Sortir le débat des chapelles idéologiques !

2018/03/16 | Par Gilles Simard

L’auteur est journaliste et Pair-aidant en santé mentale.

Il y a peu, une amie faisait paraître dans un journal communautaire de Québec (Droit de Parole), un billet sur la commémoration à la mémoire des victimes de la tuerie de la Mosquée de Québec (29 janvier). Pour un, j’aimais son texte, parce qu’il énonçait des vérités et questionnait des faits, reflétant en cela les préoccupations d’une majorité de Québécois-ses sur les questions de laïcité, d’accommodements religieux et de récupération politico-sociale de ces journées par différents groupes et partis politiques. Mais surtout, j’appréciais cet article, parce qu’il nous sortait du ronron idéologique de toutes ces entités qui carburent à l’intersectionnalité et aux bons sentiments. Des regroupements qui, à force de trop aller dans le coin des particularismes, ont commencé à s’y peinturer allégrement. On n’a qu’à penser ici, à ce qui reste de la Fédération des Femmes du Québec. Peu édifiant …

N’empêche, sitôt paru l’écrit « litigieux » de cette amie, on s’est vite rameuté dans certains milieux militants, pour décrier, mépriser et vouer collectivement aux gémonies ce papier pourtant bien inoffensif. Dans les nombreux commentaires (sur le site web), on en a parlé comme d’un torchon, un écrit abject, méprisable, raciste et islamophobe, j’en passe et des meilleures. Qui plus est, on s’en est même pris au journal, l’accusant d’avoir manqué à sa vocation première, le taxant de populisme et d’hérésie, ainsi que d’accointances idéologiques avec le discours des radios poubelle locales. 

 

Trouver des zones tampons

Cela dit, ce fait apparemment anodin, illustre à lui-seul toute la difficulté que nous éprouvons dans certains milieux de gauche et aussi dans la population, à débattre sainement de sujets sensibles comme la laïcité, les accommodements religieux et l’immigration.  

Comme s’il nous était impossible de discuter de façon respectueuse et sereine, sans tomber dans les pièges de l’insulte ou de l’accusation par association. Comme si nous étions les seuls porteurs de vérité, incapables d’accepter ou de considérer des arguments contraires aux nôtres. Comme si notre égo politico-social était tel, qu’il ne restait plus de place pour un doute salutaire et une nécessaire auto-critique.

Pourtant, entre deux camps aux opinions apparemment si opposées, la gauche « inclusive » et la gauche « nationaliste », il doit bien y avoir un entre-deux, une zone tampon, une sorte de No Fuck Land pour entendre et jauger calmement les arguments adverses, non ? Et qui sait, peut-être même s’y laisser influencer ?

Soit dit en passant ici, la gauche inclusive, ou peu importe comment on la désigne, n’a pas le monopole de l’insulte et de l’accusation par amalgame fâcheux, loin de là. On n’a qu’à penser à l’arsenal d’expressions et d’aphorismes dont disposent les autres factions… « Idiots utiles, islamo-gauchistes, multiculturalistes naïfs, trudeauistes », la liste est longue, et il n’y a pas de quoi se poser en champion de l’éthique, faut l’avouer.

           

Un débat sain dans un cadre sain

Autrement, bien d’autres l’ont dit avant moi, il faut impérativement sortir le débat des chapelles idéologiques, des lignes de partis et de la gélatine du politiquement correct, afin de nous le réapproprier et d’en discuter librement, sainement, sans penser à s’égorger à tout bout de champ. Il faut l’enlever des mains des champions auto-proclamés de la vérité unique, des social justice warriors du Web, des politiciens clientélistes et des chroniqueurs à-la-va-vite, en se donnant les moyens de le cadrer et de le repenser au besoin. De même, il faut extirper le débat du presto émotif des réseaux sociaux, des émissions guimauve à la TLMP et aussi des clubs de faiseurs d’opinion trop intéressés pour être honnêtes et impartiaux.

                               

Tant de bons livres à lire …

S’asseoir, lire et réfléchir pour mieux argumenter, propose Jérémie Mc Ewen, dans son excellent dernier livre Avant je criais fort (éd. XYZ)Désintoxiquer le débat, écrivait quant lui, Normand Baillargeon (Voir-Mars 17), en donnant toute une série de moyens concrets pour aboutir à un dialogue qui soit utile, porteur et constructif entre deux parties.  Quant à moi, si j’avais deux livres de chevet à conseiller pour alimenter la réflexion, j’irais avec Un pays en commun, d’Éric Martin (Écosociété), un livre puissant qui réconcilie nationalisme et socialisme, et encore le très bel essai de Catherine Dorion, Les luttes fécondes (Atelier-10) … Que voilà un genre de livre celui-là, que j’aurais aimé connaître à mon époque de militantisme dévoyé au sein du groupe En Lutte ; un temps où les diktats du paraître et du conformisme militant l’emportaient sur les désirs profonds d’à-peu-près tout le monde dans le groupe.                           

                            

Une décision dangereuse

Plus que jamais, alors que les principaux partis politiques du Québec ont déjà commencé à faire connaître leurs dernières propositions en matière d’immigration, de religion et de laïcité, il convient, répétons-le, de se réapproprier le débat politico-social à des fins de d’intelligence commune et de justice sociale. Ce qui ne doit pas nous empêcher, en ces périodes où la tentation du clientélisme et du racolage est extrême, de rester très vigilant.

Pensons, ici, à la dernière décision du Directeur Général des Élections du Québec (DGEQ), acceptée sans aucun débat à l’Assemblée nationale, et permettant le port de signes religieux (en photo) pour les candidats-es. Un net recul pour la laïcité, une incohérence majeure qui met en péril le concept même de neutralité religieuse de l’État. De ce fait, je me joins sans réserve aux Nadia El Mabrouk, André Lamoureux, Djemila Benhabib, Michèle Sirois et tous-tes les autres ayant récemment condamné cette mauvaise décision.

Enfin, oui ! Sortons le débat des chapelles, mais diable, ne ramenons pas les chapelles à l’Assemblée nationale !

L’État est neutre et doit le rester !