Le poids du français comme langue d’usage à la maison au Québec se maintient. Il serait même en légère hausse, étant passé de 87,0 % en 2011 à 87,1 % en 2016. C’est du moins ce qu’a prétendu Statistique Canada, le 17 août, en publiant une version corrigée des données du dernier recensement.
Les médias ont largement répandu la nouvelle. Or, l’emploi du français comme langue d’usage au foyer n’a jamais frôlé de tels sommets.
Au contraire, dans son principal document d’analyse des données de 2006, Statistique Canada a indiqué que le poids du français, langue d’usage, reculait au Québec, étant passé de 83,1 à 81,8 % entre 2001 et 2006. Au recensement de 2011, le document correspondant a confirmé la tendance à la baisse, le poids en question ayant alors chuté à 81,2 %.
Si l’on applique aux données du 17 août la même méthode d’analyse que Statistique Canada a employée aux recensements précédents, le français plonge encore, passant à 80,6 % en 2016 (voir notre graphique). La baisse se poursuit, donc.
Il fallait s’y attendre. Les déterminants démographiques ont peu bougé depuis 2001. En particulier, entre 2011 et 2016, le Québec a continué d’accueillir le même niveau excessif d’immigrants qu’entre 2001 et 2011. Et il n’a toujours pas pris la moindre mesure susceptible de renforcer le statut du français.
Comment Statistique Canada peut-il alors prétendre que la tendance s’est renversée et que le français, langue d’usage, caracole désormais au-delà de 87 % ?
Sans avertissement et sans justification, il a rompu avec sa méthode d’analyse habituelle, additionné des pommes et des poires, et coiffé le tout d’un détournement de sens.
Pour bien saisir la manœuvre, un peu d’histoire s’impose.
Suite à une suggestion de la Commission Laurendeau-Dunton, une question sur la langue parlée le plus souvent à la maison, ou langue d’usage dans le vocabulaire de tous les jours, fut posée pour la première fois au recensement de 1971. Statistique Canada a cependant introduit en même temps la cueillette des données par auto-recensement. Un membre de chaque ménage devait remplir le questionnaire et le retourner par la poste.
Cela a soulevé un petit problème de méthode. Si l’on veut brosser un portrait facilement lisible de la population, en la répartissant en trois composantes distinctes, de langue française, anglaise et autre, que faire lorsqu’une personne déclare deux, voire plusieurs langues d’usage à la fois ?
Après quelques années de tâtonnement, la répartition de ces réponses multiples de manière égale entre les langues déclarées a fini par faire consensus. Par exemple, si 40 000 personnes déclarent parler également souvent le français et l’anglais comme langues d’usage, cette méthode de simplification en verse 20 000 à la composante de langue d’usage française et 20 000 à celle de langue d’usage anglaise.
Cela respecte la fréquence relative d’utilisation de ces langues au foyer, telle que déclarée. La même chose vaut approximativement aussi pour les réponses multiples à la question sur la langue maternelle, qui correspond le plus souvent à la langue d’usage à la maison en bas âge.
Pendant sept recensements consécutifs, soit de 1981 à 2011 inclusivement, Statistique Canada a donc simplifié de façon égale les réponses doubles et triples aux questions sur les langues maternelle et d’usage. Ce qui a permis un suivi bien pondéré et cohérent de l’importance relative des langues anglaise, française et autre au Québec et au Canada sur trois décennies.
Dans ses calculs pour 2016, Statistique Canada a rompu avec cette façon de faire. Aux déclarations du français comme langue d’usage unique, il a additionné la totalité des réponses multiples comprenant le français. Il a procédé de façon semblable pour chiffrer la composante de langue d’usage anglaise, ainsi que celle de langue d’usage autre.
Il a compté de la sorte les réponses multiples deux fois, voire parfois trois. Par conséquent, la somme des trois composantes qui en résultent déborde la population totale.
Cela n’a aucun sens.
Il y a pire encore.
Vers le milieu des années 1990, le Commissaire aux langues officielles, entre autres, a voulu savoir combien de francophones hors Québec, qui déclaraient l’anglais comme langue d’usage unique à la maison, persistaient à y parler encore le français, à titre de comportement d’importance secondaire. Au recensement de 2001, Statistique Canada a donc ajouté, après la question sur la langue parlée le plus souvent à la maison, une question idoine. Notons par ailleurs que, formulée au pluriel, celle-ci sollicite explicitement des réponses multiples : « Cette personne parle-t-elle régulièrement d’autres langues à la maison ? »
Après avoir testé cette question en 1998, les analystes de Statistique Canada avaient jugé que certains répondants pouvaient l’interpréter comme visant un comportement quotidien et d’autres, comme visant un comportement seulement occasionnel. Sa formulation large et au pluriel fut néanmoins retenue telle quelle.
Or, pour obtenir un Québec à 87 % de langue d’usage française, Statistique Canada n’a pas seulement additionné l’ensemble des réponses simples ou multiples comprenant le français comme langue parlée le plus souvent à la maison. Il lui a fallu y ajouter la totalité des réponses uniques ou multiples comprenant le français parlé à titre de langue secondaire au foyer. Il a additionné, quoi, des pommes et des poires.
Cerise sur le sundae, il a présenté, sans avertissement, le tout comme ayant le français comme « langue d’usage ». Attention ! Depuis la Commission Laurendeau-Dunton, ce vocable a toujours signifié la langue principale, ou langue parlée le plus souvent à la maison.
De toute évidence, Statistique Canada a cherché à induire les médias en erreur.
Il a parfaitement réussi.
En procédant à sa façon, on obtient un Québec non seulement à 87 % de langue d’usage française, mais aussi à 19 % de langue d’usage anglaise et à 15 % de langue d’usage autre. Cela s’additionne à 121 %. On ne saurait déterminer ainsi la composition linguistique d’une population.
La beauté de la chose, c’est que tous ces poids, démesurément gonflés, sont en progression du simple fait que les réponses multiples se multiplient à mesure que progressent la diversité linguistique et le plurilinguisme. Un Québec à 100 % de « langue d’usage » française et à 100 % de « langue d’usage » anglaise devient possible. The sky’s the limit !
Statistique Canada exalte depuis quelques recensements la diversité linguistique croissante des Canadiens. Il veut détourner ainsi notre attention de la dualité linguistique canadienne qui s’estompe. Autrement dit, de l’anglicisation du Canada.
Cela entache désormais jusqu’à sa façon de traiter les données sur la langue.
Revenons à la raison. Notre graphique compare l’évolution entre 2001 et 2016 des poids du français et de l’anglais comme langues maternelles et d’usage au Québec, après simplification égale des réponses multiples.
Il est clair que l’anglais se maintient comme langue maternelle et progresse lentement comme langue d’usage. Le français, par contre, décline rapidement sur les deux plans.
Depuis 2001, nous sommes témoins de la naissance d’une nouvelle dynamique. Une dynamique d’anglicisation du Québec.
On comprend pourquoi, cette fois, Statistique Canada a limité aux seuls journalistes l’accès au huis clos, qui a précédé le dévoilement de ses nouvelles données sur la langue.
C’est la manière de faire d’un État totalitaire.
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