Le 8 mars et la laïcité

2017/03/03 | Par Pierre Dubuc

Des progrès considérables ont été réalisés depuis que l’Internationaliste socialiste des femmes a adopté, en 1920, la résolution de Clara Zetkin proclamant le 8 mars Journée internationale des femmes.

Cependant, partout à travers le monde, les acquis ont été rabotés, écorchés, voire supprimés, par les mesures d’austérité néolibérales. Au Québec, le gouvernement Couillard n’est pas en reste, comme l’a brillamment démontré Aurélie Lanctôt dans son essai « Les libéraux n’aiment pas les femmes ».

Du côté d’Ottawa, une fois grattée le mince vernis féministe du gouvernement Trudeau, ne reste que la création de ce comité de femmes d’affaires canado-américain, avec Ivanka Trump, pour amadouer le président des États-Unis.

Depuis plusieurs années, l’intérêt des grands médias s’est concentré, le 8 mars, sur le « plafond de verre », qui empêche les femmes d’affaires d’aspirer aux mêmes postes de direction que les hommes. Quant aux centaines de milliers de travailleuses – presque aussi nombreuses que les hommes sur le marché du travail ­– elles portent toujours, dans leur très grande majorité, la responsabilité de la conciliation travail-famille, tout en marchant sur la « trappe de verre » de la précarité et du chômage.

 

Un mouvement paralysé par le débat sur la laïcité

Au moment où se forment, au sud de la frontière, de noirs nuages (anti-avortement, anti-immigration, anti-syndicalisme, etc.), qui commanderaient de serrer les rangs et de reprendre l’initiative de la lutte, le mouvement est paralysé par le débat sur les signes identitaires qui occupe tout l’espace médiatique.

D’aucuns disent qu’il faut le mettre de côté pour passer aux « vraies affaires ». C’est le cas du gouvernement Couillard, qui retire du débat le projet de loi 62 sur les signes religieux et le remplace par l’étude des dispositions des corporations professionnelles qui bloquent l’accès aux professions des immigrants.

Une même attitude prévaut également à gauche. Dans le livre « Ne renonçons à rien », compte rendu des 169 assemblées de cuisine et 19 consultations publiques de la tournée « Faut qu’on se parle », le thème de la laïcité est complètement évacué.

C’est un classique d’une certaine gauche de « renoncer » à débattre des questions politiques fondamentales, au profit des questions économiques et sociales de « proximité », au nom du « pragmatisme », comme l’affirme Gabriel Nadeau-Dubois dans Le Devoir du 18 février.

Pourtant, l’exemple du NPD, au cours de la dernière campagne électorale fédérale, aurait dû les faire réfléchir. En quelques jours, son soutien populaire au Québec s’est effondré, lorsque Thomas Mulcair a esquivé la question du port du niqab lors des cérémonies d’assermentation pour la citoyenneté.

Avec la résurgence des religions, le débat sur la laïcité est fondamental, particulièrement pour les femmes, y compris les femmes immigrantes, étant donné la misogynie de toutes les religions. Et ce débat ne concerne pas que l’islam. À l’échelle mondiale, les évangélistes font davantage de conversions que l’Islam et l’arrivée de Trump va leur donner un sérieux coup de pouce.

 

La troisième phase d’un même débat

Le débat actuel est la continuation de celui qui a marqué la Commission Bouchard-Taylor et la Charte des valeurs du Parti Québécois. Dans le camp des adversaires de la Charte, nous avions une alliance entre, d’une part, les partisans du multiculturalisme canadien, des droits de l’hommisme, cantonnés derrière la Charte canadienne des droits et, d’autre part, la gauche « altermondialiste », qui voit dans l’islamisme radical une force « révolutionnaire » d’opposition à l’impérialisme.

