Depuis « La Saga des Papineau » en 2013, Micheline Lachance n’avait rien laissé paraître sur ses prochaines intentions d’écriture. Pourtant, elle avait un projet, longtemps remisé dans l’attente du moment propice.
« J’avais ce roman en tête depuis une dizaine d’années déjà. Après la sortie des « Filles tombées » en 2008, à la demande de l’éditeur, j’ai planché sur le deuxième tome de cette histoire, paru en 2010. J’ai fait une deuxième tentative avant « La Saga des Papineau », mais le trop grand nombre de personnages et la complexité du sujet m’ont stoppée. Une fois de plus, je l’ai mis en veilleuse », me dit d’emblée Micheline Lachance qui me reçoit chez elle.
À la suite de la biographie d’Amédée Papineau, les dés sont jetés. Sans prendre un jour de congé, elle se remet au travail. Une fois encore, le sujet la passionne, les personnages l’interpellent, le défi l’embrase.
Cette fois, elle plonge dans le 18e siècle. Sa recherche porte sur les années qui ont marqué la fin de la Nouvelle-France. « J’ai toujours été bouleversée par cette défaite. On parle d’une conquête. En réalité, ce n’en est pas une. C’est plutôt la France qui a abandonné le Canada pour une bouchée de pain », dit l’auteure, sans vouloir porter de jugement.
Après avoir passé au crible les ouvrages historiques, des plus anciens aux plus récents, elle scrute à la loupe la correspondance officielle et intime des principaux acteurs de ce pan de notre histoire nationale. Les Vaudreuil, Bougainville, Montcalm et l’intendant Bigot livrent quantité d’informations sur la vie dans la colonie dans leur correspondance personnelle. C’est là que Micheline Lachance trouve le plus de matière romanesque. « Montcalm, qui était une commère, souligne-t-elle en riant, racontait, dans sa correspondance intime, les bals masqués, les Mardis gras, pointait ceux qui avaient perdu au jeu ou encore qui avaient trop bu. » En confiant ses secrets à ses proches, le lieutenant général des armées en Nouvelle-France a beaucoup aidé Micheline Lachance à reconstituer le climat de l’époque.
Mais attendez! Ces messieurs ont le mérite d’avoir gouverné et administré la colonie, fait la guerre aux « sauvages », tenu les Anglais à distance aussi longtemps qu’ils ont pu, ça c’est pour la Grande Histoire. Mais ce n’est pas tout. « Je voulais reconstituer au jour le jour comment s’étaient passés les événements, précise-t-elle. La vie privée fait partie de la petite histoire dans la grande. Je voulais qu’on les voie se mettre en place pour la journée du drame. » Pour redonner de la chair à ses grands acteurs de l’Histoire, les rendre vivants et non pas juste héroïques, elle a créé des êtres humains avec des défauts et des qualités, des mesquineries, des générosités.
Selon l’auteure du Roman de Julie Papineau, ce sont les personnages féminins qui portent l’histoire. C’est pourquoi l’amitié entre Geneviève de Lanaudière et Catherine de Beaubassin, deux dames de la petite noblesse, s’inscrit au cœur du roman.
Voilà en somme la genèse de « Rue des Remparts », le dernier roman de Micheline Lachance, fraîchement sorti des presses à la fin du mois de février dernier.
Micheline Lachance accorde beaucoup d’importance à l’amitié féminine, une valeur cardinale chez elle. « La générosité et la sincérité sont essentielles en amitié. Mais elle peut être dure parfois », évoque l’écrivaine, rappelant ainsi l’amitié entachée par la rivalité amoureuse entre Hortense Fabre et sa cousine Luce Cuvillier, les héroïnes de son roman Lady Cartier.
Dans le présent roman, la trahison met à l’épreuve, une fois de plus, la relation amicale entre Catherine de Beaubassin et Geneviève de Lanaudière. Bien que les deux femmes mettront du temps à se raccommoder, elles resteront fidèles l’une à l’autre jusqu’à la fin de leurs jours.
Si l’auteure des « Filles tombées » carbure à l’émotion, elle se montre également très attentive aux indices. Attirée et bouleversée par le geste de Catherine de Beaubassin qui a enterré son amie sous le monastère des Ursulines aux côtés de Montcalm, elle se rend compte que, non seulement cette information confirmait leur solide amitié, mais qu’elle confortait également les preuves du lien amoureux entre madame de Lanaudière et le marquis de Montcalm. Pendant un siècle, les historiens ont répété à tort que madame de Beaubassin avait été la « bonne amie » de Montcalm. Mais la fouille systématique dans les documents de l’époque montre, sans aucun doute, que les historiens se sont trompés.
Comme dans tous ses romans historiques, le souci de la vérité est toujours à l’avant-plan. « Je fais moi-même les recherches parce je trouve des choses que je ne cherchais pas », me confie-t-elle. Lorsqu’elle a croisé Geneviève de Lanaudière, elle a été complètement séduite par cette femme. En elle, Micheline Lachance a reconnu le personnage féminin qu’elle cherchait.
Les différences entre le 19e siècle et le 18e siècle sont énormes. Les femmes au 19e siècle sont prudes, réservées, obéissantes à leur mari, obnubilées par les curés qui, dans leurs prêches, promettaient l’enfer en cas de désobéissance aux autorités civiles. C’était au siècle de la Rébellion.
Au 18e siècle, les mœurs sont libres. L’insouciance règne en Nouvelle-France. Tous les militaires français en poste ont une maîtresse, choisie parmi les dames de la haute-bourgeoisie. Toutes ont des amants. Ces privilégiés sortent tous les soirs, vont au bal, se couchent aux petites heures du matin, les pieds endoloris d’avoir trop dansé, puis recommencent le lendemain.
Ce n’est pas pour rien que l’on appelait Québec le Petit Versailles, aussi débauché qu’à la Cour de Louis XV. Le Québec de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, n’avait rien à envier à Paris. Pendant ce temps, le peuple crevait de faim...
Cependant, d’un siècle à l’autre, les sentiments humains demeurent identiques. Les gens s’aiment, se détestent, se jalousent exactement comme aujourd’hui, selon l’auteure.
« Rue des Remparts » vous convie au salon de l’Histoire. Témoins des mœurs dissolues de la petite noblesse de Québec, de l’indolence de la France et de la mesquinerie des hommes aux commandes de la colonie, des bombardements anglais sur la ville de Québec jusqu’à l’assaut final des troupes du général Wolfe à l’Anse-au Foulon, vous serez aux premières loges des derniers moments qui ont scellé le sort de la colonie française en Amérique, précipitant ainsi nos ancêtres dans les bras de l’ennemi britannique. Émaillé par les tableaux vibrants que dessine la méticuleuse romancière, son récit, habilement écrit, ne laisse échapper aucun détail de la défaite de la Nouvelle-France.
Bonne lecture !
Rue des Remparts, Éditions Québec Amérique, 2017