Dans son histoire du Bloc Québécois, La Rébellion tranquille (QuébecAmérique), Martine Tremblay intitule le dernier chapitre couvrant la période 2009-2011 « Chronique d’une mort annoncée ». Nous ne savons pas si nous en sommes rendus à écrire l’épitaphe sur la pierre tombale, mais la dernière crise, avec la démission de 7 des 10 députés du caucus, appelle à une sérieuse réflexion sur son avenir et, plus largement, sur l’ensemble du mouvement souverainiste.
La mission du Bloc à Ottawa était de préparer l’indépendance jusqu’à l’élection québécoise de 1998, qui a vu le Parti Québécois dirigé par Lucien Bouchard remporter la victoire, mais avec moins de suffrages que les libéraux de Jean Charest. Toute perspective réaliste de la tenue d’un nouveau référendum était alors écartée.
Par la suite, le Bloc a réussi à obtenir l’appui des Québécois, d’abord avec sa campagne « Un parti propre au Québec » en 2004 (54 députés), en tirant profit du scandale des commandites, et, par la suite, en 2006 (51 députés) et 2008 (49 députés) en se portant à la défense des intérêts du Québec dans le cadre particulier de deux gouvernements minoritaires à Ottawa.
Malgré cela, son soutien populaire décline à chaque élection depuis 2006. (2006 : 1 553 201 votes ; 2008 : 1 379 991 votes; 2011 : 889 788 votes; 2015 : 821 144 votes). Que le nombre de députés soit passé de 4 en 2011 à 10 en 2015 ne s’explique que par une division plus favorable du vote entre les autres partis politiques.
À deux reprises, raconte Martine Tremblay, le Bloc a été pris de court par des promesses d’ouverture envers le Québec des autres partis politiques. D’abord, ce fut la promesse de Stephen Harper, à l’élection de 2006, de régler le déséquilibre fiscal et d’assurer une reconnaissance de la place du Québec sur la scène internationale (un siège à l’UNESCO) et, par la suite, par Jack Layton et sa « Déclaration de Sherbrooke » à l’élection de 2011. En 2015, c’était l’insulte suprême avec l’élection de 40 députés d’un Parti libéral dirigé par un Trudeau.
La descente aux enfers du Bloc est le miroir de la déconfiture du Parti Québécois avec les échecs répétés des Bernard Landry, André Boisclair et Pauline Marois, malgré la brève éclaircie d’un gouvernement minoritaire de 18 mois. Le report aux calendes grecques de la tenue d’un référendum avec Jean-François Lisée consacre la débandade.
Dans le cas de petites nations, comme le Québec, le fond de l’air politique et idéologique international a une grande importance. En réaction à la mondialisation, on assiste bel et bien à un éveil des nationalités, mais la défaite de deux mouvements nationaux comparables à celui du Québec, soit celui des Écossais et des Catalans, ajoute au désenchantement ambiant. Le cas de la Catalogne démontre qu’il ne suffirait pas d’une majorité de 50 % + 1 pour établir le rapport de force nécessaire pour l’occupation effective du territoire et la reconnaissance internationale permettant l’acquisition de la souveraineté.
De plus, nous baignons dans un environnement idéologique néo-libéral où dominent l’individualisme (précarité au travail) et le fractionnement social sur la base de questions identitaires (religion/laïcité, immigration/multiculturalisme, sexes/genres, etc.) Difficile dans ces conditions de rassembler, comme il y a quelques décennies, sous le chapeau de la nation ou de la classe sociale.
Le mouvement national ne pouvait pas ne pas être affecté par ce contexte général. D’une part, une partie de l’intelligentsia nationaliste, nostalgique de l’époque Duplessis et qui aimait bien Stephen Harper, serait sans doute disposée à reprendre langue avec le Parti conservateur. D’autres, plus à gauche, considèrent que la main tendue du NPD et de son nouveau chef au Québec est « une proposition à prendre au sérieux », comme le déclarait l’ancien député péquiste Etienne-Alexis Boucher, aujourd’hui président du Mouvement national des Québécoises et des Québécois, dans un texte publié dans La Presse du 26 février 2018.
