Député fédéral, membre de Québec Debout
Dans son dernier budget, Ottawa a annoncé la création de cinq grappes industrielles partout au Canada dans le but avoué de donner un coup de pouce à l’innovation et à la haute technologie. Au Québec, l’intelligence artificielle; à l’Ontario, la fabrication; aux Maritimes, le secteur maritime; à l’Ouest, les protéines végétales et à la Colombie-Britannique, les technologies numériques. La facture s’élèvera à près d’un milliard de dollars, mais il est trop tôt pour savoir comment les sommes de cette enveloppe seront distribuées entre les cinq projets.
Au premier coup d’œil, l’idée semble intéressante. Qui peut être contre l’innovation ? Or, ce programme des « super grappes » est mal conçu. Disperser des ressources d'un océan à l'autre dans cinq grappes régionales est une mauvaise idée, qui risque même de nuire au Québec. Un écosystème d'innovation ne peut pas être généré par une seule décision politique, décrétée d’en haut. Une grande partie de l'argent risque de se retrouver dans des projets qui feront chou blanc.
L’exemple ontarien
Prenons l’exemple de la fabrication en Ontario. La plupart des entreprises de ce secteur sont des filiales américaines ou leurs sous-traitants. Elles ont déjà leurs propres programmes d’innovation et de recherche et développement, mais près de leur siège social aux États-Unis. Vouloir renverser cette façon de faire est pas mal plus compliqué que d’injecter 200 millions $.
Certaines entreprises américaines délocaliseront peut-être pour un temps une partie de leurs recherches pour toucher des subventions. Certaines compagnies ou universités ontariennes proposeront peut-être des projets pour aller chercher leur part des montants disponibles. Mais il serait surprenant que l’Ontario développe une grappe dans ce secteur de façon durable, puisque son économie est une économie de filiales.
L’exemple québécois
Devenir un pôle d'innovation ne se réalise pas du jour au lendemain. Par exemple, c'est en 1984 que le ministre Bernard Landry publie son livre blanc Le virage technologique. Sa politique se décline en d’importants crédits d'impôt remboursables; en de nouveaux programmes collégiaux et universitaires axés sur la technologie; en investissements dans la recherche universitaire; en fonds de capital de risque, etc. Il a fallu une décennie pour que la politique commence à donner des fruits.
C’est grâce, en bonne partie, à cette politique que le Québec est aujourd’hui un leader mondial en innovation, alors que le Canada demeure sous la moyenne de l’OCDE. Année après année, les exportations technologiques du Québec constituent entre 40 et 45 % du total canadien. Les dépenses en recherche et développement au Québec représentent 2,44 % de son PIB – au-dessus de la moyenne de l'OCDE –, alors que le Canada se situe au bas de l’échelle avec des dépenses en recherche et développement d’à peine 1,7 % de son PIB. « Le Québec est le moteur technologique du Canada », a déclaré Mélanie Joly l'an dernier. Pour une fois, elle avait raison.
Aujourd'hui, nous nous situons au premier rang au Canada pour la recherche universitaire; nous sommes le deuxième pôle pour l’intelligence artificielle sur la planète, juste après la Silicon Valley; nous nous classons au troisième rang dans le domaine de l’aérospatiale après Seattle (Boeing) et Toulouse (Airbus), avec 40 000 emplois dans 205 entreprises, réalisant 70 % de la recherche canadienne en aérospatiale; et nous sommes au cinquième rang mondial pour la création de jeux vidéo. Et l'avenir s'annonce prometteur avec 2 600 startups sur la seule île de Montréal. La ville de Montréal se classe parmi les meilleures villes au monde pour les étudiants et la génération du millénaire.
Il nous a fallu des décennies pour créer un véritable écosystème d'innovation. Notre recette est un mélange d’entreprises championnes bien établies; de milliers de startups dans divers domaines, unis dans un réseau pouvant générer des recherches intersectorielles; des dizaines de milliers d'étudiants-chercheurs; un marché de capital de risque facilement accessible, y compris avec des fonds gouvernementaux et syndicaux; et une vie culturelle dynamique, qui génère une atmosphère de créativité et d'innovation. En bref, la « Silicon Valley du Nord » existe déjà ! Avec juste une petite poussée, nous sommes prêts à prendre pleinement une place de choix sur la scène mondiale, à laquelle nous appartenons déjà.
