J’ai devant les yeux un magazine syndical avec ce titre, qui couvre l’ensemble de la page frontispice, « Oui, à la presse libre ». C’est un titre rassembleur, auquel on souscrit aisément, mais sans nécessairement en assumer toujours les tenants et aboutissants.
Il y a quelques décennies, dire « Oui, à la presse libre », c’était soutenir financièrement une presse alternative face aux grands conglomérats Power Corporation et Québecor. C’est dans ce contexte qu’est paru, en mai 1984, le premier numéro de l’aut’journal.
Aujourd’hui, dire « Oui, à la presse libre », c’est soutenir les revendications de tels conglomérats dans leur démarche pour l’obtention d’un soutien financier des gouvernements!!!
Leur principale source de revenus – la publicité – a migré vers Google, Facebook. Leur lectorat suit allègrement le même chemin. 60% des Québécois et des Canadiens s’informent principalement sur Facebook.
Les grands médias traditionnels répliquent par des mises en garde quant aux « Fake News » véhiculées sur le Net et au fait que l’algorithme de Facebook soit programmé pour alimenter ses abonnés avec des informations triées sur le volet pour les conforter chacun dans leurs opinions.
Est-ce que cela signifie que les grands médias traditionnels seraient, comme par magie, devenus des modèles d’objectivité et de progressisme? Qu’il n’y aurait pas nécessité, encore aujourd’hui, d’une presse alternative, critique à l’égard des parti-pris néolibéraux, patronaux et fédéralistes de la « Grande Presse »?
Le mythe de la « gratuité de l’information »
Depuis déjà plusieurs années, la presse alternative est confrontée au mythe de la « gratuité de l’information ». La distribution gratuite à Montréal, à partir du milieu des années 1980, du journal Voir ! et d’autres hebdomadaires a nourri ce mythe, amplifié par l’arrivée du journal Metro et de 24 heures. En régions, les hebdos ont joué le même rôle. Tous ces médias gratuits vivent de la publicité.
L’Internet a élevé à la puissance 10 le mythe de la « gratuité de l’information ». Dans un premier temps, les grands médias traditionnels y ont vu la possibilité de rejoindre un nouveau lectorat en offrant un accès gratuit à leur site. Parallèlement, les abonnements à leur version papier chutaient et les annonceurs trouvaient d’autres avenues via Internet pour rejoindre leurs clients potentiels.
Aujourd’hui, la presse traditionnelle est à la recherche d’un nouveau modèle d’affaires. Auparavant, ce modèle reposait sur une intégration verticale de la forestière à la papetière, puis de l’imprimerie jusqu’au journal papier.
Maintenant, le nouveau modèle d’affaires repose sur l’intégration au fournisseur Internet. Power Corporation s’est départi, au fil des ans, de ses papetières, de ses imprimeries et, finalement, de ses journaux papiers, ne conservant que La Presse + sur Internet, lourdement déficitaire, selon toute vraisemblance, et quêtant une aide financière des gouvernements.
Québecor a mieux réussi sa transition. Après la liquidation de son empire mondial d’imprimeries, il a mis la main, avec l’aide de la Caisse de dépôt, sur Vidéotron qui est aujourd’hui sa vache à lait.
Le coût caché de la « gratuité »
Qu’en est-il aujourd’hui du lecteur de la presse écrite? Il peut lire gratuitement le Journal (de Montréal ou de Québec) en buvant son café dans n’importe quel restaurant. Il peut aussi lire La Presse+ gratuitement s’il a les moyens de se payer une tablette. Le coût est assumé en partie par la publicité… et le fournisseur Internet Vidéotron, dans le cas du Journal, et la famille Desmarais dans le cas de La Presse+.
Pour s’informer, le lecteur peut aussi consulter gratuitement les sites de ces médias et celui de Radio-Canada. Mais la gratuité n’est qu’apparente. Ses impôts défraient le coût du site de Radio-Canada et son abonnement à Vidéotron le site du Journal.
Le Devoir fait aussi face au déclin de la vente de publicités. Sa santé financière est fragile et repose essentiellement sur les abonnements aux éditions papier et en ligne de son journal et au mur payant de son site Internet.
Notre modèle d’affaires
Qu’en est-il de l’aut’journal ? L’accès à son site Internet est gratuit. De plus, des 20 000 exemplaires imprimés chaque mois, 15 000 sont distribués gratuitement au moyen de présentoirs aux quatre coins du Québec. Dans notre cas, le mur payant et la distribution commerciale ne seraient pas rentables et nous priveraient d’une large audience.
Nous ne recevons aucune subvention gouvernementale et l’aut’journal n’ouvre pas ses pages à la publicité commerciale. De multiples efforts, au cours des ans, ont démontré qu’il était vain de fonder quelque espoir en ce sens. Les grandes entreprises ne financent pas des journaux de combat et les règles pour l’obtention de subventions étatiques excluent toujours des publications comme la nôtre.
Notre financement (notre budget total est d’environ 200 000 $ annuellement) repose en bonne partie sur le militantisme de nos collaboratrices et collaborateurs dont aucun n’est rémunéré pour ses articles. Seul notre secrétaire et coordonnateur, Louis Bourgea, est salarié.
Quant aux dépenses incompressibles (l’imprimeur, la distribution, la poste, le site Internet, le loyer, le téléphone, etc.), les factures sont acquittées par le soutien de notre lectorat (abonnements, dons, adhésion aux AmiEs de l’aut’journal) et par l’achat de publicités par les organisations syndicales.
L’air du temps
Et c’est là que ça se complique! Nos lectrices et nos lecteurs ne sont pas différents de l’ensemble de la population. Plusieurs visitent notre site Internet ou ramassent un exemplaire gratuit dans un présentoir, sans s’interroger sur le financement. Pour eux, l’information est gratuite.
D’autres nous soutiennent financièrement, mais sont prêts à nous abandonner, ou à tout le moins à nous punir, si nous ne soutenons pas sans réserve la cause particulière, l’opinion précise ou le parti politique de leur choix. Il faut croire que c’est dans l’air du temps !
Notre modèle d’affaires repose sur la diversité des soutiens financiers, garante, selon nous, d’une plus grande liberté de presse. Un défi qui postule qu’un grand nombre d’individus et de syndicats considèrent importante la liberté de presse et partagent une conception de celle-ci large et généreuse, qui va au-delà de leurs points de vue et de leurs intérêts particuliers.
Alors, « Oui, à la presse libre », mais sans oublier que la liberté de presse à un prix!
Nous vous invitons à soutenir l’aut’journal et vous proposons plusieurs façons de le faire :
. Vous abonner.
. Offrir un abonnement-cadeau pour Noël.
. Adhérer aux AmiEs de l’aut’journal.
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