Lisée veut angliciser les cégeps

2018/06/01 | Par Frédéric Lacroix

J’estime que les institutions – fonction publique, hôpitaux, cégeps, universités, etc. – jouent un rôle majeur et déterminant pour ce qui est de la vitalité linguistique et culturelle d’un peuple. En ce sens, la tendance actuelle à la « bilinguisation » ou, plus à proprement parler, à « l’anglicisation » de certaines institutions québécoises (cégeps et universités), constitue un signe certain d’une perte de vitesse du Québec français.

Les 26 et 27 mai se tenait le dernier conseil national du PQ avant les élections d’octobre 2018. Il s’agissait de présenter la plateforme électorale aux militants.

Venons-en donc au fait. Le PQ a présenté sa plateforme électorale. Plateforme touffue, détaillée. Que je ne commenterai pas. A part sur la question linguistique et le rôle crucial des institutions postsecondaires pour ce qui est de la vitalité du français au Québec.

Au cours du conseil national, M. Lisée a réitéré sa volonté d’angliciser les cégeps de langue française. Il a affirmé (sans rire!): « En bonifiant l’offre en anglais dans les cégeps francophones, le réseau anglophone deviendra moins attrayant, et nécessitera donc moins de financement».

M. Lisée revient donc à la charge avec son projet d’angliciser les cégeps de langue française. Voilà une proposition ahurissante et démentielle qui serait vertement dénoncée si elle venait du parti libéral ou de la CAQ. Mais ce fut silence radio sur le sujet de la part des militants du Parti Québécois au cours de la fin de semaine. Même Marc Laviolette, que l’on a connu plus combatif, se dit « satisfait » des propositions du chef. On comprend que les péquistes sont tellement terrorisés par la faiblesse des intentions de vote actuelles qu’ils n’osent plus critiquer le chef, de peur de voir les chiffres baisser encore.

Et il faut pourtant critiquer cette proposition irresponsable et insensée de M. Lisée en matière de langue.

M. Lisée avait fait part de son intention d’angliciser les cégeps en septembre dernier lors du congrès du PQ.  J’écrivais: « Je suis ressorti de cette semaine de congrès complètement éberlué. Il ressort clairement que M. Lisée a bien un projet structurant en tête pour les cégeps francophones. Ce projet n’est pas d’appliquer la loi 101 au cégep. Ce projet est de transformer les cégeps francophones en cégeps bilingues. C’est un projet qu’il caresse d’ailleurs depuis de nombreuses années et dont il a déjà parlé, à l’époque, sur son blogue. L’idée initiale était de fusionner les cégeps anglophones et francophones en un seul réseau bilingue. M. Lisée a cependant compris depuis que les cégeps anglophones ne se laisseraient pas avaler et a modéré ses ambitions. Il semble cibler maintenant seulement les cégeps français. »

Bref, afin de cacher l’épineux problème de la baisse de fréquentation relative des cégeps francophones face aux cégeps anglophones (qui sont pleins à craquer), M. Lisée a eu une idée de génie : faisons disparaitre les cégeps de langue française! Remplaçons-les par des institutions qui fonctionnent dans les deux langues officielles du Canada!

Cette proposition de M. Lisée est mauvaise. Très mauvaise. En transformant des institutions de langue française en institutions « bilingues », M. Lisée vient de symboliquement tourner le dos aux fondements de la loi 101 fondée sur la notion de « langue commune » et il se rallie à la vision Trudeauiste fondée sur le « bilinguisme ». De plus, en n’exigeant pas que les cégeps de langue anglaise se francisent à leur tour de façon équivalente, M. Lisée vient sceller la prédominance de l’anglais en éducation postsecondaire. En obligeant l’anglais pour tous, M. Lisée ne vient-il pas de faire de l’anglais, la « langue commune »?

