Une campagne électorale devrait être une occasion privilégiée pour débattre des grands enjeux de société. Jamais, de mémoire de militant, une campagne électorale n’a été aussi en dehors de la traque. Passons en revue les différents thèmes abordés jusqu’ici.
L’économie
Sur le sujet de l’heure le plus important, les négociations de l’ALÉNA, nos chefs n’ont rien d’autre à faire que de se chamailler sur l’absence physique de Legault à la conférence de presse convoquée par l’UPA pour se porter à la défense de la gestion de l’offre en agriculture.
Couillard peut bien y aller d’un tonitruant « Just watch me », il sait très bien que le pouvoir de conclure des traités est de la juridiction exclusive d’Ottawa. Et que disent les deux chefs des partis « indépendantistes »? En profitent-ils pour montrer la nécessité de l’indépendance? Pour « faire la pédagogie de l’indépendance », comme ils s’engagent à chaque instance de leur parti à le faire? Que non ! Tout au plus promettent-ils qu’ils vont « exiger » des compensations d’Ottawa pour nos producteurs laitiers! Avec quel rapport de force?!
On peut aussi aller présenter ses doléances sur la colline parlementaire à Ottawa en rappelant comment on était écouté et craint lorsqu’on brandissait la menace de l’indépendance. Jadis.
La santé
Si le « Pas tellement » de Mme Raymonde Chagnon de Mirabel, lancé après le saupoudrage de mesurettes annoncées par les quatre chefs lors du premier débat, a connu un tel succès, c’est faute de la présentation d’un plan convaincant de réforme de notre système de santé.
Un plan qui coûterait sûrement beaucoup de sous. Plus que pourrait rapporter une renégociation de l’entente avec les médecins spécialistes. Mais, personne – y compris les deux chefs « indépendantistes » – n’a cru bon de souligner que les transferts fédéraux en santé ne représentent plus que 20% du financement, alors qu’Ottawa s’était engagé à assumer 50% des coûts des régimes provinciaux, lors de l’adoption de la Loi sur l’assurance-hospitalisation en 1957 et la Loi sur l’assurance-maladie en 1966.
L’immigration
C’est le sujet de l’heure. Mais, alors que Legault, et dans une moindre mesure Lisée, défendent le droit du Québec à décider lui-même du seuil d’immigration – une composante de son droit à l’autodétermination – tous les commentateurs politiques s’évertuent – et dans plusieurs cas, se réjouissent – à expliquer que ce n’est pas possible.
Le Devoir l’a bien résumé, dans son édition du 15 septembre : « Ottawa aura le dernier mot ! Québec n’a pas ‘‘autorité unilatérale’’ d’imposer un seuil plus bas ». Le Québec n’a le droit que d’être « consulté ». En éditorial, Robert Dutrisac enfonce le clou. Une fois sélectionné, l’immigrant devient un résident permanent dès son arrivée au pays et son statut est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. « Il a le droit constitutionnel de rester au Québec, qu’il connaisse ou non le français ».
Et que la CAQ ne s’avise pas de vouloir changer ce statut. L’immigrant sera alors considéré comme un travailleur temporaire et relèvera exclusivement d’Ottawa. Point final.
Est-ce que la CAQ va réagir en disant : « Si tel est bien le cas, c’est un motif supplémentaire pour réclamer l’indépendance »? Que non ! Legault vient de s’engager pour un nouveau 20 ans sans soulever la question de l’indépendance.
Quelle est la réaction des autres chefs « indépendantistes »? Utilisent-ils la situation pour faire la promotion de leur option? Que non ! Lisée se réjouit de voir Legault s’enfarger dans ses propositions. Quant à Manon Massé, elle est d’accord avec les seuils du fédéral. No problema !
