Bar ouvert à l’intervention du fédéral dans les cégeps

2017/09/06 | Par Pierre Dubuc

L’auteur est directeur de l’aut’journal, membre du Parti Québécois et secrétaire du SPQ Libre

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ! C’est la réflexion qui nous vient à l’esprit lorsqu’on analyse la proposition de « compromis » sur la loi 101 et les cégeps, qui circule présentement et qui devrait être débattue au congrès du Parti Québécois.

 

Rappelons d’abord les faits.

En 2015, 4 200 étudiants sont passés du secondaire francophone au cégep anglophone, soit 1 950 allophones et 2 250 francophones. C’est l’équivalent du recrutement annuel d’un  très gros cégep.

Entre 2011 et 2015, il y a eu 53 865 nouvelles inscriptions au cégep anglophone, dont seulement 24 127 d’étudiants de langue maternelle anglaise,  soit un excédent de quelque 30 000 pour sa clientèle naturelle. L’excédent correspondant pour le cégep francophone était d’environ 10 000. De ce nombre, en 2015, à peine 427 étudiants étaient de langue maternelle anglaise. À Montréal, seulement 41 étudiants de langue maternelle anglaise ayant étudié en anglais au secondaire se sont inscrits au cégep francophone.

Bien que la population de langue maternelle anglaise au Québec ne représente que 8 % de la population du Québec, les cégeps anglophones accueillent le quart des étudiants au niveau pré-universitaire collégial. À Montréal, où la population anglophone constitue 18 % de la population, les cégeps anglais, au niveau pré-universitaire, recevaient 46,6 % de la clientèle scolaire en 2016.

Faut-il attendre que ce pourcentage atteigne 50 %, 60 % ou 70 % pour agir ?

 

Apprendre l’anglais ou étudier en anglais

Bien sûr, nous souhaitons tous, dans cette ère de la mondialisation, que les étudiants apprennent l’anglais. Mais étudier en anglais n’équivaut pas à apprendre l’anglais. Des études collégiales en anglais mènent à des études universitaires en anglais et de nombreuses recherches démontrent un lien direct entre la langue des études et la langue employée au travail.

Une enquête, menée en 2010, par l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) et la CSQ auprès de 3200 étudiants de niveau collégial a montré qu’étudier en anglais, c’est vivre dans un environnement social et culturel anglophone. C’est se préparer à travailler plus tard en anglais et s’assimiler à la communauté anglophone.

 

Le « compromis »

Venons-en maintenant à l’essentiel des points litigieux de la proposition de « compromis », qui semblent avoir l’aval du chef du Parti Québécois.

Dans un premier volet, on exprime l’intention d’ « instaurer pour les personnes qui n’ont pas droit à l’école anglaise et qui n’ont pas reçu leur instruction primaire et secondaire en français, par exemple parce qu’elles sont au Québec depuis peu, l'obligation de fréquenter un cégep francophone si elles souhaitent poursuivre des études collégiales financées par l’État ».

Ainsi, un couple d’immigrés maghrébins, dont la fille serait inscrite au primaire et le fils au secondaire, verrait leur fille avoir le droit de s’inscrire au cégep anglophone, mais non leur fils !

L’autre volet veut « s'assurer que le financement des cégeps anglophones réponde en priorité aux besoins de la communauté historique anglophone et par conséquent qu’il soit graduellement enligné sur le poids démographique proportionnel de cette communauté ».

Cette proposition pose plusieurs problèmes. Premièrement, il faut déterminer ce qu’on entend par « communauté historique anglophone ». Deuxièmement, la réduction graduelle des budgets des cégeps anglophones signifie une nouvelle crise linguistique à chaque année.

Troisièmement, une telle mesure, de nature administrative, est moins contraignante qu’une loi et peut être modifiée avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement. Enfin, quatrièmement, elle ouvre la porte toute grande à une intervention du gouvernement fédéral dans un champ de compétence du Québec ! Déjà, il est présent dans le financement des universités et démesurément dans le cas des universités anglophones.

Facile, en effet, d’imaginer Ottawa répondre avec jubilation et empressement aux cris de détresse de la communauté anglophone. Jean-François Lisée affirme ne pas vouloir de « bar ouvert » dans les cégeps anglophones. Fort bien ! Mais il ne faudrait pas que le cégep soit un « bar ouvert » pour le gouvernement fédéral.  

Il y a une façon toute simple d’intervenir pour contrer l’exode des allophones et des francophones vers les cégeps anglophones. C’est d’élargir aux cégeps les dispositions de la Loi 101. Tout ce qu’il faut, c’est un peu de courage politique !