Dans le camp des partisans de la Charte, il y avait les héritiers du mouvement laïque des années 1960, partisans d’une laïcité intégrale. Mais le haut du pavé était tenu par les catho-laïques, qui ciblaient l’islam, tout en réclamant, au nom de « l’héritage culturel canadien-français », de ne pas toucher à ce symbole que constitue le crucifix à l’Assemblée nationale et, surtout, de ne pas remettre en question les subventions publiques aux écoles privées confessionnelles.

Les catho-laïques s’inscrivent dans un courant idéologique révisionniste, fort actif au cours des dernières années, qui nie la Grande Noirceur des années 1950, se réclame de l’héritage du duplessisme et minimise les acquis sociaux de la Révolution tranquille.

Ce courant se reconnaît dans une école de pensée française, qui incite à se porter à la défense de la culture judéo-chrétienne, menacée, proclame-t-elle, de disparition par l’offensive de l’Islam.

De façon encore plus globale, elle accrédite la thèse du « Choc des civilisations » – c’est-à-dire d’une inévitable guerre des religions – de l’auteur américain Samuel Huntington. Une thèse populaire au sein de l’extrême-droite états-unienne et reprise à son compte aujourd’hui par Donald Trump.

En Europe, tous les partis populistes d’extrême-droite campent sur les mêmes positions. C’est le cas du Front national de Marine Le Pen.

Au Québec, des partisans de la catho-laïcité expriment leur sympathie au Front national, en postulant qu’une victoire de Marine Le Pen, lors de la présidentielle française, relancerait le mouvement pour l’indépendance du Québec!

Tout au long de son histoire, le Québec a été influencé par les grands courants mondiaux. Le mouvement des Patriotes s’inscrivait dans celui des révolutions nationales en Europe et des indépendances nationales en Amérique latine. Au cours des années 1960, les souverainistes s’inspiraient du grand mouvement de la décolonisation, tout en absorbant l’influence de la Révolution cubaine et du combat pour les droits civiques des Noirs américains.

Mais les influences ne sont pas toujours venues du champ gauche de l’Histoire. Au lendemain de la défaite des Patriotes, et pendant une longue période de notre histoire, le Québec a été sous la domination de l’Église de Rome et des ultramontains.

 

Une seule politique unificatrice, la laïcité

Aujourd’hui, nous sommes confrontés au multiculturalisme néo-libéral à la Trudeau, avec sa conception d’un Canada post-national, comme il l’affirmait au mois de décembre dernier dans une entrevue au New York Times, et au repli identitaire et sectaire, prôné par les catho-laïques.

Notre statut minoritaire en Amérique du Nord nous oblige à rejeter le modèle du melting-pot américain et à nous défendre contre le multiculturalisme canadien, conçu pour nier notre qualité de nation et nous réduire au rang d’une minorité nationale parmi tant d’autres.

La Révolution tranquille nous a affranchi de la tutelle de l’Église catholique et a engendré, dans la pratique, un modèle de laïcité, qu’il s’agit aujourd’hui de compléter et d’ériger en législation. Le retour en force des religions et l’importance de l’immigration exigent une politique unificatrice, qui ne peut être que la laïcité intégrale.

Dans cette atmosphère religieuse digne du XIXe siècle, la gauche doit reconnaître la dimension réactionnaire de l’offensive de l’Islam, mais aussi des catho-laïques – qui prophétisent le déclin de l’Occident et le « Choc des civilisations » – en se réappropriant Karl Marx pour qui « la critique de la religion est la condition de toute critique ».

C’est une condition sine qua non pour une véritable relance de la lutte de toutes les femmes, immigrantes comprises, et de l’ensemble de la classe ouvrière.

Elle permettra également de marcher résolument vers l’indépendance du Québec. Cette dernière permettra au Québec de fixer ses propres seuils d’immigration, d’allouer les sommes nécessaires à l’intégration des immigrants au tronc commun de la nation québécois, et de remplir ses obligations internationales en matière d’accueil des réfugiés. Avec ces mesures, les conditions seront réunies pour éliminer le spectre de l’assimilation, qui plane sur la nation québécoise depuis le Rapport Durham.