Dans les renégociations de l’ALÉNA, Donald Trump joue à l’intimidateur. Il fait le pari que cela va l’aider dans les élections de mi-mandat aux États-Unis. Il prend aussi plaisir à remettre Justin Trudeau à sa place.
Fondamentalement, le rapport de force est assez favorable au Canada. De puissants intérêts économiques états-uniens tiennent au maintien de l’ALÉNA et le processus pour sortir de cet accord est tellement complexe, qu’il serait difficile d’y arriver avant la fin du mandat de Donald Trump.
Étant donné cette conjoncture, Ottawa devrait envisager de ne rien céder. Or, il est navrant de constater les pressions actuellement exercées sur notre système de gestion de l’offre. Pour les politiciens et les médias du Canada anglais, mieux vaut ne pas prendre de risque et sacrifier la gestion de l’offre, importante pour le Québec, afin de protéger les secteurs qui leur sont chers, comme le secteur automobile ontarien.
Cette pression témoigne de la marginalisation du Québec, malgré le front uni des partis politiques québécois, initié par le Parti Québécois, et la motion unanime, initiée par nos rangs, adoptée par la Chambre des Communes pour le maintien intégral de la gestion de l’offre dans la renégociation de l’ALÉNA.
Pendant toutes ces années où le Québec envoyait une forte délégation du Bloc Québécois à Ottawa, la gestion de l’offre a été protégée intégralement dans les 17 accords commerciaux qui ont été signés, dont l’ALÉNA.
Depuis 2011, l’année de la vague orange au Québec, ce n’est plus le cas. Ainsi, une brèche dans notre marché du lait et du fromage a servi de monnaie d’échange dans l’Accord Canada-Europe. Une autre brèche a été négociée dans le nouveau Partenariat transpacifique. Il est à noter que Justin Trudeau a alors renié l’engagement solennel pris devant les producteurs laitiers du Québec. Il a aussi bafoué une motion unanime du Parlement, encore initiée par nos rangs.
L’un des objectifs poursuivis par le Canada avec cette dernière brèche était d’amener Donald Trump à adhérer au Partenariat transpacifique afin de profiter de cette ouverture du marché canadien. Le président Trump a plutôt préféré demander l’ouverture d’une nouvelle brèche dans le cadre de la renégociation de l’ALÉNA.
À ces brèches s’ajoutent les multiples tentatives de contourner le système de la gestion de l’offre. Par exemple, les États-Unis épluchent constamment la règlementation canadienne afin de trouver de nouvelles façons d’investir notre marché. Ils l’ont fait avec l’isolat de protéines laitières. Puis, avec le lait diafiltré, un concentré protéiné liquide inventé de toutes pièces pour contourner la gestion de l’offre. Sans compter l’utilisation d’une foule d’autres techniques, comme le report de droits de douanes, la poule de réforme, les deux sachets de sauce pour faire entrer des ailes de poulet, les kits à pizza pour faire entrer du fromage râpé, etc.
Règle générale, Ottawa met du temps à colmater ces brèches.
Au Canada, la gestion de l’offre encadre les marchés du lait, des œufs, du poulet et du dindon. C’est au Québec qu’on trouve le plus grand nombre de producteurs régis par ce système, soit près de 7 000 fermes, la plupart familiales.
Ce système fonctionne avec des quotas pour faire correspondre la production à la demande, afin de stabiliser le marché et les prix, qui sont basés sur les coûts de production plus une marge bénéficiaire d’environ 4 à 5 %. C’est un système qui fonctionne bien, sans subvention, et qui permet aux fermes familiales de prospérer, tout en favorisant l’occupation de notre territoire.
L’industrie alimentaire est à ce point névralgique que la plupart des pays la soustraient aux accords commerciaux, en l’encadrant ou en la subventionnant. Par exemple, en Europe et aux États-Unis, les subventions à l’agriculture totalisent des dizaines de milliards $. C’est sans compter les règles protectionnistes limitant, par exemple, l’entrée d’agrumes aux États-Unis ou encore la gestion de l’offre pour y encadrer la production de sucre.
L’abandon de la gestion de l’offre pour le lait, dans l’Union européenne, a déstabilisé le marché. Les fortes fluctuations des prix ont poussé nombre d’agriculteurs à la faillite, malgré des plans d’aides d’urgence, qui représentent des dizaines de millions d’euros.
Ouvrir les secteurs de la gestion de l’offre aux importations constitue une aberration, puisque la production de nos agriculteurs se trouvera en concurrence avec les surplus de production, souvent subventionnés, que d’autres pays cherchent à écouler. Rien de tel pour tuer une industrie !
Par exemple, l’association des Producteurs de lait du Québec évalue à 200 millions $ par année les pertes occasionnées par l’importation de produits laitiers au Canada, soit des milliers de dollars chaque semaine pour chaque producteur.
Rappelons que la valeur des quotas des producteurs laitiers au Canada est de 20 milliards $. C’est le coût payé par les agriculteurs pour avoir le droit de produire ! Abolir la gestion de l’offre coûterait une fortune au gouvernement, qui devrait racheter ces quotas, en plus de déstructurer une industrie importante. Cette option ne devrait pas être envisagée par le gouvernement.
Au lieu d’être subventionnée, la filière verse annuellement plus de 1,3 milliard $ en taxes et impôts, pour un lait de qualité, qui ne coûte pas plus cher qu’ailleurs. De plus, les standards de qualité sont parmi les plus élevés au monde. A contrario, aux États-Unis, les producteurs dopent leur production en administrant de la somatotrophine aux vaches, une hormone de croissance interdite au Canada.
C’est sans surprise que nos intérêts économiques ne sont pas bien défendus, puisque nous déléguons cette tâche à notre voisin canadien. Un front uni a beau exister à Québec, Ottawa n’en tient pas compte, comme lors des négociations de l’Accord Canada-Europe et du nouveau Partenariat transpacifique.
Il n’y a rien d’inhabituel à protéger des filières de notre agriculture des accords commerciaux, à peu près tous les pays le font, pour des considérations de sécurité nationale. Il est navrant que, dans une négociation où le rapport de force d’Ottawa face à Trump est assez bon en dépit de ses tentatives d’intimidations, le Canada anglais suggère préventivement de sacrifier les intérêts du Québec pour protéger les siens. Navrant certes, mais pas surprenant.
L’auteur est député fédéral.
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