Laïcité : un coup monté contre la CAQ?

2018/10/09 | Par Pierre Dubuc

À peine deux jours après l’élection de la CAQ, soit le mercredi 3 octobre, le Globe and Mail publiait en première page un article intitulé « Legault to use notwithstanding clause to ban religious symbols for civil servants » (Legault veut utiliser la clause nonobstant pour interdire le port de signes religieux chez les fonctionnaires). L’après-midi de la même journée, les journalistes prenaient le relais du Globe et questionnaient sur ce sujet les deux porte-parole de la CAQ, Geneviève Guilbault et Simon Jolin-Barrette.

Surpris parce que cette question a été à peine soulevée lors de la campagne électorale, les deux porte-parole se contentent de rappeler la position de leur parti, c’est-à-dire que le port des signes religieux par les employés de l’État québécois se trouvant en position d’autorité, dont les enseignants, sera interdit. Simon Jolin-Barrette ajoute que la CAQ n’hésiterait pas à recourir à la clause dérogatoire si des dispositions de cette législation à venir étaient contestées devant les tribunaux.

Réaction immédiate du premier ministre Justin Trudeau, qui déclare qu'il ne revient pas aux gouvernements de dire aux citoyens quoi porter, et que l'utilisation de la clause dérogatoire pour « supprimer ou éviter de défendre les droits fondamentaux des Canadiens » est « une chose à laquelle il faut faire très attention ». Il n’en fallait pas plus pour que la machine de propagande fédéraliste et multiculturaliste se mette en marche.

Puis, dès le lendemain, une ribambelle de groupes se proclamant antiracistes tenaient une conférence de presse pour annoncer une manifestation le dimanche suivant contre la CAQ. Selon les médias, environ 3 000 personnes, dont une majorité de femmes portant le voile, si on se fie aux photos publiées dans les médias, défilaient dans les rues de Montréal en affichant des pancartes dont certaines qualifiaient la CAQ de « raciste », « fasciste », de « KKK », etc.

On peut se poser la question : depuis quand la religion est-elle une race?

 

La clause dérogatoire

Quand le premier ministre Doug Ford de l’Ontario a menacé de recourir à la clause dérogatoire pour l’adoption de son projet de loi réduisant le nombre de conseillers municipaux de la ville de Toronto, il s’est trouvé d’éminents juristes canadiens-anglais pour justifier l’utilisation de cette disposition de la Constitution en soulignant, au passage, qu’elle y avait été inscrite à la demande expresse, non pas du Québec, mais des provinces anglophones.

Gordon Gibson, conseiller spécial de Trudeau père au moment de l’adoption de la Charte, rappelle dans un article publié dans le Globe (17 septembre 2018) qu’avant l’adoption de la Charte en 1982, les « législations pouvaient infirmer les décisions des juges dans tous les aspects de nos vies et que nous nous en accommodions ». Il ajoute que l’inscription de la clause dérogatoire (article 33) dans la Charte a pour résultat « un nouvel équilibre entre les branches électives et judiciaires » de notre système politique.

Le professeur Allan Hutchinson de la Osgoode Hall Law School de l’Université York opine dans le même sens (Globe, 12 septembre 2018). Il affirme que la Charte n’aurait jamais été adoptée sans l’article 33. Il ajoute : « Dans une véritable démocratie, les tribunaux ont un rôle défini et essentiel, mais leur rôle doit être limité. Les tribunaux peuvent avoir le premier mot, mais pas le dernier mot. Celui-ci est réservé au peuple ».

Maintenant, reste à savoir si tous ces éminents juristes canadiens-anglais vont se porter à la défense de l’utilisation de la clause dérogatoire par le gouvernement Legault, comme ils viennent de le faire pour le gouvernement de Doug Ford…

 

Du « déjà vu »

Les événements de ces derniers jours ont un air de « déjà vu », comme disent les Anglais. On se rappellera qu’au lendemain de l’élection du gouvernement de Pauline Marois, nous avons assisté à une offensive en règle d’une ampleur inégalée des milieux d’affaires contre l’abolition de la taxe santé et son remplacement par une légère majoration des impôts des mieux nantis, qui étaient une promesse phare du Parti Québécois.

Le gouvernement recula. Il décida de ne pas abolir la taxe santé, mais plutôt de la rendre progressive. Le gouvernement Marois venait d’afficher sa faiblesse. Le patronat et les fédéralistes en prirent bonne note. Ce recul fut le premier d’une longue série d’autres reculs.

Dans le cas du gouvernement Legault, il est peu probable que le patronat s’oppose à ses mesures fiscales ou à ses politiques antisyndicales. La bataille aura plutôt lieu sur les questions dites « identitaires » (laïcité, immigration, langue, etc.). Dans le cas du gouvernement Marois, les organisations qui auraient pu se porter à sa défense sur la place publique ne l’ont pas ou peu fait. Qu’en sera-t-il cette fois-ci?

Suggestions de lecture :

Un Charte pour la nation, de Louise Mailloux

La laïcité demeure un enjeu majeur, de Pierre Dubuc