L’auteur est député du Bloc Québécois
Le gouvernement fédéral de Justin Trudeau est en train de mettre sur pied une banque qui servira à privatiser les infrastructures publiques. Cette banque de 35 milliards $ aura pignon sur rue à Toronto.
Des capitaux privés, qui pourront provenir de banques, de sociétés d’investissements comme BlackRock ou de fonds de pension, pourront financer directement des infrastructures publiques, comme les routes, les ponts, les travaux d’aqueducs et d’égouts, ou des réseaux de distribution d’électricité ou de transport en commun.
L’objectif numéro un de ces investisseurs privés sera le rendement. On peut donc s’attendre à une augmentation du coût des infrastructures privatisées, à une diminution de la qualité et de la sécurité, et à une augmentation de la tarification et des péages.
Les investissements seront à l’abri de tout risque, puisque l’État garantira les capitaux privés. Advenant qu’un projet soit déficitaire, le gouvernement fédéral prendra le relais et remboursera l’investisseur privé. Une réserve de 21 milliards $ est prévue à cet effet.
Cela constitue une véritable révolution dans la façon dont sont financées nos infrastructures. Au Québec, le fédéral est assez absent dans ce domaine. Il ne détient que 2 % des infrastructures, comme les ports, qui sont presque tous sous-financés, et contribue à hauteur d’à peine 5 % au financement de l’ensemble de nos infrastructures. Ainsi, presque la totalité du financement de nos infrastructures publiques (95 %) est prise en charge par Québec et les municipalités.
Dans les projets où il y a une participation fédérale, le ratio est traditionnellement de 1/3 provenant du fédéral, 1/3 de la municipalité et 1/3 de Québec.
Ottawa devant autoriser les projets qu’il finance, les délais pour chaque projet se comptent en années, à cause de la monstrueuse machine bureaucratique.
Comme l’a fait remarquer le Directeur parlementaire du budget, les sommes ont beau être annoncées, elles ne sont pas dépensées ! L’an dernier, par exemple, à peine le tiers du budget prévu pour les infrastructures a été versé et le Québec a touché à peine 12 % des sommes annoncées !
Le seul programme fédéral efficace en la matière est la taxe sur l’essence. Une partie de cette taxe est transférée aux municipalités pour les infrastructures, sans droit de regard du fédéral. L’argent est donc disponible rapidement. Année après année, l’Union des municipalités du Québec et la Fédération des municipalités du Québec demandent que l’ensemble du financement du fédéral suive ce modèle. Les Libéraux avaient pris cet engagement lors de la dernière campagne électorale mais, une fois au pouvoir, Justin Trudeau a fait volte-face.
Les Libéraux avaient aussi annoncé la création d’une banque des infrastructures. Mais elle n’avait rien à voir avec la banque de privatisation des infrastructures, qu’ils sont en train de mettre sur pied. La banque promise devait servir à garantir les emprunts effectués par les municipalités pour de tels travaux, ce qui aurait eu pour effet de faire baisser le taux d’intérêt des emprunts et, par voie de conséquence, de diminuer leur coût.
L’idée était bonne et aurait comblé un véritable besoin. Cependant, une fois au pouvoir, le gouvernement Trudeau a préféré offrir son soutien à ses amis des banques et des fonds de placement plutôt qu’aux municipalités.
D’ailleurs, l’entreprise américaine BlackRock, qui a conseillé le gouvernement sur la forme que prendra la banque, s’y associera en tant qu’investisseur !
Le ministre des Infrastructures Amarjeet Sohi se défend en Chambre en disant que les municipalités seront libres d’avoir recours ou non à cette banque de privatisation. Il s’agit là d’une bien belle rhétorique. Dans les faits, les municipalités sont souvent aux prises avec des infrastructures à refaire, sans avoir les moyens de les financer. Il sera très difficile pour elles de résister à l’appel d’un projet clé-en-main et payez plus tard. La promesse électorale aurait constitué une solution à leurs problèmes, mais évidemment il s’agissait d’une promesse fallacieuse.
Le mode d’opération de la banque de privatisation au Québec reste encore à déterminer. Est-ce que le Québec sera toujours le maître d’œuvre du déploiement et de la gestion des infrastructures ou est-ce que cette banque viendra court-circuiter les pouvoirs du Québec ?
Est-ce que cette banque pourra financer l’essentiel d’une infrastructure municipale ou seulement le tiers ? Un bras de fer entre Québec et Ottawa et les investisseurs privés est à prévoir. L’issue de cette confrontation est la propriété même de nos infrastructures, donc leur coût à long terme et notre sécurité.
Plutôt que de dénoncer la création de cette banque, Québec et le milieu des affaires montréalais ont exercé des pressions pour l’attirer à Montréal en faisant valoir les avantages non négligeables de la ville. Montréal arrive au troisième rang en Amérique du Nord, bien avant Toronto, en termes d’importance pour la présence de sièges sociaux de Fonds de pension, qui sont des acteurs privilégiés pour une telle banque de privatisation.
Mais non ! Les ministères économiques importants du gouvernement Trudeau sont assurés par des Torontois et Toronto est systématiquement servie en premier. Par exemple, le ministre des Finances, Bill Morneau, est très près du milieu financier torontois et son bureau d’affaires est sur Bay Street.
Québec et Montréal ont donc fait preuve d’une certaine naïveté en croyant que le fédéral allait, pour une fois, céder à leurs pressions. L’influence du Québec dans la fédération s’est érodée au fil des années et nous nous retrouvons marginalisés, du moins sur les enjeux majeurs. La majorité des élus québécois à Ottawa représentent le Parti libéral, mais ces 40 députés fantômes ne comptent pas dans ce gouvernement. Les élections fédérales, ça se joue en Ontario et d’abord et avant tout dans le grand Toronto. Le fait de rester dans le Canada nous condamne à reculer sans cesse.
Le processus législatif visant à créer la banque de privatisation n’est pas encore terminé, mais le gouvernement Trudeau devrait recourir au bâillon pour le compléter d’ici l’été. Ensuite, pour éviter la privatisation de nos infrastructures, une importante campagne de mobilisation et de sensibilisation devra être menée. Québec a évidemment le pouvoir de bloquer l’action de la banque de privatisation sur son territoire. Mais il serait surprenant que le gouvernement Couillard s’y oppose. D’une part, il semble favorable aux privatisations; d’autre part, ces privatisations pourraient ajouter quelques milliards à court terme à son budget.
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