Deux nouveaux paradis fiscaux pour le Canada : la Grenade et Antigua-et-Barbuda

2018/02/22 | Par Gabriel Ste-Marie

À compter du 3 mars 2018, le Canada aura des ententes officielles avec deux nouveaux paradis fiscaux : la Grenade et Antigua-et-Barbuda.  Le gouvernement Trudeau a signé, au cours des derniers mois, deux ententes « d’échange d’informations » avec ces îles des Antilles. Ces « ententes » ont été présentées aux députés le 31 janvier dernier, afin de pouvoir être mises en application 31 jours plus tard. Cela porte à 26 le nombre de paradis fiscaux où les entreprises canadiennes, principalement des sociétés financières, peuvent déclarer leurs profits pour ne pas payer d’impôts au Canada.

Quand il est question de paradis fiscaux, on nage en pleine confusion. De prime abord, une entente « d’échange d’informations » semble tout à fait justifiable et devrait constituer un pas dans la bonne direction. Or, un obscur règlement de l’impôt canadien renverse la donne. Présenté au paragraphe 5709 alinéa 11, caché dans une section nommée « frais pour médicaments », ce règlement stipule que, lorsque le Canada a une entente « d’échange d’informations » avec un paradis fiscal, la double imposition ne s’applique plus aux revenus de l’entreprise. Dans les faits, ces ententes servent donc à légaliser de nouveaux paradis fiscaux.

Ce tour de passe-passe a été mis en place en 2009, sous le gouvernement Harper. Dès lors, tous les États avec lesquels Ottawa a signé une telle entente sont devenus des paradis fiscaux légaux pour les entreprises. Lorsque le gouvernement fédéral signe une nouvelle entente, il légalise un nouveau paradis fiscal. Le gouvernement lui-même le reconnaît, comme le rappelle la note explicative accompagnant les ententes avec la Grenade et Antigua-et-Barbuda.

D’ailleurs, il est très difficile pour les autorités fiscales d’obtenir de l’information des paradis fiscaux une fois qu’une telle entente est conclue. Il faut poser une question spécifique, sur une entreprise spécifique, pour espérer recevoir une réponse plusieurs mois plus tard.

De plus, il n’y a à peu près aucun échange d’informations à espérer avec la Grenade, l’un des deux nouveaux paradis fiscaux. Là-bas, le taux d’imposition pour les sociétés offshores est de 0 %. Puisque ces coquilles vides ne paient aucun impôt, l’État ne leur demande ni déclaration d’impôt, ni rapport annuel. Les seules informations devant être publiées sont les modifications à la forme juridique des entreprises, par suite de fusions ou d’acquisitions. Bref, le gouvernement Trudeau vient de signer une entente avec un paradis fiscal d’où on ne peut tirer aucune information !

Quant à Antigua-et-Barbuda, il s’agit d’un paradis fiscal spécialisé pour les exilés fiscaux. La règle est simple. Lorsqu’un individu ouvre un compte bancaire et y dépose l’équivalent de 400 000 $US, il est réputé résident de l’île, même s’il n’y met pas les pieds de l’année. Cela lui permet d’y déclarer les revenus réalisés dans un autre pays et de ne pas payer d’impôt.

Lorsque le gouvernement Trudeau affirme mener la lutte à l’évitement fiscal et à l’évasion fiscale, il n’a aucune crédibilité. Il ne fait que poursuivre la légalisation du recours aux paradis fiscaux, comme l’ont fait ses prédécesseurs, les gouvernements Harper, Martin et Chrétien.

À la Chambre des communes, le gouvernement ne répond jamais directement aux questions posées sur ce sujet. Il affirme plutôt « lutter fort » contre les fraudeurs qui ont recours aux paradis fiscaux. Or, même s’il faut s’assurer de débusquer les fraudeurs, il est illogique de continuer à légaliser davantage la pratique des paradis fiscaux.

Et les résultats de la lutte aux fraudeurs sont, pour l’instant, très maigres. Même si la ministre du Revenu, Diane Lebouthillier, a affirmé en Chambre avoir récupéré 25 milliards $ de ces fraudeurs, il n’en est rien. Dans un rapport signé de sa main, l’Agence du revenu révèle plutôt avoir mis la main sur 35 millions $ entre 2011 et 2017. Presque mille fois moins !

Pendant ce temps, le gouvernement refuse d’appliquer les recommandations de l’OCDE pour lutter contre l’évitement fiscal, comme prélever les taxes sur les transactions en ligne, à partir du lieu d’achat. Il s’agit d’une mesure délibérée, qui donne un avantage considérable aux multinationales comme Amazon, au détriment de nos commerçants locaux.

Sans parler du scandale de l’industrie du cannabis. Plusieurs entreprises productrices sont dirigées ou ont été fondées par des amis du Parti libéral et elles reçoivent des centaines de millions de dollars en investissements des paradis fiscaux. Ces fonds proviennent principalement des Îles Caïman où il est très difficile d’identifier qui se cache derrière ces entreprises et d’où viennent les fonds.

Justin Trudeau est très fort en communication. Il se donne l’image du gars « cool » qui gouverne pour la classe moyenne. Il n’en est rien. Il gouverne d’abord pour ceux qui profitent des paradis fiscaux et pour les milieux d’affaires et financiers proches de son parti.

Le Québec paye cher ces choix politiques. Ceux qui pourraient contribuer le plus aux revenus de l’État, tant à Québec qu’à Ottawa, utilisent ces échappatoires. Cela veut dire plus de taxes et d’impôts pour les contribuables, moins de services et plus d’endettement public.

C’est un autre exemple du coût de notre choix de demeurer dans la fédération canadienne. Le seul pouvoir que possède le Québec est de demander à Ottawa de changer la donne. Et Ottawa fait le contraire.

L’auteur est député du Bloc Québécois.