Justin Trudeau signe la pire des ententes possibles

2018/10/10 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

Le gouvernement de Justin Trudeau nous a répété ad nauseam, au cours des derniers mois, qu’il valait mieux ne pas conclure d’accord que d’en conclure un mauvais, tout en affirmant qu’il n’y avait pas de date butoir pour renégocier l’ALÉNA.

Il vient pourtant de signer la pire des ententes possibles, quelques heures avant l’échéance imposée par Donald Trump. C’est le troisième accord consécutif où le fédéral utilise les producteurs laitiers québécois comme monnaie d’échange, preuve supplémentaire que le Québec n’a plus de rapport de force au sein du Canada. Faible à Québec, faible à Ottawa, le Québec est sacrifié au profit de l’Ontario et de son industrie automobile.

Les libéraux ont donné à Trump exactement ce qu’il exigeait le printemps dernier, soit l’équivalent de la brèche concédée dans le Partenariat Transpacifique et l’abandon de la classe 7 du lait afin de permettre à nouveau le dumping américain du lait diafiltré. Justin Trudeau a aussi cédé sur les autres secteurs de la gestion de l’offre, soit la volaille et les œufs.

Les tarifs états-uniens illégaux sur l’aluminium (10 %) et l’acier (25 %) demeurent en vigueur, et le différend sur le bois d’œuvre n’est pas réglé. Ce nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada (AÉUMC) est excessivement nuisible pour l’économie de nos régions.

Il est aussi néfaste pour nos commerçants locaux. L’exemption des droits de douanes dans le commerce électronique passe de 20 à 150 $, ce qui constitue une invitation à préférer les géants états-uniens du commerce en ligne aux commerçants locaux de nos villes. Les libéraux avalisent cette concurrence déloyale.

Le prix des nouveaux médicaments sera aussi plus élevé. Ottawa a cédé sur la durée des brevets pharmaceutiques, qui passent de huit à dix ans, ce qui aura un impact réel sur le coût des médicaments, particulièrement ceux traitants les maladies rares.

Le maintien du Chapitre 19 représente un gain plutôt théorique pour le gouvernement Trudeau. En effet, depuis 1994, aucune cause n’a été réglée en vertu de ce tribunal commercial supraétatique. Dans les conflits passés impliquant le bois d’œuvre, les États-Unis ont refusé d’obtempérer aux décisions du tribunal d’arbitrage. Par exemple, le  différend entre Bombardier et Boeing a été tranché par un tribunal états-unien.

À n’en pas douter, Justin Trudeau s’est fait rouler dans la farine en cédant au chantage du président Trump, qui n’a jamais négocié de bonne foi et qui se servait du Canada pour intimider tous les partenaires commerciaux des États-Unis.

Encore une fois, le Québec paie le prix pour ne pas avoir été à la table de négociation. Pas étonnant qu’Ottawa ait attendu le plus tard possible dans la campagne électorale québécoise pour annoncer cette mauvaise entente.

La position de Donald Trump était fragile. Il n’avait ni l’appui de la Chambre des Représentants, ni l’appui du Sénat, ni l’appui des industriels états-uniens pour déchirer l’ALÉNA. S’il n’était pas parvenu à un accord avec Justin Trudeau, il aurait été forcé de conserver l’ALÉNA tel quel. Les taxes additionnelles, que le président américain menaçait d’imposer au secteur automobile, auraient été jugées illégales, comme celles sur l’aluminium et l’acier.

Justin Trudeau et sa ministre Chrystia Freeland ont préféré capituler plutôt que se tenir debout. À un an des élections fédérales, les libéraux ont évalué que l’imposition de taxes illégales sur l’industrie automobile ontarienne par l’administration Trump auraient été nuisibles pour leur réélection en Ontario. Ainsi, même s’ils étaient assurés de la victoire devant les tribunaux, ils manquaient de colonne vertébrale pour résister à la pression politique. Ils ont préféré rassurer immédiatement l’Ontario pour des considérations bassement électorales.

L’à-plat-ventrisme de Justin Trudeau vient rechausser Donald Trump à la veille des élections de mi-mandat aux États-Unis et conforte sa posture de matamore dans des négociations internationales. Quel gâchis !

Au cours des dernières années, trois brèches ont été pratiquées dans la gestion de l’offre. D’abord, dans l’Accord Canada-Europe (2 %), puis dans le Partenariat Transpacifique (3,25 %) et, maintenant, dans ce nouvel accord (3,59 %).

Encore une fois, Justin Trudeau n’a pas respecté la parole donnée aux producteurs laitiers. Par exemple, lors d’une entrevue à Radio-Canada, en juin dernier, il déclarait que « si Donald Trump veut s’attaquer à la gestion de l’offre, il n’y en aura pas d’ALÉNA, on ne va pas signer l’ALÉNA ».

Il n’a pas respecté non plus une motion présentée au Parlement par mon collègue Simon Marcil et adoptée à l’unanimité, exigeant le maintien INTÉGRAL de la gestion de l’offre dans le cadre de la renégociation de l’ALÉNA.

Notre modèle d’agriculture et d’occupation du territoire de nos régions est dorénavant menacé par la concurrence des producteurs états-uniens, qui bénéficient de subventions s’élevant à 22,2 milliards $, soit 73 % des revenus du marché, selon une étude publiée cette année par Grey, Clark, Shih and Associates (GCS). Aux États-Unis, le tiers de la production laitière provient aujourd’hui de méga-fermes de 10 000 vaches, où le lait est contaminé par la présence d’hormones et de pus. Aux États-Unis, la détresse des propriétaires de fermes familiales, qui se battent pour leur survie, est telle qu’on compte dans leurs rangs un suicide par semaine, selon la revue américaine Quartz.

Avec ce nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada, c’est la même histoire qui se répète. Ottawa plie devant les États-Unis et le Québec est sacrifié. Peu importe le Premier ministre ou le parti au pouvoir à Ottawa, c’est du pareil au même. Même cantonnés dans l’opposition, les conservateurs ont voté avec les libéraux pour entériner l’accord avec l’Europe et celui avec le Pacifique, malgré les brèches dans la gestion de l’offre.

Quand le Québec est fort et que la question nationale est à l’ordre du jour, nous arrivons à faire des gains à Ottawa. Mais ils demeurent fragiles, tributaires de la conjoncture politique.  En négociant en notre nom, comme il vient de le faire, Justin Trudeau nous démontre, une fois de plus, qu’on a tout avantage à nous représenter nous-mêmes !