L’auteur est député du Bloc Québécois
La Banque de l'infrastructure du Canada est créée. Elle a pignon sur rue dans le centre financier de Toronto. Le gouvernement fédéral a nommé sa directrice : Janice Fukakusa, ancienne directrice financière de la Banque Royale. L’équipe complète de la direction n’a pas encore été dévoilée, mais on s’attend à une très forte représentation de Bay Street.
La Banque va commencer à financer des projets, dès cet automne. Avec cette banque de privatisation, Ottawa montre encore une fois qu’il fait passer la haute finance devant la population et s’assure qu’on ne soit plus maîtres chez nous.
L’objectif de cette institution est de lever des capitaux privés canadiens et étrangers afin de financer nos infrastructures. Les fonds de placements, les banques et les caisses de retraite vont faire pression pour y avoir des rendements élevés. À titre d’exemple, l’entreprise américaine BlackRock, qui a conseillé le gouvernement sur la forme que prendra la banque, entend y investir. La qualité et la sécurité des infrastructures passeront après le profit. Aussi, on peut s’attendre à plus de tarifs pour les usagers, comme des péages sur nos routes et une facturation pour l’utilisation de l’eau.
Jusqu’à présent, Ottawa s’est montré assez discret dans le financement de nos infrastructures. Au Québec, il ne détient que 2 % des infrastructures, comme les ports, qui sont presque tous sous-financés, et contribue à hauteur d’à peine 5 % au financement de l’ensemble de nos infrastructures. Dit autrement, la presque totalité du financement de nos infrastructures publiques (95 %) est prise en charge par Québec et les municipalités.
Avec sa Banque de privatisation, le fédéral change la donne. Pour l’ensemble du Canada, Ottawa injecte 35 milliards $ et entend aller chercher plus de 100 milliards $ du privé. En plus du rendement, en transitant par la banque, les investissements privés sont garantis par l’État. Advenant par exemple un dépassement de coût dans la construction d’une station de traitement des eaux, ce sont nos taxes et impôts qui vont casquer. Le joueur privé, qui participe au financement, n’assume pas la mauvaise gestion du projet. Il s’agit pour lui d’un placement garanti par l’État. Les investisseurs privés de la Banque pourront faire pression pour que les projets laxistes aillent de l’avant. Leur intérêt est qu’il y ait le plus grand nombre de projets possible.
Un autre gros cadeau accordé à ces investisseurs privés est d’être au-dessus des lois et règlements du Québec, des provinces et des municipalités. Quand il y a une infrastructure fédérale, elle n’est pas sujette à nos lois. Le port de Québec émet des poussières toxiques qui polluent Limoilou ? On n’arrive pas à faire appliquer notre loi sur la protection de l’environnement. Postes Canada vient installer une boîte postale communautaire sur votre terrain ? Rien à faire, Ottawa lui en a donné le droit. Tout ça parce que ces infrastructures relèvent du fédéral. Sans compter les pipelines, les tours de télécommunications, les aéroports ou les chemins de fer qui, tous, sont exemptés de plusieurs de nos lois. Ce sera la même chose avec les projets financés par la Banque de l’infrastructure du Canada. Le gouvernement a choisi de pouvoir lui conférer ce statut de mandataire par simple décret !
L’Assemblée nationale à Québec a eu beau dénoncer ce statut de mandataire et l’implantation du siège social à Toronto, Ottawa n’a pas bronché. Le Québec se trouve de plus en plus marginalisé dans la fédération et pèse nettement moins que le milieu bancaire torontois.
La participation du fédéral dans le financement du Réseau électrique métropolitain (REM), reliant le centre-ville de Montréal à l’aéroport Trudeau, devrait passer par la banque. Ainsi, on pourrait faire fi de nos lois en ce qui concerne le respect des écosystèmes et le processus d’expropriation.
Même si cette situation est plus qu’aberrante, le ministre des Infrastructures, Amarjeet Sohi, se défend en disant que les municipalités et Québec seront libres d’avoir recours ou non à cette banque de privatisation. Or, dans les faits, Québec et les municipalités ont très peu de marge de manœuvre, contrairement à Ottawa. Il sera donc très difficile de résister à l’appel d’un projet « clé-en-main et payez plus tard ».
Il y a aussi des projets d’infrastructures où Québec n’aurait tout simplement pas son mot à dire. Par exemple, Ontario et Terre-Neuve discutent de la construction d’une ligne de transport d’électricité, reliant la centrale de Muskrat Falls au Labrador, à l’Ontario. Cette ligne, qui passerait dans le nord du Québec, pourrait être financée par la banque. Il s’agirait alors d’une situation où le fédéral travaillerait à concurrencer Hydro-Québec sur notre propre territoire et sans notre aval !
Il n’y a pas à dire, cette nouvelle banque vient bouleverser la façon dont sont développées nos infrastructures : privatisation, intrusion massive du fédéral et non-respect de nos lois et règlements.
Le choix du Québec de demeurer dans le Canada n’est pas le choix du statu quo. L’exemple de la création de la Banque de l’infrastructure du Canada illustre cette réalité. Québec n’a à peu près plus de marge de manœuvre et les nouveaux développements viennent essentiellement du fédéral. Ottawa choisit, Québec subit.
Québec peut protester, son poids est aujourd’hui trop faible pour exercer une véritable influence à Ottawa. Et les 40 députés libéraux fantômes du Québec à Ottawa n’y changent rien. On se fait donc dicter par un autre peuple notre façon de faire. Dans ce cas-ci, c’est davantage de privatisations, avec ses fâcheuses conséquences, et le non-respect annoncé de nos lois et règlements.
Député du Bloc Québécois.
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