Notre industrie des biotechs prête à devenir une grappe industrielle de classe mondiale

2018/11/02 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

On ne le répétera jamais assez, l’accompagnement de l’État est crucial pour développer une industrie. Les exemples du multimédia et de l’aéronautique au Québec, de l’automobile en Ontario et du pétrole dans l’Ouest canadien parlent d’eux-mêmes. Le choix d’Ottawa d’octroyer les contrats de construction de navires à Irving à Halifax et à Seaspan à Vancouver, au détriment du chantier de la Davie à Lévis, est déterminant pour l’avenir de cette industrie et est de très mauvais augure pour notre industrie québécoise.

Il en va de même du secteur pharmaceutique. Pendant deux décennies, le Québec a été le chef de file de ce secteur. Grâce à une action concertée de Québec et d’Ottawa, nous avions réussi à développer une véritable grappe industrielle, avec nos scientifiques, nos formations universitaires, de grandes pharmaceutiques, de nombreuses startups et du capital de risque. Notre industrie était très innovante, à l’image de ce que nous sommes.

L’essor de la grappe pharmaceutique québécoise s’expliquait par l’accompagnement de Québec et d’Ottawa; son démembrement… par l’abandon d’Ottawa !

Jusqu’en 1987, l’industrie se développe en Ontario, qui se spécialise dans le générique. La protection des brevets est quasi inexistante et les choix d’Ottawa servent les intérêts ontariens. En 1987, changement de programme. Avec les négociations de l’Accord du Lac Meech, le Québec est en position de force. Ottawa met les intérêts du Québec au premier plan pour combattre l’idée de l’indépendance.

Québec et Ottawa travaillent alors, main dans la main, pour élaborer une politique mieux adaptée à l’innovation. Le fédéral offre une meilleure protection des brevets, des investissements à risques partagés dans la recherche industrielle, et des incitatifs fiscaux en recherche et développement. Pour sa part, Québec met sur la table du capital de risque, des incitatifs fiscaux et une politique d’achat pour son système de santé, qui favorise les médicaments innovants fabriqués localement.

En quelques années, Québec attire cinq multinationales pharmaceutiques, qui ouvrent sur son territoire leurs grands laboratoires, employant près de 2 000 scientifiques. Des emplois principalement concentrés dans le Grand Montréal, mais aussi présents à Québec et Sherbrooke. Le Québec devient alors un leader mondial en innovation pharmaceutique avec des acteurs majeurs et des centaines de startups, qui gravitent autour d’eux. Une nouvelle grappe industrielle est née. Pendant que l’industrie prend de l’envergure au Québec, le générique stagne en Ontario.

Même si notre industrie demeure forte jusque dans les années 2000, son déclin annoncé s’amorce en 1995. Au lendemain de l’échec du référendum, Québec perd à nouveau de son influence au sein du Canada. Les politiques économiques du fédéral reviennent à la normale en répondant d’abord aux intérêts de l’Ontario. Le premier ministre Jean Chrétien réduit significativement la protection accordée aux brevets. Ottawa abolit le droit d'interjeter appel des décisions judiciaires relatives à la propriété intellectuelle en ce qui concerne les produits pharmaceutiques. Il est à noter que ce droit vient d’être rétabli, l’Europe ayant forcé le Canada à  le réinstaurer dans l’Accord Canada-Europe.

Par la suite, Paul Martin suspend le programme d'investissement Partenariat technologique Canada sur le partage de risques avant que Stephen Harper ne l'abolisse. À la suite de ce changement de cap de la part d’Ottawa, tous les grands laboratoires pharmaceutiques du Québec ferment leurs portes. Le seul soutien de Québec n’est pas suffisant pour maintenir la grappe industrielle, qui recommence à se déployer en Ontario avec le secteur du générique. La décision d’Ottawa de renchausser l’industrie du générique ontarienne a mené à la déstabilisation de notre modèle économique.

Il faut rappeler la grande implication de l’industrie ontarienne du générique sur le plan de la politique fédérale. Elle finance généreusement les partis libéral et conservateur. Par exemple, Barry Sherman, le président d’Apotex, géant ontarien du médicament générique, a organisé des soirées de financement pour les libéraux, dont une chez lui, où Justin Trudeau était l’orateur invité. M. Sherman est la quinzième fortune du Canada.

