Partisan de la doctrine de Karl Marx, selon laquelle « l’Histoire de toute société est l’histoire de la lutte des classes », le Parti bolchévik (qui signifie « majorité » en russe), dirigé par Lénine, lance alors le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets », c’est-à-dire aux conseils ouvriers (soviets en russe), qui avaient spontanément surgi un peu partout en Russie. Les révolutionnaires appliquaient la leçon que Marx avait tirée de la défaite de la Commune de Paris en 1871, soit qu’il est illusoire de s’emparer de l’appareil d’État existant. Au contraire, il fallait le détruire au profit d’une autre forme d’État.
Reprenant à son compte le slogan de Marx « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », le nouveau gouvernement socialiste invite rapidement tous les ouvriers du monde à se soulever pour mettre fin à la guerre.
À la veille du conflit, les partis socialistes, réunis dans la IIe Internationale, s’étaient engagés à déclarer la « guerre à la guerre », mais aussitôt les hostilités déclenchées, ils avaient viré capot de bord et s’étaient ralliés à leurs propres classes dirigeantes pour inviter les ouvriers de leurs pays respectifs à prendre les armes contre les ouvriers des autres pays, sous prétexte de la « défense de la patrie ». Dans plusieurs pays, on assiste à des soulèvements populaires contre la guerre. Le Québec ne fait pas exception. En 1918, éclatent dans la ville de Québec des manifestations contre la conscription qui seront réprimées dans le sang.
Le nouveau gouvernement russe lance aussi un « appel aux peuples et nations opprimés » à se révolter en démontrant que la guerre est une guerre de rapine, dont ils sont l’enjeu dans le repartage du monde entre les grandes puissances. Au cours des années précédentes, la question nationale avait fait l’objet d’un intense débat au sein du mouvement socialiste russe. Le parti de Lénine avait critiqué la position dominante qui réduisait les revendications nationales à « l’autonomie culturelle » à l’intérieur d’un pays et proposé plutôt de reconnaître le droit à l’autodétermination, jusqu’à et y compris la sécession, des nations.
Cette revendication s’appuyait sur une nouvelle définition de la nation qui incluait, entre autres critères, le territoire où la nation constituait la majorité de la population. Au Québec, ce n’est qu’au début des années 1960 que cette caractérisation de la nation s’impose. Le concept de nation québécoise, ayant le droit à l’indépendance, remplace celui de « nation canadienne-française coast-to-coast », qui réduit la nation à l’autonomie culturelle à l’intérieur du Canada, une position toujours défendue aujourd’hui par les fédéralistes.
L’appel du gouvernement soviétique s’adresse également aux colonies, en argumentant qu’à l’époque du marché mondial la question nationale ne peut plus être confinée aux nations présentes à l’intérieur des pays avancés. À la fin de la Première Guerre mondiale, le président étatsuniens Woodrow Wilson proclame, à son tour, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS et les États-Unis appuient, pour des motifs différents bien sûr, les mouvements de libération qui mènent au démantèlement des empires coloniaux de la France et de la Grande-Bretagne. Ce mouvement de décolonisation a eu une influence considérable sur le mouvement indépendantiste québécois des années 1960. Aujourd’hui, les Autochtones se réclament du même mouvement.
Nouvelle donne internationale
Rapidement, les grandes puissances, y compris le Canada, comprirent la menace que représentait le nouveau gouvernement soviétique et, dès la fin de la guerre, mirent de côté leurs différends pour tenter militairement de le renverser. Sans succès. Mais ce n’était que partie remise.
Au cours des années 1930, les éléments plus réactionnaires du capital financier apportèrent leur soutien aux partis fascistes, particulièrement en Allemagne et en Italie, mais aussi dans la plupart des pays, dans le but d’écraser le mouvement ouvrier et les partis communistes naissants. Devant le développement économique rapide de l’URSS, alors que les pays capitalistes étaient englués dans la Grande Crise des années 1930, les mêmes intérêts incitaient l’Allemagne nazie à déclarer la guerre à l’Union soviétique. Dans un premier temps, les gouvernements européens pratiquèrent une politique d’« apaisement » à l’égard du régime nazi, lorsqu’il envahit les Sudètes (région de la Tchécoslovaquie). Mais, constatant la volonté de Hitler de dominer le monde, un réalignement s’opéra et une alliance fut conclue avec l’URSS, symbolisée par la rencontre entre Staline, Churchill et Roosevelt à Yalta.
