui décerne des certificats de francisation parce que les employés utilisent le logiciel « word » en français tout en tenant leurs réunions en anglais.
Quant à la francisation de l’immigration, tout le monde est bien sûr pour la vertu. La francisation obligatoire est une bonne idée. Est-ce cela que M. Lisée propose? Si oui, c’est là sa proposition la plus intéressante. J’applaudis.
Cependant la francisation obligatoire ne suffira pas à inverser les effets structurants de l’accès sans limites aux institutions anglaises à Montréal et d’un marché du travail qui survalorise l’anglais. M. Charles Castonguay concluait au sujet de la francisation de l’immigration : « Cela ne démontre pas seulement à quel point le libre choix au cégep renverse l’effet de la loi 101 au primaire et au secondaire : cela démontre aussi à quel point on se leurre quand on confond la francisation des immigrants complétée à l’étranger avec ce qui se passe sur le terrain au Québec. »
Bref, les propositions de M. Lisée sur la langue n’auront pas d’effets structurants suffisants pour enrayer le déclin du français au Québec. Le recensement de 2011 avait montré que le pourcentage de francophones au Québec en 2011 était à son plus bas depuis le début de la Confédération (bon 150ième du Canada, en passant!). Celui de 2016 démontrera sans doute que la situation s’aggrave. La date de péremption du Québec français approche à grands pas.
M. Lisée veut des solutions « novatrices » qui le distancie de l’ère Marois et qui aient tout de même des effets structurants?
En voici quelques-unes: rendre l’inscription dans un programme d’anglais intensif en sixième année facultatif (et non obligatoire comme actuellement si le Conseil d’établissement vote pour); offrir des cours de langues autres que l’anglais au primaire et secondaire dans les écoles publiques (ce qui aurait pour effet de briser le duopole français-anglais dans les écoles qui est calqué sur la Loi sur les langues officielles fédérale); financer un programme de camps d’été linguistiques pour les parents qui souhaitent améliorer les connaissances en anglais, espagnol ou dans une autre langue de leur enfant tout en enlevant de la pression sur les écoles; rendre obligatoire une formation terminale en français pour accéder au marché du travail (les diplômes d’études spécialisés au secondaire, les diplômes de techniques collégiales devraient être offerts en français seulement); cesser d’offrir des services gouvernementaux en anglais à quiconque en fait la demande (le plus grand pourvoyeur de postes anglophones à Montréal est le gouvernement du Québec, il faudrait peut-être commencer par ça avant de franciser le monde du travail privé?).
M. Lisée n’aime pas la loi 101 au cégep? Il pourrait tout simplement rééquilibrer le financement des institutions postsecondaires pour refléter le poids démographique des francophones au Québec, ce qui aurait pour effet de transférer des sommes énormes vers les cégeps et universités de langue française (le gouvernement du Québec limite déjà les places d’études dans les institutions anglophones via ce mécanisme qui a le mérite de déjà exister).
M. Lisée est inconfortable avec le fait d’enlever le droit à l’école anglaise aux militaires? Qu’il s’assure au moins que ce droit ne puisse être transmis aux enfants des enfants de militaires.
Est-ce logique d’ouvrir une faculté de médecine en Outaouais qui soit une succursale de McGill et où l’enseignement se fait en anglais (un indice : non)?
Une fraction croissante de la population Québécoise ne comprend plus le pourquoi de la loi 101? Peut-être que des notions d’aménagement linguistique devraient être vues à l’école secondaire et devraient faire partie de la formation à une citoyenneté québécoise.
Bref, des idées structurantes pour enrayer le déclin du français au Québec, il y en a. Il faut cependant être conscient qu’aucune mesure structurante ne pourra être passée avec l’accord plein et joyeux de la communauté anglophone qui refuse de remettre en question ses privilèges et qui se fiche que le français soit en déclin au Québec.
M. Lisée avait d’ailleurs joliment analysé la situation en commentant un sondage publié par la revue l’Actualité en avril 2012. Je le cite : « Nous avons voulu voir si les anglophones du Québec se sentent de quelque manière personnellement engagés dans le combat pour le maintien de la société distincte, en adhérant à cette phrase : « En tant qu’habitant du Québec, j’estime qu’il est de mon devoir de contribuer à ce que le français demeure la langue la plus importante ici ». C’est non, et c’est non avec force : 72 % en bloc, presque 80 % chez les moins de 34 ans. Nous sommes ici au cœur du phénomène. Les Anglo-Québécois de 2012 interagissent avec le français comme jamais leurs parents et grands-parents ne l’ont fait depuis que Wolfe a mouché Montcalm sur les Plaines. Pourtant, ils se désolidarisent massivement du combat pour la permanence du fait français. Les chiffres sont brutaux : les nouveaux Anglos sont moins solidaires que les anciens, ceux de plus de 55 ans ».
Conclusion? Pour faire avancer le Québec, il faut être prêt à vivre avec la « division ».