« Nos membres ont l’impression de travailler davantage pour gonfler les statistiques du gouvernement que pour répondre aux besoins de la population. Cette dépréciation de leur travail entraîne une grande souffrance. Comme nous n’en avons jamais vue auparavant ! Un sondage effectué l’an dernier a révélé un niveau de détresse élevé ou très élevé chez 60 % d’entre eux », de nous expliquer Carolle Dubé, la présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui représente, entre autres, des travailleurs sociaux, des ergothérapeutes, des technologistes médicales, des psychologues et des physiothérapeutes.
« Chez nous, l’autonomie professionnelle est un enjeu majeur, enchaîne-t-elle. Les redditions de comptes continuelles, la paperasse et les tracasseries administratives minent le moral de notre monde, notamment ceux qui travaillent en soins à domicile. On leur demande d’en faire toujours plus alors que les ressources nécessaires ne seront pas au rendez-vous. Ça faut grimper les statistiques, mais ça mine le moral. »
La question du temps supplémentaire n’est pas absente non plus du quotidien des membres de l’APTS. « La réforme du docteur Barrette a entraîné une surcharge de travail. Par suite des compressions, des départs n’ont pas été remplacés. On demande alors aux professionnels de tourner les coins ronds, de toujours en faire plus avec moins, de passer outre les codes de déontologie. Et, parce que nos membres donnent priorité aux patients, ils doivent souvent rédiger leurs rapports après leurs heures de travail, bénévolement. Le sondage l’a confirmé éloquemment : 65 % de nos membres, dont 87 % sont des femmes, disent qu’ils n’ont pas assez de temps pour faire leur travail », s’indigne Carolle Dubé.
Avec ses 52 000 membres, répartis partout sur le territoire québécois, l’APTS est bien placée pour prendre la mesure de l’état des lieux. « La situation est catastrophique et le ministre Barrette en est le grand responsable. Il a concentré tout le pouvoir entre ses mains, au plus grand mépris de l’autonomie des établissements et de leur personnel. Son approche autoritaire est totalement contre-productive et crée des dégâts importants sur le terrain », s’insurge la présidente de l’APTS.
Selon elle, le problème central en est un de gestion, bien sûr, mais surtout de vision. « L’approche est trop centrée sur la médecine, le curatif plutôt que sur la prévention. On le voit avec le désinvestissement dans les CL SC et en santé mentale. Quand les jeunes avec des problèmes ne sont pas identifiés et pris en charge à temps dans les écoles ou les centres jeunesse, on peut être assurer qu’ils vont éventuellement revenir frapper à la porte des services sociaux. C’est le même phénomène pour les soins à domicile. Si on laisse la situation se détériorer, les gens vont se retrouver plus rapidement dans les CHSLD. Avec les coûts supplémentaires que cela implique », constate-t-elle.
Le manque de ressources est encore plus frustrant et irritant dans le contexte de la hausse scandaleuse de la rémunération des médecins. « On nous avait promis, en échange, de meilleurs services, une plus grande accessibilité, ce n’est certainement pas le cas. » Carolle Dubé met en parallèle les modestes gains salariaux de ses membres, lors de la dernière négociation, et les augmentations faramineuses consenties aux médecins, et elle en vient à la conclusion qu’il faut une réflexion globale sur la rémunération dans le secteur de la santé. Lorsqu’on lui demande s’il faut envisager le salariat pour les médecins plutôt que la rémunération à l’acte, elle répond : « Je pense que le salariat pour les médecins devrait faire partie de la réflexion ».
Chose certaine, l’APTS n’entend pas en rester là. Elle compte intervenir, lors de la prochaine campagne électorale, pour faire connaître à la population la réalité du système de santé à laquelle ses membres sont confrontés, dans le but de l’éclairer quant à son choix démocratique.
Quelques témoignages récemment recueillis
« Les gens quittent rapidement en maladie... dont beaucoup de jeunes employés. Plusieurs personnes récemment embauchées quittent leur emploi. Les intervenants vivent de l'agressivité verbale et parfois physique. Cette agressivité répétitive devient angoissante et épuisante. Nous avons choisi cette profession afin de venir en aide aux familles... mais nous sommes nous-mêmes en détresse. »
- Une éducatrice en centre jeunesse
« Mon équipe a vécu l'enfer et elle le vit encore. Nous sommes quatre intervenantes sur six à être parties en congé pour dépression. Nous sommes à boutte ! Tout le monde est revenu au travail, sauf moi. Je vois parfois mes collègues, et on me dit que c'est aussi pire qu'avant. J'ai peur de retourner au travail, même si je serai en retour progressif. Je serai fragile et les conditions sont épouvantables. Les tâches statistiques sont maintenant si importantes que nous en venons à oublier l'aspect humain du travail. »
- Une technicienne en assistance sociale en CLSC
« Je travaille dans le réseau de la santé depuis bientôt quatre ans. Je suis psychologue. Lorsque j'ai commencé, j'avais à cœur l'amélioration des soins en santé mentale à la population. Les dernières années ont été éprouvantes, au point où j'ai perdu cinq collègues psychologues qui ont laissé le réseau public. Pendant les trois dernières années, plus de la moitié de mon équipe de travail est allée en congé de maladie à un moment ou un autre par épuisement. Il s'agissait d'intervenants en santé mentale. M. Barrette, les gens quittent le réseau depuis que vous êtes au pouvoir. »
- Un psychologue en CLSC
« M. Barrette, vous ne voulez donc vraiment rien entendre et rien voir. Votre réforme est un désastre pour l'ENSEMBLE du réseau. Personne n'est épargné par les coupures. Les charges de travail ne permettent pas de donner des services de qualité ni de respecter les exigences de nos ordres professionnels. Sans parler des congés de maladie non remplacés, du stress constant, des formations refusées, etc. Le réseau est malade parce que VOUS l'avez rendu malade en imposant les CISSS/CIUSSS, ces mégastructures qui ne sont rien qu'un amalgame de structures déjà sous financées qui, comme par magie, doivent devenir ultra-performantes avec des coupures de personnel et de moyens. Il serait peut-être temps de sortir de votre pays merveilleux et de venir dans la réalité. Notre réalité. »
- Une travailleuse sociale en hôpital psychiatrique
« Les risques d'agression sont présents et les employeurs ne savent pas comment soutenir les intervenants qui ont vécu une agression. Ça amène des arrêts de travail. Tous les jours, on vit de la violence, ça use à long terme et c'est pourquoi il y a un taux de roulement élevé et que de plus en plus de jeunes cherchent à aller travailler dans un autre domaine. »
- Un éducateur en centre jeunesse
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