L’environnement
Canicules obligent, l’environnement s’est invité dans la campagne électorale. Admettons que le PQ et QS aient des pistes de solutions intéressantes. QS a l’honnêteté de reconnaître que son plan est inapplicable sans l’indépendance. « Il nous faut tous les outils dont dispose un pays pour l’accomplir », peut-on lire dans la conclusion de son document de 86 pages « Maintenant ou jamais. Plan de transition économique. 300 000 emplois verts pour le Québec ». Le PQ est aussi d’accord avec une telle affirmation.
Mais pour que ce plan soit crédible, il faut expliquer pourquoi, concrètement, il n’est pas réalisable dans le contexte constitutionnel actuel. D’abord, l’environnement est une compétence partagée entre les deux niveaux de gouvernement. De plus, le fédéral détient une série de pouvoirs incontournables, qui empêchent la réalisation de tout véritable programme de diminution des GES (contrôle des voies ferrées, des ports, etc.). En passant, rappelons que les États généraux sur la souveraineté avaient identifié pas moins de 92 blocages fédéraux au développement du Québec.
La campagne électorale serait une bonne occasion de montrer que le Canada est un État pétrolier, dont l’économie est, aujourd’hui, en grande partie basée sur le pétrole sale de l’Alberta. Pas juste de l’écrire dans des documents, mais prendre toutes les occasions qu’offre l’actualité pour expliquer, détailler, développer ce point de vue.
Sinon, les jeunes et l’ensemble de la population continueront à croire que c’est « faisable » en demeurant dans le cadre canadien et les sondages continueront à montrer une décroissance de l’appui à l’indépendance, amenant les partis « indépendantistes » à parler de moins en moins de leur option. C’est le phénomène bien connu de la saucisse Hygrade à l’envers.
La langue et la laïcité
Ce sont les deux sujets tabous de la présente campagne électorale. La langue s’est montré le bout du nez dans le débat sur l’immigration. Legault a parlé de ses petits-enfants qui risquaient de ne plus parler français. On comprend qu’il parle des générations futures. L’image est forte. Mais elle aurait été encore plus percutante s’il avait appuyé ses assertions sur des données statistiques.
Mais non! Il a laissé Couillard et tous les commentateurs politiques tenter de rassurer les Québécois avec l’affirmation que « le dernier recensement a montré que le français comme langue parlée à la maison [au Québec] est resté stable entre 2011 et 2016 (87,1 %) ».
Notre chroniqueur Charles Castonguay a démontré qu’il s’agissait de données trafiquées par Statistique Canada avec des modifications apportées à la façon de répartir les réponses. Selon son analyse, le français comme langue parlée le plus souvent à la maison au Québec est au contraire en chute libre. De 83,1 % en 2001, son poids est passé à 81,8 % en 2006, à 81,2 % en 2011 et à 80,6 % en 2016.
Est-ce que nos deux partis « indépendantistes » ont dénoncé les « fake news » de Couillard et Statistique Canada? Que non ! Et, ne croyez surtout pas qu’ils vont profiter du débat en anglais pour le faire !
La laïcité est le non-dit du débat sur l’immigration. Quand Lisée propose de n’accueillir que les immigrants qui parlent déjà français, tout le monde comprend que cela signifie une plus grande proportion de Maghrébins. (On n’a quand même pas la naïveté de croire que ceux qui n’ont aucune notion de français vont se précipiter pour l’apprendre afin d’émigrer au Québec. À la limite, ils préféreront apprendre l’anglais et émigrer au Canada anglais.)
Donc, plus de Maghrébins, ce qui signifie plus d’immigrants de confession musulmane. Dilemme. Voulons-nous accueillir plus non parlants français, quitte à les franciser au Québec (proposition Legault) ou plus de parlants français, mais dont une majorité est de religion musulmane (proposition Lisée)?
Les deux options se défendent. Mais pour accepter la proposition Legault, il faudrait avoir tous les pouvoirs pour la francisation des immigrants. Ce n’est pas le cas. La Charte des droits et libertés canadienne et les tribunaux ont charcuté la Loi 101.
