Trois jours après les commémorations de l’attentat à la Grande mosquée de Québec, le Comité permanent du patrimoine canadien a présenté à la Chambre des communes son rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, pour lequel il avait été mandaté en mars 2017, lors de l’adoption de la motion M-103 condamnant l’islamophobie.
On a fait grand bruit à propos de l’instauration d’une Journée nationale contre l’islamophobie alors que ce rapport est pratiquement passé sous le radar. Nous aurions pourtant intérêt à y accorder la plus grande attention.
Ce rapport contient au total 30 recommandations visant à mettre en œuvre un plan d’action national pour lutter contre le racisme systémique et la discrimination religieuse au niveau fédéral.
Il constitue à ce jour, le projet le plus vaste et le plus ambitieux jamais présenté à un gouvernement, un projet précis et rigoureux, aux ramifications multiples, un projet où l’on se sert de la religion pour imposer le multiculturalisme.
Faire de la religion une race
La première recommandation propose de mettre à jour l’actuel Plan d’action canadien contre le racisme et d’en élargir la portée, afin de l’étendre à la discrimination religieuse. Ainsi la lutte contre le racisme envers les Noirs et les Autochtones inclurait dorénavant les juifs, les catholiques, les évangéliques, les hindous, les sikhs et les musulmans.
Même si nous savons qu’une religion n’est pas une race parce qu’on ne choisit pas notre race alors que l’on peut choisir notre religion, cette recommandation, en amalgamant race et religion, permet aux différents groupes religieux de détourner à leur avantage des programmes et des mesures proposés pour lutter contre le racisme. Comme opportunisme, on peut difficilement faire mieux!
Installer les religions au cœur du gouvernement central
La seconde recommandation serait à l’effet de créer une direction chargée de la réalisation de ce plan, au sein même du ministère du Patrimoine canadien.
Doit-on s’étonner que cette recommandation ait été proposée par le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), ceux-là même qui sont contre l’interdiction du niqab et contestent la loi 62 devant les tribunaux et qui demandent que le 29 janvier soit déclaré Journée nationale contre l’islamophobie ?
Une telle recommandation va permettre aux lobbys religieux les plus militants et les plus intégristes de franchir l’enceinte du Parlement, d’avoir accès à des moyens et à des ressources inespérés dans le but d’imposer leurs vues et leurs valeurs religieuses à l’ensemble des Canadiens et de profiter des leviers politiques nécessaires à la réalisation de leurs visées.
Ainsi concernant les politiques gouvernementales, il est proposé de concevoir un cadre d’évaluation antiraciste qui permettrait de prévoir et d’éliminer les préjugés inconscients dans les politiques, les programmes et les décisions proposés. Cela signifie que, sous couvert de lutte contre le racisme, on propose ici d’épurer les politiques fédérales actuelles pour les infléchir dans le sens d’une ouverture à la diversité religieuse.
Le dialogue interreligieux pour mieux faire de la politique
Les groupes religieux demandent que le gouvernement encourage, appuie et finance les initiatives entreprises partout au Canada pour amorcer un dialogue interreligieux. Ceci leur permettra de se constituer en groupes de pression auprès du gouvernement, de s’entendre sur des objectifs communs dans le but de faire valoir leurs intérêts et d’orienter les politiques fédérales.
Ces groupes demandent également de créer un mécanisme permettant d’échanger leurs pratiques exemplaires avec le gouvernement fédéral. En clair, d’avoir leur entrée au Parlement pour leur faciliter l’accès aux politiciens comme à ceux qui participent à l’élaboration des politiques. Sans surprise, ces recommandations sont portées par des groupes de chrétiens évangéliques qui ont l’habitude d’avoir leur entrée au Parlement.
Un programme éducatif d’envergure pour formater les esprits
Pour que la diversité religieuse serve à faire la promotion du multiculturalisme, il faut impérativement mettre en œuvre un programme éducatif comportant des cibles précises.
On recommande donc une série de mesures telles : élaborer une campagne de sensibilisation auprès du public et promouvoir l’éducation aux médias, c’est-à-dire des séances de formation destinées aux journalistes afin qu’ils nous présentent une image plus positive des religions, particulièrement l’islam.
Également en collaboration avec les provinces et les territoires, élaborer pour les jeunes du matériel pédagogique sur les diverses pratiques religieuses et culturelles. Bref, un cours d’éthique et de culture religieuse à la puissance mille, dans chaque école, d’un océan à l’autre.
Instituer une formation en compétences culturelles pour un certain nombre de professions, notamment les travailleurs sociaux, les enseignants, les législateurs, les fonctionnaires, les avocats, les juges et les professionnels de la santé.
Offrir des subventions aux experts universitaires pour appuyer la création de projets de recherche sur l’islamophobie, le racisme et la discrimination religieuse systémique, qui pourraient servir à orienter les politiques publiques. Une manne pour le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil des arts du Canada et tous les futurs doctorants.
Les policiers auront aussi droit à une formation de sensibilisation raciale et culturelle.
La dernière recommandation ? Que le 29 janvier soit déclaré Journée nationale de commémoration et d’activités concernant l’islamophobie et tout autre forme de discrimination religieuse.
Trudeau et l’ingénierie du multiculturalisme
Ce rapport institue une véritable ingénierie du multiculturalisme dans laquelle les religions jouent un rôle de premier plan. En donnant à celles-ci les moyens d’accroître leur visibilité et leur légitimité, en leur offrant une protection et une autorité sans précédent, l’adoption de ces recommandations permettrait aux religions de s’immiscer dans la sphère politique, ce qui est contraire à la laïcité qui suppose une nette séparation entre les religions et la politique.
Justin Trudeau a compris l’importance de la diversité religieuse pour l’avancement du multiculturalisme. Il a compris l’importance de courtiser les minorités religieuses dans son désir de réalisation d’un État post-national. Et si le père nous a donné une Charte et une loi sur le multiculturalisme, le fils ambitionne de faire sa marque en allant plus loin dans l’application de celles-ci.
Justin Trudeau est moins un naïf qu’un ambitieux. Alors que Trump lui sert de repoussoir, il souhaite faire sa marque au niveau international en présentant le Canada comme un pays modèle en matière d’ouverture.
Trudeau, c’est l’autre Amérique, celle de l’Open Society, du néolibéralisme et de la mondialisation. Et il est prêt à prendre tous les risques, y compris celui d’ouvrir un incroyable boulevard aux pires intégrismes religieux.
Photo : Maclean’s
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