Si le Plateau Mont-Royal m’était conté

2017/09/08 | Par Ginette Leroux

Un beau soleil d’août a attiré pas moins de 150 personnes au lancement du Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal, le 30 août dernier. Parmi eux, un grand nombre de résidents du quartier ainsi que d’irréductibles amoureux de l’un des plus grands parcs de Montréal, le parc La Fontaine. L’événement, tenu à l’Espace La Fontaine, l’ancien restaurant ouvert en 1953, accueille aujourd’hui un bistro et sert également de lieu de rassemblement culturel. Il ne pouvait y avoir meilleur endroit pour célébrer l’histoire de ce quartier populaire qui, en somme, est un véritable microcosme politique, sociologique et culturel de Montréal, sinon du Québec tout entier.

Le Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal est un ouvrage dont l’objectif premier est de préserver la mémoire collective de ce quartier populaire de Montréal. Un travail titanesque, dont le résultat est un livre riche de 603 entrées, 450 cartes, illustrations dont plusieurs en couleurs et photos anciennes, souvent inédites.

Il est l’œuvre de Bernard Vallée, fondateur de L’autre Montréal, qui propose, depuis plus de 20 ans, visites et tours guidés en autobus et à pied à travers les quartiers de Montréal; Jean-Claude Robert, professeur émérite du département d’histoire de l’UQAM; Justin Bur, chercheur en histoire urbaine et guide touristique, notamment dans le Mile End; Joshua Wolfe, urbaniste de formation et membre du conseil d’administration de Mémoire du Mile End et Yves Desjardins, également membre du conseil d’administration de Mémoire du Mile End et ancien journaliste de Radio-Canada.

Ce dictionnaire ne s’adresse pas seulement aux gens du Plateau, mais à la Ville de Montréal, à tout le Québec et pourquoi pas à la planète entière. Ne dit-on pas que le Plateau Mont-Royal est le centre du monde ?

Au lancement, chaque auteur était prié de présenter une entrée du dictionnaire, qu’il affectionne en particulier.

Justin Bur. « J’ai lancé le projet en 2013. J’ai réuni des personnes aux intérêts complémentaires et aux formations différentes. Je suis moi-même informaticien converti à l’urbanisme et à l’histoire urbaine, et un passionné de l’histoire des transports. J’habite le Mile End depuis dix-huit ans. J’organise, dans mon quartier, des visites à pied et je donne des conférences. Il m’arrivait parfois d’avoir du mal à répondre aux questions. J’ai dû faire des recherches. Le sujet qui me tient à cœur est le Mile End et, particulièrement, l’histoire des familles Bagg et Clark liées à ce quartier. »

Bernard Vallée. Dans un laïus empreint d’émotion et de lucidité, il retrace les couleurs et les saveurs du quartier où, jeune immigrant sans le sou lors de son arrivée au Québec, il a élu domicile en 1973. Il avait 22 ans.

« J’ai loué un petit appartement à l’étage mansardé d’une maison très pittoresque d’une rangée, érigée en 1873, sur la rue Drolet, comme un îlot modèle d’un des premiers lotissements planifiés sur le Plateau, dans l’ancien village Saint-Jean-Baptiste. Frappé par la beauté de ce patrimoine modeste, si attachant, séduit par la convivialité d’un espace urbain presque villageois, à deux pas du centre-ville, mais inquiet aussi des menaces qui planaient sur notre milieu de vie à cause de la dégradation du bâti et des incendies criminels, indigné par l’indifférence des pouvoirs publics, attristé par la résignation des voisins, j’ai participé à la fondation du Comité logement Saint-Louis – aujourd’hui appelé Comité logement du Plateau Mont-Royal – un groupe de citoyens qui refusaient de voir le quartier littéralement dépecé par la spéculation immobilière, amputé de son patrimoine et privé de sa mixité d’origine.

Nous avons initié et soutenu de nombreuses luttes contre des projets complètement stupides, des démolitions sauvages, des expulsions barbares, tout en développant une éducation populaire sur le patrimoine exceptionnel de ce quartier. Cette éducation étant pour nous une base indispensable à l’attachement qu’il faut développer pour s’engager comme citoyens. Le Plateau a donc été le terrain où j’ai commencé ma vie de militant urbain et il est encore au cœur de mon activité professionnelle. Je suis une sorte de « sherpa urbain », qui accompagne les citoyens dans l’appropriation de leur ville. C’est aussi là que j’ai vu grandir mes enfants, ce qui m’est arrivé de mieux dans ma vie.

