Le Commissariat aux langues officielles du Canada a mis à jour les statistiques sur son site Web. On y trouve, entre autres, un portrait simplifié de la population selon la langue maternelle et selon la langue d’usage à la maison au recensement de 2016, après répartition des déclarations de deux ou trois langues de manière égale entre les langues déclarées.
C’est très heureux. Le Commissariat s’est servi de la méthode de simplification la mieux équilibrée pour répartir la population en ses trois grandes composantes de langue anglaise, française et autre, avec des poids qui s’additionnent à 100 %.
Le responsable des données linguistiques à Statistique Canada, Jean-Pierre Corbeil, avait déchiré sa chemise dans Le Devoir du 13 octobre dernier devant cette manière de simplifier le portrait. Pourtant, le 25 octobre Statistique Canada publiait L’intégration linguistique des immigrants et les populations de langue officielle au Canada, document d’analyse qui répartit la population immigrante recensée en 2016 en trois grands groupes linguistiques, après simplification égale des réponses doubles et triples.
Le document identifie d’ailleurs Corbeil parmi ses auteurs. Laissons-le donc mijoter dans ses contradictions. Voyons plutôt ce que nous apprennent les nouvelles données sur la langue et l’immigration, après répartition égale des réponses multiples, sur le français comme langue d’assimilation au Québec.
Sous la rubrique « Immigration et diversité ethnolinguistique », Statistique Canada a diffusé quantité de tableaux thématiques portant sur tout près de 8 millions de personnes recensées en 2016 dans des ménages privés au Québec. Ils chiffrent la population immigrante à plus d’un million. Ils montrent aussi qu’après répartition égale des réponses multiples, la population immigrante de langue d’usage française dépassait de 182 000 personnes celle de langue maternelle française. Gain net réalisé exclusivement par voie d’assimilation.
Le gain correspondant pour l’anglais était de 95 700. La part du français dans l’ensemble des gains réalisées par l’anglais et le français par voie d’assimilation parmi la population immigrante était donc de 182 000 / (182 000 + 95 700), ou 65,5 %.
C’est plus que le 60,8 % obtenu pour cette part au recensement de 2006. Cela demeure cependant très loin du 90 % que commanderait une assimilation proportionnée au poids du français dans l’ensemble de la population québécoise de langue maternelle anglaise ou française.
En outre, le recensement ne permet pas de préciser à quel degré ce résultat découle de la sélection d’immigrants déjà assimilés au français à l’étranger, avant d’arriver au Québec, et à quel degré il reflète le pouvoir d’attraction véritable du français vis-à-vis de l’anglais en milieu de vie québécois. Le document d’analyse de Statistique Canada reconnaît cette ambiguïté foncière, mais uniquement du bout des lèvres.
On sait, en fait, qu’au moins la moitié des cas d’assimilation déclarés parmi la population immigrante se sont réalisés avant d’arriver au Québec. La Commission Laurendeau-Dunton avait donc joliment raison d’affirmer que c’est parmi la population née au Canada que l’on peut le mieux juger de l’assimilation.
Un des tableaux thématiques pour 2016 nous renseigne assez bien là-dessus. Il recoupe la langue maternelle et la langue d’usage de la population née au Canada selon le lieu de naissance des parents. Cela permet, grosso modo, de distinguer le pouvoir d’attraction qu’exerce le français parmi les natifs du Canada « issus de l’immigration », dont au moins un des parents est né à l’étranger, de celui qu’il exerce auprès des natifs « de souche », dont les deux parents sont nés au Canada.
La première ligne de notre tableau présente la situation au sein de la population totale née au Canada de près de 7 millions. Il en ressort que la part que le français retire de l’assimilation parmi l’ensemble de la population native est remarquablement faible. Un gain net de 14 500 pour le français et un gain net de 107 300 pour l’anglais représentent en effet une part de seulement 11,9 % pour le français, comparé à 88,1 % pour l’anglais.
Si le français attirait en proportion de son poids démographique vis-à-vis de l’anglais, sa part serait de 90 % et celle de l’anglais, de 10 %. En matière d’assimilation chez les natifs, c’est donc presqu’exactement le monde à l’envers.
Relevons également que la part du français parmi les gains par voie d’assimilation au sein de la population non immigrante du Québec en 2006 était de 26,0 %. Cette population étant pratiquement identique à celle née au Canada, la part de 11,9 % pour le français enregistrée chez cette dernière en 2016 représente un étonnant recul.
La deuxième ligne de notre tableau concerne plus spécifiquement les 461 400 natifs du Canada issus de deux parents nés à l’étranger. Près de 44 % de ces natifs étaient des allophones, c’est-à-dire des personnes de langue maternelle autre que française ou anglaise, dont de nombreux « enfants de la loi 101 », ainsi que de nombreux natifs francotropes issus de parents immigrants allophones sélectionnés depuis 1978 en raison de leur maîtrise préalable du français. Le rendement du français sur le plan de l’assimilation y demeure néanmoins bien faible, avec 30,5 % comme part du français contre 69,5 % pour l’anglais.
La ligne suivante porte sur les 330 700 autres natifs issus de l’immigration, dont un des parents est né au Canada. Les gains de l’anglais et du français par voie d’assimilation y sont peu nombreux, ces natifs étant en très grande majorité de langue maternelle française ou anglaise, puisque le parent né au Canada est, déjà, lui-même très souvent de langue maternelle ou d’usage française ou anglaise. Le parent né au Canada peut souvent, aussi, avoir détenu et exercé le droit d’envoyer ses enfants à l’école anglaise. La part du français dans les gains par voie d’assimilation parmi cette population est par conséquent encore plus faible, soit de 15,8 %.
La dernière ligne touche la population de près de 6 millions de natifs de souche, issus de parents nés tous deux au Canada. Elle ne comprend que 66 000 allophones. L’assimilation n’y profite qu’à l’anglais. Le français y essuie en effet une perte nette de 16 000 locuteurs. Son pouvoir d’attraction auprès des anglophones et allophones de souche y est trop faible pour compenser l’attrait croissant qu’exerce l’anglais sur les francophones eux-mêmes.
Récapitulons. La première ligne de notre tableau signale, comparativement à 2006, un recul significatif du pouvoir d’assimilation du français vis-à-vis de l’anglais parmi la population totale née au Canada. Aux deuxième et troisième lignes, l’écart entre la part du français parmi les gains nets par voie d’assimilation confirme que la sélection d’immigrants allophones francotropes et les dispositions scolaires de la loi 101 contribuent à hausser le pouvoir d’attraction du français par rapport à l’anglais au sein de la population native. La dernière ligne révèle par contre qu’une anglicisation naissante des francophones de souche est en train de compromettre l’apport au français de la réorientation encore timide de l’assimilation des allophones.
La simplification égale des déclarations de langues multiples permet ainsi de bien tirer au clair l’évolution de l’assimilation, mécanisme qui pousse à la hausse le poids de la population québécoise de langue anglaise et à la baisse le poids de celle de langue française.
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