Le jour même où le ministre des Finances, Bill Morneau, a clarifié les propositions du gouvernement fédéral visant à limiter la répartition du revenu, un moyen utilisé par les propriétaires à revenu élevé pour réduire leurs impôts, le Comité sénatorial des finances a publié son rapport recommandant la suppression de toutes les modifications du ministre. À la place, le Comité sénatorial a recommandé que le gouvernement du Canada « entreprenne un examen approfondi et indépendant du régime fiscal du Canada, dans le but d’en réduire la complexité, d’en assurer la compétitivité économique et d’en améliorer l’équité globale ».
La dernière fois que le Canada a procédé à un examen aussi complet, c’est lorsque la Commission Carter Royal en a fait rapport en 1966; beaucoup de recommandations, mais pas toutes, ont finalement été mises en application dans une loi en 1972. Cette démarche s’est déroulée sur une décennie à partir du début de la Commission royale. La proposition du Comité sénatorial, si elle est prise au sérieux, ressemble beaucoup à l’adoption d’un comportement attentiste convenu, une manoeuvre dilatoire courante.
Cela ne veut pas dire qu’un examen en profondeur du système fiscal du Canada serait superflu. Or, au lieu d’un examen approfondi aussi vaste que celui de la Commission Carter, peut-être serait-il plus prudent de procéder à une analyse approfondie et continue des multiples facettes du régime fiscal, une activité à part entière du ministère des Finances. Comme l’a fait remarquer le vérificateur général du Canada, « l’information fournie par le ministère des Finances Canada sur les dépenses faites au moyen du système fiscal n’appuie pas adéquatement le Parlement dans sa fonction de surveillance ».
Dans certains cas, ces examens réguliers pourraient porter sur des aspects plus structurels du régime fiscal, par rapport aux « dépenses faites au moyen du système fiscal », définies par le vérificateur général. La tempête de protestations qui a accablé le ministre Morneau à propos des changements proposés à la fiscalité des sociétés privées soulève la question plus générale de savoir comment les impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés devraient s’articuler les uns avec les autres. En jargon fiscal, il s’agit de l’intégration des régimes d’impôt sur le revenu des particuliers et sur les bénéfices des sociétés.
Les principes de base de l’impôt sur le revenu exigent que les revenus ne soient pas imposés deux fois : une fois lorsqu’ils sont reçus par une société, et encore une fois lorsque les revenus sont versés sous forme de salaire ou de dividendes aux actionnaires individuels. Parallèlement, les revenus générés par une société ne devraient pas être sous-imposés, si l’on compare avec le traitement de ces revenus s’ils étaient reçus directement par des particuliers, précisément les préoccupations soulevées par les propositions controversées récemment présentées en détail par le ministre des Finances.
Les incitatifs fiscaux à l’épargne-retraite dans les REER et les régimes de pension agréés (RPA) en milieu de travail pourraient constituer une deuxième orientation possible. Dans ce cas, la structure de base des limites globales, une des recommandations originales de la commission Carter, n’a été mise en œuvre qu’en 1990. Il y a toutefois des questions importantes sur les coûts globaux de ces incitatifs et leur ciblage, car elles sont surtout utilisées par ceux qui ont des revenus plus élevés, par rapport aux contribuables de la classe moyenne.
Un troisième domaine possible à examiner en profondeur est l’imposition des revenus de provenance étrangère, notamment en raison des scandales révélés par les « Paradise Papers ». C’est cependant une question que le Canada ne peut résoudre à lui seul. Des améliorations majeures dans l’application de la loi contre l’évasion fiscale (qui est illégale) et même la détection d’importantes stratégies d’évasion fiscale (qui sont légales, mais qui peuvent être très abusives) exigent une collaboration internationale généralisée.
L’OCDE a mené des travaux dans le domaine de l’« érosion de la base fiscale et le transfert des bénéfices ». Jusqu’à présent, cela ne donne pas les résultats escomptés et essentiels pour s’attaquer aux enjeux majeurs.
Il se pourrait que la « réforme fiscale » (ou, selon les termes du rapport du Comité sénatorial, « l’assurance de la compétitivité de l’économie ») soit en fait une autre façon de réduire les taux d’imposition des sociétés. La récente loi américaine sur la réforme fiscale a fait craindre qu’un taux d’imposition plus faible sur les sociétés exerce une pression intolérable sur les entreprises canadiennes, les incitant à réduire leurs investissements. Mais les réductions d’impôt mêmes ne constituent pas une réforme fiscale. Les changements apportés aux États-Unis comprenaient un élargissement de la base en réduisant certaines « dépenses faites au moyen du système fiscal », mais ils ont surtout augmenté le déficit de près de 1,5 billion de dollars.
Quoi qu’il en soit, toute révision du régime fiscal canadien devrait être fondée sur des preuves solides. Les récentes propositions concernant la répartition des revenus, le revenu passif et l’évitement de l’impôt équitable sur les gains en capital à la disposition d’une société privée ont été remarquées, du moins pour les passionnés de données, pour la faiblesse des preuves fournies. L’étude récente du DPB semble avoir donné de meilleurs résultats.
Encore plus important qu’une autre commission royale sur la fiscalité, le gouvernement pourrait se doter de données de haute qualité et de capacités d’analyse pour comprendre ce qui se passe réellement (sous réserve des restrictions de confidentialité) et permettre aux chercheurs externes de bonne foi de fournir aux Canadiens une analyse indépendante continue, fondée sur des preuves.
Au lieu de tenter une réforme fiscale « choc » à chaque génération, il serait beaucoup plus efficace de se fier au vérificateur général et d’investir dans une analyse continue et un examen régulier de toutes les principales dispositions fiscales.
Michael Wolfson est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et membre du Centre de droit, politique et éthique de la santé à l’Université d’Ottawa. Il a présidé une chaire de recherche du Canada dans le même établissement. Il a auparavant occupé le poste de statisticien adjoint en chef à Statistique Canada.