La bataille décisive de la guerre eut lieu à Stalingrad où l’Armée rouge arrêta les hordes hitlériennes et reprit l’offensive. Les autres puissances alliées, craignant que l’Armée rouge libère l’ensemble de l’Europe, décidèrent d’ouvrir enfin le second front, longtemps réclamé par l’URSS, avec le débarquement en Normandie. Les armées se rejoignirent en Allemagne, qui sera partagée entre, d’une part, l’URSS et, d’autre part, les autres pays alliés. Les pays de l’Est libérés par l’URSS se retrouvèrent dans la zone d’influence soviétique, alors que l’Europe occidentale était sous influence étatsunienne. Quelques années plus tard, en 1949, la Révolution dirigée par Mao fait basculer la Chine dans le camp soviétique.
Les « dix jours qui ébranlèrent le monde » avaient transformé de fond en comble la situation internationale. Churchill en avait rapidement pris acte. Dans un célèbre discours prononcé à l’Université de Fulton au Missouri, il déclare qu’un « rideau de fer » s’est abattu sur l’Europe. Un an plus tard, le président Truman fait sienne une politique d’« endiguement » du communisme. C’est le début de la Guerre froide. Elle se termine, en 1991, avec la chute du Mur de Berlin et la dissolution de l’URSS, alors dirigée par Gorbatchev. Selon plusieurs analystes, la direction soviétique aurait lancé la serviette devant le défi que représentait une nouvelle phase de la course aux armements avec la Guerre des étoiles de Reagan.
La lutte des classes
Le monde capitaliste pavoise. Ses idéologues affirment l’impossibilité de planifier l’économie et qu’il n’y a pas d’alternative au marché capitaliste. Une explication qui ne tient pas la route, lorsqu’on constate que des multinationales, avec des budgets dépassant ceux de bon nombre de pays, employant des centaines de milliers de travailleurs répartis sur plusieurs continents, arrivent à planifier leurs opérations.
Comment alors expliquer une telle débandade d’un pays dont la progression économique lui avait permis de produire canons, avions et blindés capables de vaincre la plus grande puissance économique de l’époque, l’Allemagne nazie?
Il n’y a malheureusement pas, à notre connaissance, de bilans exhaustifs de l’expérience soviétique. Avançons tout de même quelques hypothèses. En 1945, le territoire sous autorité soviétique s’est considérablement agrandi, mais c’est un champ de ruines. L’Union soviétique a perdu 25 millions d’habitants au cours du conflit et son peuple est fatigué de la guerre. Par contre, le territoire étatsunien a été épargné et son économie est florissante. Dans la Guerre froide qui s’enclenche, le rapport de forces est tout à l’avantage de l’Ouest.
Dans ce contexte, les dirigeants soviétiques ont-ils pris les bonnes décisions? Trop de ressources ont-elles été consacrées à la course aux armements, déstructurant l’économie? Contrairement au capitalisme, qui se développe spontanément et de façon anarchique, le socialisme implique des décisions humaines dans le choix des politiques économiques. A-t-on privilégié, au lendemain de la guerre, la production à court terme de biens de consommation au détriment d’une politique économique axée sur les besoins à long terme?
Plus fondamentalement, il est loisible de se demander si, dans cet affrontement entre deux systèmes, les germes de la capitulation de Gorbatchev ne se trouvent pas dans l’abandon, bien plus tôt, de la « lutte des classes » – qui était l’étendard de la Révolution de 1917 – au profit d’une approche plus conciliante à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union soviétique?
Chose certaine, l’augmentation des inégalités sociales, le pillage continu des ressources naturelles, et la menace d’un nouveau conflit mondial entre les grandes puissances, montrent que les classes dirigeantes mènent toujours, elles, leurs activités à l’enseigne de la « lutte des classes ».
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