Une politique électoraliste
Le projet de Bernard Landry a porté ses fruits, mais il s’est agi d’une politique drôlement plus complexe que la politique proposée par le gouvernement Trudeau, qui croit pouvoir créer des grappes ex-nihilo. En fait, il s’agit probablement d’une politique d’abord électoraliste, afin de s’assurer de la visibilité un peu partout au Canada, plutôt qu’une politique en mesure de créer des grappes durables. C’est probablement la raison pour laquelle le gouvernement Trudeau cherche à disperser ce qui doit être concentré. Les bons programmes gouvernementaux doivent d’abord prendre appui sur la réalité. La grappe automobile, c’est en Ontario. C’est d’ailleurs l’argument qu’avait servi Jean Chrétien au syndicat pour justifier la fermeture de l’usine de GM à Boisbriand.
Au début de 2009, alors que l'industrie automobile s'effondrait, le gouvernement Harper a investi 10 milliards $ pour sauver GM et Chrysler, en plus de créer un fonds d'innovation de 500 millions de dollars pour l'industrie automobile. Plutôt que de disperser les ressources dans une vaine tentative de développer des industries automobiles partout au Canada, le gouvernement a concentré ses dépenses là où l'industrie était: 100 % dans le sud de l'Ontario. Et cela a marché ! Et nous avons contribué, avec nos taxes et impôts, pour deux milliards de dollars dans ce coûteux sauvetage.
Une concurrence déloyale
Les fonds pour l’innovation et la haute technologie devraient d’abord être investis là où l’industrie est concentrée. C’est-à-dire chez nous ! Comme l’automobile l’est en Ontario et le pétrole sale dans l’Ouest. Mais nous aurons plutôt droit à de nouveaux concurrents créés de toutes pièces avec nos impôts. Cela rappelle le fiasco de Muskrat Falls, qui viendra concurrencer Hydro-Québec.
Il est évident que l’argent alloué aux technologies numériques en Colombie-Britannique va leur permettre de concurrencer notre industrie. Ce sera la même chose pour la fabrication en Ontario et les fonds octroyés aux Maritimes vont venir jouer dans les plates-bandes de notre institut océanographique à Rimouski.
Sans compter que plusieurs de nos secteurs sont aussi laissés en pan, comme l'aérospatiale, les sciences de la vie, la mobilité électrique, l'imagerie informatique et la liste peut s’allonger. Il s’agit d’une politique mal adaptée à la réalité et aux besoins réels. Son principal objectif est de solliciter des votes pour les Libéraux un peu partout au Canada, sans égards pour les résultats économiques.
Le gouvernement fédéral ne cherche pas à faire du Canada une société innovante. Pour y arriver, le Québec a dû procéder seul, avec un demi-État. Côté innovation, Ottawa nous nuit plus qu’il ne nous aide. Par exemple, en 2006, il a mis fin aux investissements en partage de risques dans les projets de recherche en entreprise. En quelques années à peine, tous les grands laboratoires pharmaceutiques québécois ont fermé leurs portes. Faute de pouvoir compter sur un État partenaire, les entreprises ont décidé d’effectuer leurs recherches ailleurs dans le monde ou ont carrément cessé de développer de nouveaux médicaments, préférant plutôt acheter les brevets de jeunes entreprises en démarrage. Le risque associé aux investissements dans la recherche est devenu trop élevé, d’autant plus qu’Ottawa a mis fin au droit d’appel permettant aux entreprises innovatrices québécoises de se battre à armes égales avec les producteurs de médicaments génériques ontariens.
La structure économique du Québec est très différente de celle du Canada. Quand notre voisin décide du développement économique, il décide d’abord pour lui, et nous subissons !
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