Le vent du boulet

2018/01/15 | Par Michel Rioux

« Si tu te couches, ils vont te piler dessus. Si tu restes debout et que tu résistes, ils vont te haïr, mais ils vont t'appeler Monsieur. » ( Pierre Falardeau)

Ça n’aura finalement duré que 25 ans !

De l’élection de 1970, où le Parti québécois récoltait 24 % du vote populaire en faisant élire sept députés, jusqu’au référendum volé de 1995, le Canada anglais a senti passer le vent du boulet souverainiste. Cela a, pour un temps, rendu davantage circonspect ce ROC pour qui, avant 1970, le Québec se résumait à une question : What does Québec want ? Et qui, après 1995, a repris cette bonne vieille habitude de considérer comme le dernier de ses soucis la reconnaissance de son statut de peuple fondateur.

Avant 1970, le Canada anglais regardait cette province – étymologiquement : territoire des vaincus  – arriérée avec cette arrogance, cette insolence, cette morgue, en somme, qui a toujours été le fait des conquérants face aux conquis. Après 1995, où le destin du peuple québécois s’est joué sur 52 000 voix, le ROC n’a pas mis longtemps avant de retrouver sa superbe.

Il serait certes bon, pour ce peuple dont la devise devient de plus en plus Je me souviens pas, de se souvenir parfois. Cela lui éviterait de se diriger vers une mort lente alors qu’il lui serait au contraire possible de se projeter en avant, en s’appuyant sur les forces qui lui ont permis de se rendre jusqu’ici. Quelques semaines avant les élections d’avril 1970, Pierre Vadeboncoeur publiait La dernière heure et la première. On y lisait ceci : « Les francophones, dans ce pays, dans cette province, aujourd’hui, sont déjà des serviteurs, on le sait (…). Notre condition est assez évidente : nous ressemblons, par notre situation, par notre expérience, à ces peuples de la terre américaine, étrangers de l’intérieur, défavorisés, étranges aux yeux de la majorité, et dans lesquels les détenteurs de la richesse commune et des pouvoirs nationaux ne reconnaissent pas des partenaires, des rivaux ou des frères. Nous sommes déjà, à cet égard, des prolétaires de l’histoire. »

Quelques mois plus tard, c’est Félix Leclerc qui écrivait, dans L’alouette en colère :

 

« Il ne lui reste plus
Qu’la belle vue sur le fleuve
Et sa langue maternelle
Qu’on ne reconnaît pas
! »

 

Ça ne s’invente pas ! Récemment, la soirée hommage à Leonard Cohen a été diffusée sur les ondes de la CBC. Quand son fils Adam est venu chanter, en français, on a vu apparaître au bas de l’écran le texte suivant : « Adam sings in a foreign language. » Une langue étrangère, le français ? C’est ainsi que le ROC l’a toujours vue, sauf dans les rares périodes où le vent du boulet produisait chez lui une crainte salutaire.

C’est aujourd’hui business as usual dans le ROC.

Après 1995, on n’a pas mis longtemps avant de nous rappeler quelle était notre place.

Trois ans plus tard, Alliance Québec, organisme financé par Ottawa, élisait à sa tête Pit-Bill Johnson, ainsi aimablement surnommé par ses amis. Ce résultat, de même qu'un sondage de The Gazette, démontraient alors que les perceptions des anglophones étaient redevenues ce qu’elles avaient toujours été. Ainsi, 82 % favorisaient le libre choix absolu pour la langue de l'enseignement ; 80 % appuyaient le bilinguisme dans l'affichage ; 68 % étaient d'accord avec la partition du Québec. On adoptait aussi le principe d'une campagne de désobéissance civile se traduisant par le non-paiement des taxes et des impôts en cas de déclaration d'indépendance. On adoptait enfin une proposition «exigeant du gouvernement du Québec qu'il n'utilise pas la force pour prendre en otages et comme prisonniers les peuples minoritaires du Québec en cas de sécession».

Depuis que le rapport de forces du Québec se réduit comme peau de chagrin, Couillard et Fournier jouent du violon sur l’air de la Politique d’affirmation du Québec. Mais personne, dans le ROC, ne prête l’oreille à leur musique. Fournier le bully, qui voit rouge au quart d’heure face à l’opposition, voit tout à coup la vie en rose quand il se tourne vers les Rocheuses. Les deux joueurs de piccolo se déguiseraient-ils en nuvites pour attirer l’attention qu’on n’en trouverait aucun écho dans les médias ou les gouvernements.

En conséquence, je fais miennes ces lignes du journaliste Luc Chartrand parues dans L’Actualité : «Il est devenu acceptable en ce pays de mépriser les Canadiens français en les taxant d’être xénophobes, butés et racistes. Ceux que René Lévesque appelait les Rhodésiens du Canada sont en train d’inventer un racisme subtil, politiquement correct. Car, derrière le paravent du multiculturalisme, ce sont les nostalgiques de la supériorité anglo-saxonne qui se cachent.»