L’auteur est député fédéral, membre de Québec Debout !
Le 29 mai dernier, le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé la nationalisation de l’oléoduc Trans Mountain, qui relie Edmonton à Vancouver, en s’engageant à verser 4,5 milliards $ à l’entreprise texane Kinder Morgan.
4,5 milliards $, c’est pour le vieil oléoduc construit en 1953, qui vient de connaître, le 27 mai dernier, une fuite de 4800 litres de pétrole en Colombie-Britannique. Dans ses états financiers, Kinder Morgan évalue cet actif à 2,5 milliards $. Le gouvernement justifie son 4,5 milliards $, en invoquant les profits anticipés et les dépenses de 1,1 milliard $ encourus par l’entreprise pour son nouvel oléoduc.
La Texane Kinder Morgan avait projeté de construire un nouvel oléoduc, trois fois plus gros, sur le même tracé. L’objectif de ce projet, évalué à 7,5 milliards $, est d’exporter du pétrole sale de l’Ouest en Asie, afin d’en obtenir un meilleur prix que sur le marché américain. Or, face à l’opposition du gouvernement de la Colombie-Britannique, de la population locale et de nombreuses communautés autochtones, la Texane s’apprêtait à mettre ce projet sur la glace. C’est dans l’objectif avoué d’assurer coûte que coûte sa réalisation que le gouvernement Trudeau a décidé de sortir l’artillerie lourde et de nationaliser à gros prix.
L’artillerie lourde comprend cette nationalisation prévue au mois d’août, en plus d’une panoplie d’autres mesures. Dit autrement, le fédéral met tout son poids dans la balance. Par exemple, la société d’État Exportation et développement Canada offre une garantie de prêt pour commencer immédiatement la construction du nouvel oléoduc.
Le gouvernement fédéral, qui affirme vouloir revendre l’oléoduc lorsqu’il trouvera preneur, s’engage à indemniser le futur acquéreur pour toute entrave future. Si la Colombie-Britannique ou une municipalité adoptaient une loi ou un règlement qui retarderaient le projet, Ottawa indemniserait. Si le promoteur n’arrivait pas à terminer le projet à temps, Ottawa l’indemniserait. Si la Cour jugeait que le droit de la Colombie-Britannique prime sur celui du fédéral (ce qui serait surprenant), Ottawa indemniserait. À tout moment, si le promoteur désirait revendre, Ottawa rachèterait. De plus, Ottawa s’engage à peser de tout son poids sur la Colombie-Britannique et les municipalités pour accélérer l’émission de tous les permis.
Justin Trudeau et ses ministres justifient cette décision par l’intérêt national. Trudeau ne parle plus d’État postnational. L’économie canadienne passe par le développement des sables bitumineux, financé par Bay Street. Tant pis pour les engagements environnementaux pris à Paris. Tant pis pour la promesse électorale des Libéraux qu’aucun oléoduc ne serait construit sans le plein accord des communautés locales. Tant pis donc pour le gouvernement britanno-colombien, formé d’une coalition NPD-Verts, tant pis pour les communautés locales et les nations autochtones. De toute façon, pour faire bonne figure, les Libéraux ont déniché quelques élus autochtones prêts à investir dans l’oléoduc.
À la suite de cette annonce, la famille Irving, les Conservateurs et même un élu libéral ont réclamé la relance d’Énergie Est. Si Ottawa a choisi de mater la Colombie-Britannique, il pourrait tout aussi bien mater le Québec afin que les Maritimes puissent participer davantage à l’économie du Canada pétrolier !
L’annonce de cette nationalisation arrive à un bon moment pour la Texane Kinder Morgan et, surtout, pour le milieu financier de Toronto et les pétrolières albertaines. Avec ses 136 000 km de pipelines, la Texane est la deuxième plus importante entreprise de ce secteur. Son fondateur et jusqu’à récemment PDG, le milliardaire Richard Kinder, a cofondé l’entreprise en 1997, après avoir quitté la direction d’Enron et en avoir racheté des actifs.
Présentement, Kinder Morgan connaît des difficultés aux États-Unis et manque de capitaux. Ses profits réalisés au Canada servent à financer ses activités états-uniennes. Non seulement l’entreprise pouvait difficilement assurer le financement du nouvel oléoduc Trans Mountain – surtout dans un contexte d’opposition sociale – mais, en plus, l’annonce de la nationalisation vient renflouer ses coffres et lui fournir les liquidités nécessaires pour la poursuite de ses activités états-uniennes. Bref, les 4,5 milliards $ annoncés par Justin Trudeau serviront, avant tout, à stimuler le secteur des énergies fossiles de l’économie états-unienne. De plus, prenant acte qu’Ottawa assumera seul les risques et pèsera de tout son poids pour la réalisation de cet oléoduc, Kinder Morgan annonce qu’elle pourrait se montrer intéressée à le racheter, si tout se passe bien !
Cette nationalisation vient aussi à la rescousse de Bay Street et des pétrolières albertaines. Selon Reuters, les contrats signés avec Kinder Morgan mettaient la Texane à l’abri de pertes possibles. Par exemple, si le nouvel oléoduc n’était pas construit, les financiers de Bay Street, avec la Banque Royale et la Banque TD en tête, devaient quand même assumer une partie des coûts du projet. Un scénario semblable existait pour les treize pétrolières, qui avaient signé des contrats pour l’utilisation du nouvel oléoduc. Elles devaient payer leurs droits d’utilisation, même s’il n’était pas construit !
L’argument de l’intérêt national prend ici un sens particulier, soit de sauver la mise des financiers de Toronto et des pétrolières de l’Ouest. Et la population du Québec contribue à ce projet pour un montant qui avoisine le milliard $. Sans compter notre part dans le coût du nouvel oléoduc, estimé au minimum à 7,5 milliards $ !
Ottawa n’hésite pas à mettre tout son poids pour intervenir dans le développement de son économie et défendre les intérêts de ses entreprises. Le gouvernement fédéral choisit de développer le pétrole sale à coups de milliards, tout comme il était intervenu à coups de milliards pour l’industrie automobile ontarienne. Le jour où Ottawa décidera de la construction de l’oléoduc Énergie est, on saura en quoi s’en tenir.
Il est clair que l’intérêt national canadien n’a jamais été aussi éloigné de l’intérêt national québécois. Nos économies respectives sont très différentes et Ottawa soutient la sienne avant la nôtre. Depuis que le fédéral a réduit ses transferts aux provinces, Québec n’a à peu près plus de marge de manœuvre, tout comme c’est le cas pour les autres provinces. Les budgets pour soutenir les secteurs économiques sont à Ottawa.
Nos secteurs forts, à haute valeur ajoutée, que sont l’économie verte, le manufacturier, l’aéronautique, l’informatique et l’intelligence artificielle cadrent mal avec la vision canadienne et ne reçoivent donc pas leur part du soutien de l’État.
Enfin, avec ce tournant délibérément pro pétrole d’Ottawa, c’est toute notre économie verte, qui est éclaboussée sur la scène internationale. S’ajoute à cela la sortie annoncée de l’Ontario de la bourse de carbone, par son nouveau premier ministre Doug Ford, laissant le Québec bien seul.
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