En 1958, devant des milliers de membres de son parti, le Baas, Nasser s’était bidonné en racontant une conversation qu’il avait eue avec le Guide suprême des Frères musulmans. Ce dernier lui avait demandé d’ordonner que toutes les femmes égyptiennes portent le voile. Devant la foule en délire et lui-même riant à gorge déployée, Nasser raconta s’être informé auprès du chef religieux si sa fille, étudiante à la faculté de médecine du Caire, portait le voile. Non, avait-il répondu. Et Nasser de lui répliquer : comment voulez-vous que j’ordonne à 10 millions d’Égyptiennes de porter le voile alors que vous n’êtes même pas capable de convaincre votre propre fille de le faire !
Nasser était un leader laïc. Sous sa direction, l’Égypte ne faisait pas la promotion de la religion musulmane. En commission parlementaire au moment du débat autour de la Charte de la laïcité, un professeur d’origine égyptienne avait montré deux photographies prises à l’Université du Caire. Sur celle datant d’une trentaine d’années, il ne se trouve aucune étudiante à porter le voile. Sur celle réalisée l’année précédente, toutes les étudiantes le portaient.
Nasser plaidait pour ne pas forcer les femmes à porter le voile. Trudeau plaide pour ne pas forcer les femmes à ne pas le porter. Le premier prend une posture laïque. L’autre une posture multiculturelle, qui s’apparente à une religion.
Dans cette langue claire et limpide qui le caractérise et qui se rapproche de celle de Mélanie Joly, Justin a énoncé son credo dans les termes suivants : « Une société qui ne veut pas que les femmes soient forcées d’être voilées, peut-être devrait-elle se poser des questions sur ne pas forcer les femmes à ne pas porter le voile ». Voilà, c’est dit !
Le pire dans cette histoire, c’est que cette loi 62, pilotée par l’ineffable Stéphanie Vallée, n’a rien qui pourrait se rapprocher d’une pièce législative de haut niveau. Mal barrée, mal foutue, cette loi n’est rien d’autre qu’une tentative très maladroite du gouvernement Couillard de faire semblant d’être à l’écoute d’une partie importante de la population.
Mais cette loi indigeste, contre laquelle ont voté les trois partis d’opposition, qui se révèlera inapplicable et qui ouvre la porte à une foule d’accommodements miteux, demeure le fait de l’Assemblée nationale du Québec et que, pour cette raison, il n’est pas acceptable que le Rest of Canada s’en serve pour se livrer à son sport national, le Québec bashing, qui déferle ces temps-ci.
C’est à l’unanimité que les autres provinces ont dénoncé cette loi, ne ménageant aucun qualificatif pour la pourfendre. Par contre, on attend encore qu’un porte-parole du ROC accuse Philippe Couillard de « souffler sur les braises de l’intolérance… » Sans doute estime-t-on que le Canada aura encore besoin de lui.
La Première ministre ontarienne a exprimé son « profond désaccord », ajoutant que « chacun de nous devrait pouvoir vivre sa vie et son quotidien, et pratiquer ce en quoi il croit, sans peur ni discrimination ». Pour ne pas être en reste, le chef de l’opposition en a rajouté : « Si le fédéral ne mène pas la charge pour le Canada, et que cette loi raciste est adoptée, l’Ontario doit appuyer une contestation en vertu de la Charte. » En Alberta, la Première ministre a soutenu que la loi 62 était « le summum de l’islamophobie ».
Le Globe & Mail a écrit que la laïcité était devenue « une matraque utilisée par des politiciens qui veulent semer la division les peurs et les préjugés… ». De son côté, le National Post n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : « C’est une monstruosité qui ressemble à une comédie de l’intolérance au Québec ! »
« Ce n’est pas une loi sur la neutralité religieuse de l’État, mais plutôt une loi islamophobe et sexiste puisqu’elle cible exclusivement les femmes musulmanes portant le niqab par conviction religieuse», a affirmé ce cher Adil Charkaoui, constitutionaliste de renom et coordonnateur du Comité canadien anti-islamophobie.
Comme l’a écrit Mathieu Bock-Côté, il est quand même plutôt cocasse de constater que le niqab et la burqa ont acquis le statut de symbole des libertés au Canada anglais.
En filigrane à tous ces excès de langage, il faut comprendre que si le Canada des droits et des libertés n’était pas là pour les en empêcher, les Québécois se livreraient assurément, sans vergogne et sans gêne, à une détestable habitude, soit celle de manger des enfants au petit déjeuner…
Monsieur de Talleyrand avait raison. Tout ce qui est exagéré est insignifiant.
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