Sauver les meubles

2017/04/10 | Par Louis Cornellier

Cet article est paru dans l’édition du 8 avril du journal Le Devoir.

Avec Jean-Claude Germain, l’histoire du Québec n’est jamais ennuyante. Le truculent écrivain, en effet, ne se contente pas de vulgariser les épisodes marquants de notre passé ; il les met en scène, les fait revivre avec une captivante verve, afin qu’ils parlent à notre présent. Pour illustrer, par exemple, l’intensité de l’affrontement entre les Bleus conservateurs et les Rouges libéraux au coeur du XIXe siècle québécois, il raconte un duel foireux et désopilant.

Dans le contexte de l’Acte d’Union de 1840, les conservateurs, conciliants avec les Anglais, cherchent à discréditer Papineau, qui ne fait pas de quartier aux partisans de la bonne entente, en laissant entendre qu’il aurait abandonné ses compagnons d’armes patriotes. En 1848, le journal rouge L’Avenir réplique en dépeignant Georges-Étienne Cartier, l’ancien patriote devenu député conservateur, comme le vrai fuyard, lors de la bataille de Saint-Charles.

Offusqué, Cartier provoque le journaliste rouge Joseph Doutre en duel. Au moment où les duellistes s’avancent l’un vers l’autre, « Cartier se barre les pieds dans une racine et lâche prématurément son coup de pistolet dans le tapis de verdure », raconte Germain, s’amusant à illustrer par là l’art de la défaite des conservateurs et l’inefficacité de leur esbroufe dans un Canada qui bafoue le Québec.

 

La quadrature du cercle

Ce troisième tome de la série Nous étions le Nouveau Monde couvre la période qui va des lendemains de la défaite des patriotes au déclin du court règne d’Honoré Mercier dans les dernières années du siècle. Germain ne fait pas mystère de ses convictions : il choisit les Rouges contre les Bleus, Papineau plus que La Fontaine, Buies contre Mgr Bourget, Mercier contre Cartier, ceux qui sont opposés à l’Acte d’Union et à la Confédération, ceux qui ne croient pas au fair-play anglais, ceux qui plaident pour la séparation de l’Église et de l’État, pour une école laïque et pour l’indépendance, celle du Canada par rapport à l’Angleterre, d’abord, et celle du Québec par rapport au Canada, ensuite. Pour Germain, les indépendantistes républicains ont raison contre les nationalistes conservateurs.

Depuis l’Acte d’Union, qui visait à assimiler les Canadiens français à la société anglaise, les Québécois en sont réduits à tenter de sauver les meubles. Ceux qui deviendront les Rouges veulent se battre, politiquement s’entend, et refusent les compromis. D’autres, qu’on appellera les Bleus, choisissent la voie du réformisme.

Louis-Hippolyte La Fontaine croit qu’il sera possible, en faisant alliance avec les réformistes du Haut-Canada, d’obtenir la démocratie et de préserver l’autonomie des siens. Sa lutte ne sera pas vaine : en 1848, le gouvernement responsable est reconnu et, en 1849, l’usage du français est rétabli au Parlement.

Germain conclut néanmoins à l’échec de La Fontaine en ce qui a trait à l’autonomie du Bas-Canada. Adhérer au Canada en cultivant l’espoir de préserver un Québec français et politiquement libre relève de la quadrature du cercle, hier comme aujourd’hui, assène l’historien populaire.

Pour ce dernier, le conservateur Georges-Étienne Cartier, champion des conflits d’intérêts qui a fini par se définir comme « un Anglais qui parle français » et qui a même retiré le s de son prénom pour bien marquer son allégeance nationale, ne négociera, avec la Confédération, que le nouveau cadre de la servitude québécoise.

 

L’exemple de Mercier

Germain, fidèle en cela à son maître Jacques Ferron, fait de la pendaison de Louis Riel, en 1885, un tournant de notre histoire, le moment où « le Québec s’éprouve collectivement comme une nation ». Le libéral Honoré Mercier propose alors de dépasser l’esprit de parti pour défendre l’autonomie véritable du Québec. Les plus intransigeants des Bleus se permettront toutes les bassesses pour le salir et le terrasser.

À cette étape, Germain ne rigole plus. Sa lecture de l’histoire du XIXe siècle l’amène à une conclusion qui, à ses yeux, vaut encore aujourd’hui. « Honoré Mercier avait raison, écrit-il. […] Le futur n’aura son propre avenir qu’au prix d’un ralliement pour l’indépendance nationale. » Il faut en comprendre qu’il y a des convergences qui pressent, à l’heure où les libéraux d’aujourd’hui n’ont plus rien en commun avec leurs grands ancêtres rouges.

(extrait)

« [La Fontaine] a perdu le pari, qu’il avait proposé à ses compatriotes, d’endosser une institution politique vouée à leur assimilation, dans l’espoir secret de la retourner à leur avantage pour conserver leur identité, leur langue et obtenir leur autonomie. Tous ses émules, qui tenteront à leur tour de résoudre la même quadrature du cercle, confondront généralement leur réussite personnelle avec un avancement collectif de la nation. Sous tous les cieux de l’Empire britannique, c’est une illusion réservée aux élites coloniales. 

Jean-Claude Germain