Parmi les populations de langue française du Canada, celle du Québec a longtemps fait exception. D’un recensement à l’autre, le pourcentage de Québécois francophones, langue maternelle, sachant parler l’anglais augmentait, sans affaiblir davantage leur persistance à parler le français comme langue d’usage à la maison.
Dans les autres provinces, l’anglicisation des francophones, c’est-à-dire leur adoption de l’anglais comme langue d’usage au foyer, augmentait à mesure que les francophones devenaient plus bilingues. Normal.
Les sociolinguistes considèrent en effet que les unilingues constituent le noyau dur d’une minorité linguistique. Lorsque ce noyau s’érode, l’assimilation à la langue de la majorité s’accroît.
Malgré que le français y soit encore majoritaire, cette dynamique semble maintenant prendre pied au Québec, notamment dans la région de Montréal. Les francophones y seraient devenus singulièrement bilingues, et le dernier recensement révèle une hausse sensible de leur anglicisation.
La tendance s’esquissait déjà depuis 2001. Après répartition égale des déclarations de langues multiples entre les langues déclarées, les données simplifiées des recensements de 2001, 2006, 2011 et 2016 indiquent respectivement une anglicisation nette de 17 705, 19 740, 21 688 et 29 581 francophones dans la région montréalaise. Assez discrète, donc, entre 2001 et 2011, la tendance à la hausse s’est affirmée sans détour entre les deux derniers recensements.
Cette anglicisation nette de 29 581 francophones en 2016 ne dit pas tout. Il s’agit en fait de la différence entre deux mouvements d’assimilation opposés, qui s’élèvent à 71 990 francophones anglicisés et 42 409 anglophones francisés.
Le recoupement des données des recensements de 1971 à 1991 sur la langue et l’origine ethnique a toutefois révélé que la moitié des anglophones qui adoptaient le français comme langue d’usage à la maison au Québec étaient en fait d’origine française. C’était avant que Statistique Canada ne sabote l’information sur l’origine ethnique en faisant la promotion, à partir de 1996, d’un frauduleux groupe ethnique ancestral Canadian/canadien. Néanmoins, on peut en conclure qu’une bonne partie, sinon la majeure partie des 42 409 anglophones francisés recensés dans la région de Montréal en 2016 continue à ne représenter rien de plus qu’un retour au français de la part d’anglophones issus d’ascendants d’origine française anglicisés dans le passé.
Le même recoupement des données de 1971 à 1991 a confirmé, par contre, que les Québécois francophones qui s’anglicisaient témoignaient d’un mouvement d’assimilation autrement plus authentique : ils étaient presque tous d’origine française. On peut supposer que cela demeure vrai des 71 990 francophones anglicisés énumérés dans la région montréalaise en 2016.
Évidemment, cette anglicisation se concentre sur l’île de Montréal. Le recensement de 2016 y relève un total de 44 270 francophones anglicisés. Examinons de plus près ce que représente ce dernier chiffre.
Le gros se fonde sur des réponses simples. En effet, 31 120 résidents de l’île se sont déclarés en 2016 de langue maternelle française mais de langue d’usage anglaise. Ce sont tous des cas d’anglicisation complète. Le reste des 44 270, soit 13 150, représente l’équivalent, en termes d’anglicisation complète, de divers mouvements d’anglicisation partielle, dégagé par la répartition égale des déclarations de langues maternelles ou d’usage doubles ou triples entre les langues déclarées.
Par exemple, l’île comptait en 2016 pas moins de 20 810 personnes qui ont déclaré soit le français comme langue maternelle mais « français et anglais » comme langue d’usage, soit « français et anglais » comme langue maternelle mais l’anglais uniquement comme langue d’usage. Ce sont tous des exemples de demi-anglicisation. Répartir de façon égale, entre le français et l’anglais, les réponses doubles « français et anglais » fait entrer en ligne de compte ces 20 810 cas de demi-anglicisation sous la forme équivalente de 10 405 cas (une demie de 20 810) d’anglicisation complète.
La répartition égale du reste des réponses multiples, qui comprenaient une langue autre que le français et l’anglais, contribue de façon semblable l'équivalent de 2 745 francophones anglicisés additionnels. Le total de 44 270 francophones anglicisés (31 120 + 10 405 + 2 745) que dégage la répartition égale des réponses multiples résume ainsi logiquement, en un chiffre unique, l’importance relative des mouvements d’anglicisation complète aussi bien que partielle des francophones sur l’île en 2016.
Ces 44 270 francophones anglicisés représentent 4,8 % de la population totale de langue maternelle française de l’île. Le taux d’anglicisation correspondant s’élève à 5,8 % parmi les jeunes adultes âgés de 25 à 44 ans. Il atteint 5,9 % parmi les 15 à 24 ans. Tous ces indicateurs sont en hausse sensible depuis 2011.
En effet, en 2011 l’île comptait 39 576 francophones anglicisés, tous âges confondus, pour un taux d’anglicisation de 4,4 %. Le taux d’anglicisation des 25 à 44 ans était de 5,3 %. Celui des 15 à 24 ans, de 5,2 %.
Le taux de bilinguisme des jeunes francophones est aussi en hausse. Entre 2011 et 2016, leur connaissance déclarée de l’anglais a bondi de 76,7 à 80,5 % parmi les 25 à 44 ans, et de 72,1 à 77,7 % chez les 15 à 24 ans.
Notons qu’en 2011 les francophones de 25 à 44 ans étaient déjà devenus plus bilingues que leurs contreparties anglophones de l’île, par la marge d’un point de pourcentage. Cet écart s’est creusé à quatre points en 2016.
Conclure que la hausse de la simple connaissance de l’anglais parmi les jeunes francophones a entraîné la hausse de leur anglicisation serait, cependant, trop réducteur. C’est plutôt le rapport même des jeunes francophones à l’anglais qui serait en voie de muer. D’un bilinguisme de type additif, qui ajoute à la connaissance native du français une compétence additionnelle en anglais, les jeunes francophones paraissent en train de passer au bilinguisme soustractif, qui est fort répandu parmi les minorités francophones hors Québec, et qui porte à remplacer l’usage du français par l’usage de l’anglais.
Le programme Charest d’usage exclusif de l’anglais durant la seconde moitié de la 6e année dans les écoles françaises au Québec alimente sans aucun doute cette mutation. Il en va de même du maintien du libre choix de la langue d’enseignement au collégial, qui fait en sorte qu’un pourcentage toujours croissant de jeunes francophones étudient dans les cégeps anglais – tout particulièrement sur l’île de Montréal.
La propagation de l’usage de l’anglais comme langue d’enseignement dans les institutions d’enseignement supérieur dites françaises au Québec agit très certainement dans le même sens. Jean-François Lisée joue par conséquent avec le feu en proposant d’amplifier l’usage de l’anglais comme langue d’enseignement dans les cégeps français.
Car feu il y a. La hausse de l’anglicisation des francophones à Montréal devrait signaler la fin de la récré.
C’est proprement sidérant de voir le Parti québécois s’engager, au contraire, à pousser encore plus loin l’emploi des fonds publics pour angliciser le Québec. Avant que la majorité ne retrouve la raison, lui faudra-t-il devenir minoritaire ? Il sera alors beaucoup trop tard.
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