Vous comprendrez que l’attachement que j’ai pour ce quartier, peuplé comme une ville moyenne du Québec, mais aussi plein de témoins de ces petits villages, qui ont constitué son territoire et qui survivent pour qui sait les découvrir par la teinte urbaine d’aujourd’hui. Ce dictionnaire va vous y aider. Il vous permettra aussi de découvrir comment l’histoire politique, économique, sociale et culturelle de Montréal et du Québec s’y est incarnée à travers des personnages, des événements, des sites familiers ou moins connus. Ce dictionnaire historique est une rencontre intellectuelle intense et jouissive de collègues et aussi de généreux collaborateurs et collaboratrices. Rigueur et passion étaient au rendez-vous.

J’aimerais dédier ce dictionnaire à deux personnes disparues qui font partie des complices et mentors de mes premières découvertes d’action et de sauvegarde du Plateau. Avec Laurier Rancourt, qui nous a quittés prématurément l’an passé, j’ai développé mes premières recherches sur l’histoire du quartier. Nous avons aussi produit ensemble des dizaines d’illustrations, d’affiches, de banderoles, de marionnettes géantes et de panneaux d’exposition de rue pour partager notre passion. Je voudrais également rendre hommage à Hilda Ramacière, qui nous a quittés en 2010. C’est elle qui m’a introduit aux gens modestes de ce quartier, qui me les a fait aimer et qui a suscité chez moi les raisons de se battre à leurs côtés pour qu’ils puissent y rester. En retour, je pense lui avoir donné les raisons de se battre, elle aussi, pour son patrimoine exceptionnel. Je viens d’apprendre qu’on a nommé un parc en son honneur sur la rue De Bullion, entre Prince-Arthur et l’avenue des Pins. Voilà le dictionnaire dépassé. »

Jean-Claude Robert.  « La collaboration au dictionnaire m’a donné l’occasion de revoir avec plaisir mon quartier d’enfance et d’adolescence. Je me rappelle les trois ou quatre fois où je suis tombé dans l’étang, parfois poussé par les petits copains. À l’époque, je faisais partie du corps des cadets, qui défilaient dans les rues du quartier. J’ai aussi été servant de messe.

On tend à oublier l’apport du réseau paroissial dans la constitution du Plateau. Le dictionnaire contient plusieurs entrées à cet effet. Pour ma part, j’ai choisi « La Familiale », la première coopérative de consommation urbaine. Elle a été fondée en 1937 par Berthe Louard, une immigrante belge, et Victor Barbeau, professeur aux HEC. L’immeuble existe toujours à l’intersection des rues St-Hubert et Boucher.

Je tiens à souligner que des centaines de mémoires de maîtrise, de thèses de doctorat ainsi que d’autres dictionnaires ont alimenté l’ouvrage. » 

Joshua Wolfe. « Je suis un enfant de la banlieue. Quand j’allais au restaurant Schwartz’s de la rue Saint-Laurent, il y a 55 ans, je n’aurais jamais pensé que j’écrirais un article en français sur le smoke meat. En effet, je suis le dernier des auteurs à entrer dans l’équipe grâce à Milton Park, un quartier délimité par la rue University, le boulevard Saint-Laurent, l’avenue des Pins et la rue Sherbrooke et son projet immobilier innovateur des années 1960. L’article qui a le plus retenu mon attention porte sur les « Gouttes de lait », une œuvre dont la mission était d’inculquer les notions d’hygiène aux mères issues des milieux populaires.

Yves Desjardins. Un dictionnaire, c’est un devoir de mémoire. C’est aussi un devoir familial. Je me souviens que lorsque j’étais un enfant de 7, 8 ans, mon grand-père m’amenait devant le triplex où mon père et lui avaient grandi et que mon arrière-grand-père avait construit, sur la rue Laurier juste à l’est de l’avenue du Parc. C’était dans les années 1960. On le considérait comme l’un des quartiers les plus pauvres de Montréal. De l’autre côté de l’avenue du Parc, c’était Outremont. Un jour, papa m’a dit que l’avenue du Parc n’avait pas toujours été comme elle est aujourd’hui. À l’époque, elle était réservée aux bourgeois. Quand je suis retourné vivre au Mile End en 1973, les traces de ce passé glorieux avaient disparu. 

Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal, Les Éditions Écosociété, 2017.