Dans une chronique, intitulée Trump et nous, portant sur la représentation de « 8 », la pièce de théâtre de Mani Soleymanlou, où 8 acteurs jouant leur propre rôle cherchent collectivement le sujet de la pièce, Nathalie Petrowski rapporte que la proposition de faire une pièce sur la vie de René Lévesque est tombée à plat dans la salle, ne suscitant qu’indifférence, haussement d’épaules et silence.
Nathalie Petrowski fait le triste constat que « nous ne sommes plus le sujet de notre dramaturgie, de notre théâtre, de notre culture, en somme. Nous ne sommes à nouveau que des figurants de l’Histoire ».
Le propos de Nathalie Petrowski me rappelle le livre Le Roman sans aventure, d’Isabelle Daunais (Boréal), recensé par notre chroniqueur Simon Rainville et dont il résumait ainsi la thèse : le roman québécois n’intéresse pas le reste du monde, parce que son manque d’universalité relève de la vacuité de la condition québécoise, qui est une expérience du monde sans aventure.
C’est cette absence qui rend insignifiant notre roman au reste de l’humanité puisqu’aucun événement ne vient profondément bouleverser notre univers, donc notre roman.
Ces réflexions me sont venues en parcourant la Proposition principale de Jean-François Lisée pour le prochain congrès du Parti Québécois. 1153 paragraphes, des centaines de propositions, mais rien pour « bouleverser notre univers », rien pour inspirer nos romanciers.
Le plus intéressant et le plus frustrant dans le document est l’énumération de tous les pouvoirs du gouvernement fédéral, qui « nuisent à la prospérité du Québec », reconnaît-on, mais qu’on se résigne à ne pas réclamer, en repoussant aux calendes grecques la souveraineté.
Citons le document en ce qui concerne les seuls pouvoirs économiques. « L’État fédéral détient le pouvoir sur le commerce international, les banques, la navigation, les chemins de fer et la monnaie. Il s’est aussi arrogé le pouvoir sur l’aéronautique, les télécommunications, les pipelines et l’énergie atomique. Il entend faire de même pour le contrôle des services financiers et des valeurs mobilières. »
« Or, affirme-t-on avec raison, le Québec a besoin de tous ces leviers pour assurer sa prospérité économique. » Mais on va faire sans. On va se résigner à essayer d’agrandir la maison Québec par en-dedans. Encore une fois.
Pourtant, nous avons un projet de pays qui nous inscrirait, à coup sûr, dans l’Histoire universelle. Nous pourrions nous engager dans une « aventure » qui assurerait la plénitude de la condition québécoise.
En 1995, nous avons entrouvert la porte de l’Histoire. Les colonnes du temple canadien en furent ébranlées, comme l’ont révélé Chantal Hébert et Jean Lapierre dans leur livre Confessions post-référendaires (Éditions de l’Homme).
Dans l’éventualité d’une victoire du Oui, écrivent-ils, le chef de l’opposition Preston Manning aurait demandé la démission du premier ministre Jean Chrétien et de tout le cabinet fédéral. Il était prêt, à la tête des 52 députés réformistes, à fermer le Parlement ou à le paralyser pour provoquer des élections générales. Au sein même du Parti libéral, Brian Tobin, à la tête d’un groupe de ministres, aurait mené la charge contre Chrétien.
Le premier ministre Roy Romanow de la Saskatchewan avait formé un groupe de travail ayant pour instruction de n’exclure aucune option, y compris de rompre les liens de sa province avec la fédération canadienne amputée du Québec, de façon à ne pas être sous la domination de l’Ontario. Il avait demandé qu’on examine la possibilité que la province adopte le dollar américain pour amortir le choc de l’instabilité du dollar canadien.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick Frank McKenna craignait qu’un Oui rallume les passions linguistiques dans sa province et envisageait sérieusement l’hypothèse que les provinces atlantiques décident de quitter le Canada et fassent bande à part.
La Maison-Blanche s’inquiétait de l’effet d’entraînement qu’aurait pu avoir l’éclatement de la fédération canadienne. L’exemple québécois aurait pu inspirer les Autochtones du Canada, qui marchaient dans les sentiers battus et balisés par le mouvement national québécois, mais également les Autochtones, les Noirs et les Hispanophones états-uniens.
Cela aurait été un juste retour des choses, étant donné l’incroyable source d’inspiration qu’a été le mouvement des droits civiques des Noirs américains des années 1960 pour les « Nègres blancs d’Amérique ».
Quant aux Hispanophones, Samuel P. Huntington, le célèbre auteur du Choc des civilisations, tirait déjà la sonnette d’alarme en agitant le spectre d’un « Québec hispanophone » dans le sud des États-Unis, dans son livre Who Are We? The Challenges to America’s National Identity.
À l’échelle internationale, les Écossais et les Catalans reconnaissent aujourd’hui ouvertement l’impulsion que notre exemple a donné à leur lutte d’émancipation nationale. Imaginons l’impact si elle avait été victorieuse !
Déjà, en 1967, le « Vive le Québec libre » du général de Gaulle avait propulsé le Québec sur la scène internationale. À cause de son opposition à l’impérialisme américain et à des institutions comme l’OTAN, le général de Gaulle jouissait d’une popularité qui débordait largement du cadre de l’Hexagone. Elle englobait, bien entendu, les pays africains de la zone d’influence française, mais s’étendait également aux pays d’Amérique latine où le Général avait effectué une tournée triomphale l’année précédant son voyage au Québec.
Une déclaration d’indépendance du Québec aurait bénéficié d’un large soutien international. Mais le premier ministre de l’époque, Daniel Johnson, repoussa l’invitation du président français à s’engager sur le chemin de la libération du Québec.
Depuis l’échec de 1995, le Québec est devenu quantité négligeable au Canada et sur la scène internationale. Stephen Harper a prouvé qu’il était possible de faire élire un gouvernement majoritaire sans représentation significative au Québec et Justin Trudeau gouverne en tournant ostensiblement le dos à sa province.
Et quelle est la réaction du mouvement souverainiste? Son vaisseau amiral jette l’ancre et projette de demeurer en rade au moins jusqu’à l’an 2022 !
Cela au moment où, avec l’arrivée de Trump, s’annonce aux États-Unis une crise sociale, raciale et nationale hispanophone de grande ampleur, avec d’inévitables ondes de choc au Canada et au Québec.
Cela au moment où tout l’édifice des relations internationales mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est remis en question.
Historiquement, la question de l’indépendance du Québec s’est toujours inscrite dans les grands courants d’émancipation mondiaux, que ce soit dans le mouvement des indépendances nationales en Europe et en Amérique latine à l’époque des Patriotes ou dans celui de la décolonisation des années 1960-70.
Aujourd’hui, avec la faillite de la mondialisation et de ses structures supranationales, on peut prédire avec certitude que la question nationale quittera les coulisses de l’Histoire pour resurgir avec force à l’avant-scène et que le Québec aura un autre rendez-vous avec l’Histoire.
Aux indépendantistes de s’y préparer en refusant de se laisser engluer dans la gestion provincialiste et en se regroupant au sein du Bloc Québécois, avec une cheffe qui garde le cap sur la grande aventure où nous ne serons plus de simples figurants, mais des acteurs de l’Histoire.
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