Ce démantèlement de notre grappe industrielle nous fait perdre une chance unique. Avec l’Accord Canada-Europe et avec l’Accord États-Unis-Mexique-Canada, le Québec est en parfaite position pour servir de pont entre l’industrie pharmaceutique européenne et le marché américain. Si notre grappe s’était maintenue, les pharmaceutiques européennes auraient vraisemblablement continué à s’implanter au Québec pour produire les médicaments destinés aux Américains. Notre grappe aurait continué à croître, tout comme notre expertise.

Mais Ottawa ne travaille pas au développement économique du Québec. En demeurant dans la fédération, le Québec voit l’ensemble de ses secteurs industriels être fragilisés et reculer. Rien d’étonnant à cela, les politiques d’Ottawa servent les intérêts de sa nation avant la nôtre.
 

Les biotechs

Des ruines de notre grappe pharmaceutique a surgi un nouveau secteur fort, les biotechnologies. Les trois quarts des nouveaux médicaments brevetés sont issus de cette filière du vivant, qu’on nomme médicaments biologiques ou biotechnologies. Montréal est spécialisé en santé humaine, Québec développe des vaccins et Sherbrooke possède une expertise particulière en biotechnologie environnementale. Ces trois branches travaillent main dans la main.

Présentement, Montréal accapare 40 % des investissements privés en capital de risque au Canada pour le secteur des biotechnologies. Notre métropole arrive aussi en première place au Canada pour le nombre de scientifiques et de publications scientifiques dans ce secteur. Signe que le meilleur est à venir, Montréal n’est encore qu’au sixième rang en Amérique du Nord pour la valeur des ventes.

Nous avons des centaines de startups, quelques gros joueurs, un grand incubateur industriel à ville Saint-Laurent et des dizaines de sous-traitants. Notre filière est spécialisée en diagnostics, tests de drogue, imagerie numérique, matériel de laboratoire, etc. Nous avons un fort maillage de l’industrie avec le milieu universitaire. Bref, nous sommes au même point pour les biotechs que nous l’étions pour le secteur pharmaceutique, au début des années 1990. Notre industrie est prête à devenir une grappe de classe mondiale.

Sur le plan politique, Québec a orchestré une concertation remarquable avec l’ensemble des acteurs. La stratégie élaborée l’an dernier vise des investissements totalisant 4 milliards $. Notre écosystème est prometteur, notre secteur des biotechnologies est prêt à prendre pleinement son envol. Mais pour y arriver, il faudrait qu’Ottawa développe aussi une politique de soutien bien arrimée à notre stratégie. Ottawa servant mal nos intérêts, ce serait étonnant. Lorsqu’il déploie sa propre stratégie, Ottawa a tendance à disperser les ressources dans une vaine tentative de développer des industries partout au Canada. Cela ne fonctionne pas et mène à un gaspillage d’argent. Pourtant, les besoins de cette nouvelle industrie sont nombreux et la seule action de Québec risque d’être insuffisante. Par exemple, Québec doit être en mesure d’accompagner la croissance de ses PME, afin d’éviter leur vente à des multinationales étrangères, faute de capital.

Il y a des coûts économiques à rester dans une fédération qui ne sert pas nos intérêts. Nous avons perdu notre grappe pharmaceutique et nous risquons de rater le bateau pour la formation d’une véritable grappe des biotechnologies. Le nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada vient de faire passer la durée des brevets des biotechs de huit à dix ans. Cela aura pour effet d’augmenter notre facture pour ces médicaments, mais pourrait en contrepartie favoriser cette grappe industrielle.

Des accords de commerce qui ne sont pas accompagnés d’une politique industrielle conséquente ne sont qu’une série d’occasions manquées. Dans le domaine des biotechnologies, le risque est de se trouver avec le pire des deux mondes : des médicaments plus chers, mais peu de retombées. C’est ce à quoi on s’expose lorsqu’on laisse le peuple d’à côté négocier à notre place.