Pour accepter la proposition Lisée, il faudrait avoir tous les pouvoirs en matière de laïcité. Ce n’est pas le cas. Et nous savons que les lois qui pourraient être adoptées seront immédiatement contestées et invalidées par les tribunaux en vertu de la même Charte des droits et libertés du père Trudeau, comme le démontre la très instructive analyse de Louise Mailloux.
Il n’y a qu’une façon de s’en sortir et c’est, précisément, de…. sortir du Canada ! Est-ce que nos deux partis « indépendantistes » en parlent ? Que non !
L’éducation
Le débat sur l’éducation s’est cristallisé sur l’opposition entre la maternelle 4 ans proposée par Legault et la défense des CPE par le PQ et QS.
Mais s’est aussi glissé un autre débat amené par Québec solidaire, soit les subventions publiques aux écoles privées. Sur cet autre tabou de la société québécoise, les médias ont tendance à camoufler la situation en se cramponnant au fait que « seulement » 12% des élèves du primaire et du secondaire au Québec fréquentent l’école privée.
C’est vrai, mais cela cache une réalité autrement plus préoccupante. L’important est le secondaire et la proportion d’enfants fréquentant le secondaire privé francophone a quadruplé depuis le début des années 1970, passant de 5,2 % à 21,5 %. Plus significative encore est sa concentration dans certaines commissions scolaires. Au Québec, 80 % des enfants francophones vivent sur le territoire de seulement 30 des 72 commissions scolaires. Or, en moyenne, 26 % de ces enfants fréquentent le secondaire privé. Cette proportion atteint 35 % en Estrie, 39 % à Montréal et 42 % à Québec. C’est énorme !
Saluons donc QS qui a pris l’engagement dans son programme de mettre fin aux subventions publiques aux écoles privées et Manon Massé qui, lors du débat, a soulevé la question en dénonçant la position timorée, inappropriée et inapplicable du Parti Québécois d’imposer aux écoles privées la présence d’élèves en difficultés. Voyons donc ! Toute la publicité des écoles privées est axée justement sur le fait qu’ils n’admettent pas de tels élèves !
Lisée a répliqué à Manon Massé, en reprenant l’argument éculé que le transfert des élèves du privé au public coûterait trop cher, parce qu’il faudrait désormais financer à 100 % ces élèves revenus à l’école publique plutôt qu’à 70% comme c’est le cas actuellement lorsqu’ils fréquentent l’école privée!
Des études ont démontré, en se basant sur la situation en Ontario – eh oui ! l’Ontario où il n’y a pas de subventions publiques aux écoles privées – qu’un pourcentage assez important des parents continuerait à inscrire leurs enfants au privé, malgré la fin des subventions. Le transfert entraînerait alors non pas un coût, mais un bénéfice net.
Mais que l’abolition ne coûte rien ou des sous au Trésor public, là n’est pas la question. Le Conseil supérieur de l’Éducation, dans son Rapport de 2016, s’est prononcé pour l’abolition des subventions aux écoles privées. Il a tiré la sonnette d’alarme en montrant que « notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».
Le Rapport établit un lien direct entre la classe sociale de provenance des élèves et l’accès à l’école privée. À peine 7% de l’effectif de l’école privée provient de milieux à faibles revenus (revenu familial moyen de moins de 50 000 $), 21% de la classe moyenne (revenu familial entre 50 000 $ et 100 000 $) et 72% de milieux favorisés (revenu familial supérieur à 100 000 $).
Qu’on invoque une question de « gros sous » pour refuser une proposition de justice sociale aussi élémentaire, structurante et fondamentale, est un faux-fuyant inadmissible pour un parti politique qui, d’autre part, est prêt à saupoudrer des millions de dollars dans le réseau scolaire.
Vouloir améliorer le réseau de l’école publique sans mettre fin aux subventions publiques aux écoles privées, c’est comme vouloir développer le Québec tout en demeurant dans le Canada !
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