À l’autre extrême du spectre politique, il y a ceux qui croient qu’il suffit d’offrir au 40 % de l’électorat, qui se proclame souverainiste, un véhicule politique arborant fièrement cette bannière pour engranger des votes. Pourtant, notre histoire est riche de pareils culs-de-sac. En 2011, Jean-Martin Aussant quittait le Parti Québécois et fondait Option nationale avec une telle perspective. Au scrutin de 2012, ON récoltait 1,9 % des voix (82 539 votes) et, en 2014, seulement 0,7 % des voix (30 697 votes).
On peut citer d’autres exemples historiques. Aux élections fédérales de 1984, le Parti nationaliste dirigé par Denis Monière présentait 75 candidats au Québec, mais ne recueillait que 2,5 % des voix et ne faisait élire aucun député.
En 1985, Monière récidivait sur la scène provinciale, en fondant le Parti Indépendantiste, avec l’objectif de combler le vide laissé par l'abandon de la souveraineté par le Parti Québécois au profit du projet d'« affirmation nationale » de son chef Pierre Marc Johnson. Il ne récolte que 0,45 % du vote populaire (15 423 votes).
Dans son livre sur l’histoire du Bloc Québécois, Martine Tremblay fait part des tensions qui ont toujours existé en son sein entre ceux qui voulaient uniquement faire la promotion de l’indépendance et ceux qui se cantonnaient à jouer le jeu du parlementarisme canadien. Il y a eu quelques démissions en cours de route, mais Gilles Duceppe a réussi à maintenir l’unité en imposant une discipline de fer, un héritage de ses dix années passées au sein du Parti communiste ouvrier (PCO).
Duceppe avait l’autorité nécessaire parce qu’il avait été élu au suffrage universel des membres – il a été élu avec 52,8 % des quelque 50 000 membres-votants, soit près de la moitié du total du membership – , qu’il bénéficiait de l’appui des ténors du mouvement souverainiste (Bouchard, Parizeau, Landry) et qu’il avait passé avec succès l’épreuve des élections. Il faut se rappeler que c’est Michel Gauthier qui avait succédé à Lucien Bouchard à la tête du Bloc. Mais élu seulement par les membres du Conseil général, il n’avait pas réussi à s’imposer comme chef et devra démissionner à peine dix mois après son élection.
Quel avenir aujourd’hui pour les souverainistes à Ottawa? Leur disparition n’est pas inévitable et encore moins souhaitable. Le monde est en plein bouleversement. Des traités commerciaux, comme l’ALENA, sont remis en question; de nouveaux traités, comme le TransPacifique, sont signés. Les relations entre le Canada et les États-Unis n’ont jamais été aussi tendues. S’apprête-t-on à troquer la gestion de l’offre en agriculture en échange de concessions pour l’acier, l’aluminium et l’industrie automobile ontarienne, pour ne citer qu’un seul exemple?
Le Québec a intérêt à veiller au grain, d’autant plus qu’avec la diminution de son poids démographique, il a perdu de son influence politique au sein du Canada. Stephen Harper a démontré qu’il était possible d’accéder au pouvoir sans représentation significative au Québec et Justin Trudeau a compris qu’il n’y aurait aucune conséquence politique à ne pas nommer de lieutenant québécois dans son caucus.
À ce moment-ci de notre histoire et sur la base de l’expérience passée du Bloc, quelle devait être l’articulation entre la défense des intérêts du Québec et la promotion de l’indépendance? Quelle devrait être la relation entre l’aile parlementaire et le parti politique? Le débat est nécessaire. Il doit avoir lieu. Il devrait être pris en charge par un organisme neutre comme OUI-Québec.
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