Mais il y a pire. La proposition de M. Lisée vise-t-elle à corriger une réelle faiblesse de la connaissance de l’anglais chez les jeunes francophones? Même pas!  Selon les données corrigées du recensement de 2016, sur l’île de Montréal, les francophones (langue maternelle) de 25 à 44 sont maintenant bilingues à 80,5%. Les anglophones le sont à 76,5%. Non seulement les francophones sont maintenant plus bilingues que les anglophones, mais la tendance à la baisse du bilinguisme des anglophones mise en évidence en 2011 s’est accélérée. Les francophones, pour leur part, ont continué leur lancée à la hausse. La proposition logique que M. Lisée aurait dû faire – à défaut de la loi 101 au cégep –  serait donc de venir « bonifier » les cours de français ou d’offrir un parcours « francophone » dans les cégeps anglophones. Et non de proposer exactement l’inverse!

La seule étude sérieuse (l’ECLEC) jamais réalisée sur les comportements linguistiques des élèves du collégial sur l’ile de Montréal était arrivée à des conclusions très intéressantes. Parmi celles-ci :

  1. Langue d’usage publique : Moins de la moitié des étudiants du cégep anglais utilisent principalement le français dans les commerces.
  2. Langue d’usage privée : Mis à part les francophones, moins de 5% des étudiants du cégep anglais utilisent le français à la maison.
  3. Socialisation : 85 % des allophones du cegep français fréquentent des amis francophones contre seulement 15 % chez ceux du cegep anglais
  4. Consommation de produits culturels : Moins de 5% des étudiants du cégep anglais préfèrent écouter des films en français. Au cégep français, ils sont un peu plus de 60%.
     

La CLEC démontrait que la fréquentation du cégep anglais n’était pas motivée (en général) par la volonté « d’apprendre l’anglais », par exemple, comme langue seconde, mais bien par le désir de s’intégrer au marché du travail anglophone de Montréal et de faire sa vie en anglais. Les étudiants qui s’inscrivent au cégep en anglais possèdent déjà généralement un bon niveau d’anglais. C’est justement leur bon niveau d’anglais qui les motive à passer à l’anglais à temps plein.

Faut-il le redire? L’anglais a tellement été « bonifié » au primaire et au secondaire dans les quinze dernières années que cela a conduit à une dévalorisation du français au primaire et au secondaire et à une valorisation excessive de l’anglais dans les écoles françaises. Dans certaines écoles secondaires, les élèves font maintenant des cours d’anglais le tiers du temps (vous avez bien lu). De plus, les jeunes sont immergés dans une culture numérique qui est branchée directement sur les États-Unis. La plupart consomment beaucoup de produits culturels en langue anglaise (Netflix, youtube).

Il y a eu une rupture culturelle radicale au Québec au cours des quinze dernières années. L’univers culturel des jeunes n’a plus rien à voir avec celui du Québec où M. Lisée a grandi alors que la maitrise de l’anglais était relativement rare et internet inexistant. Les jeunes baignent maintenant dans un univers où l’anglais est omniprésent et hyper valorisé. Le bilinguisme atteint des niveaux stratosphériques chez les jeunes francophones à Montréal et est en très forte augmentation partout au Québec. Tellement que l’assimilation est en train de poindre la tête chez les jeunes francophones de « souche » à Montréal. A contrario, le bilinguisme des jeunes anglophones est à la baisse. Les jeunes francophones ont-ils besoin de plus de cours d’anglais? Non.

Angliciser les cégeps français ne fera pas baisser la fréquentation des cégeps anglais. Cette idée relève de la pensée magique. Au contraire: « There is no thing like the real thing ». La pression sera forte pour offrir toujours plus de cours en anglais dans les cégeps « français » et, pourquoi pas, des programmes complets en anglais seulement. Car on n’est jamais assez bon en anglais au Québec… Les étudiants seront encore plus motivés à s’inscrire à l’université en anglais afin de continuer à « bonifier » leur compétence en anglais (la seule compétence qui semble compter), ce qui risque de conduire à une hausse de fréquentation de McGill, Concordia, Bishop’s. Les universités de langue française devront angliciser leurs programmes pour faire concurrence.

En proposant d’angliciser les cégeps français, M. Lisée propose une mauvaise solution à un problème inexistant. Il met en branle une mécanique infernale qui risque de saccager le réseau postsecondaire de langue française. Mécanique qui vient affaiblir encore plus le statut maintenant précaire du français au Québec. Ce qui va nourrir l’insécurité culturelle grandissante des francophones. Il doit se rétracter.