Andrew Sheer, un Stephen Harper avec un sourire

2019/01/29 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau sert très mal les intérêts du Québec. Andrew Sheer et les conservateurs en profitent pour courtiser l’électorat québécois. C’est la même tactique que Stephen Harper avait utilisée, lors de l’élection de 2005-2006. Pour battre les libéraux, Harper promettait un « fédéralisme d’ouverture ». Après une décennie de règne conservateur, malgré les belles promesses, nous sommes aux prises avec un fédéralisme toujours plus centralisateur. Peu importe le parti au pouvoir à Ottawa, le fédéral occupe toujours plus d’espace et les besoins particuliers du Québec sont trop souvent ignorés.

Pour que la campagne de séduction des conservateurs d’Andrew Sheer à l’égard du Québec opère, il faudrait qu’ils tiennent compte des aspirations légitimes du Québec. Il n’en est rien.

Chaque semaine, au Parlement, les conservateurs demandent au gouvernement de relancer le projet de pipeline d’Énergie Est. Lorsque l’entreprise TransCanada a annoncé qu’elle suspendait le projet, le conservateur Gérald Deltell a déclaré : « C’est une journée triste pour le Canada ». Faisant fi de la résistance du Québec, il jugeait le projet « unificateur ». Son chef, Andrew Sheer, a suggéré que le fédéral use de son autorité constitutionnelle pour imposer aux provinces, dont le Québec, le passage d’oléoducs sur leur territoire.

Les conservateurs s’opposent systématiquement à toute forme de taxation du carbone, réduisant l’avantage comparatif du Québec, qui a une économie plus verte, notamment en raison d’efforts déjà réalisés.

Pour le parti conservateur, les projets de juridiction fédérale au Québec n’ont pas à respecter les lois québécoises. Les exemples sont multiples. Ne mentionnons que la poussière rouge émise dans le port de Québec ou encore les aéroports implantés sur des terres agricoles.

Andrew Sheer et son parti s’opposent systématiquement à l’exigence du bilinguisme pour les juges de la Cour suprême. Un juge unilingue anglais est acceptable.

Quand il s’est agi de répliquer au Québec bashing du Washington Post, accusant le Québec d’être une société fermée et raciste, les conservateurs ont exprimé haut et fort leur opposition à une motion condamnant ces propos. Le député conservateur Bernard Généreux a déclaré à la presse : « Moi, j’ai dit non, mais pas fort ». Faut le faire !

Est-il besoin de rappeler que ce sont les conservateurs qui ont écarté le chantier maritime de Lévis des contrats de plusieurs milliards pour la construction de navires canadiens, lui préférant les chantiers de Irving à Halifax – qui en a profité pour se doter d’installations flambant neuves – et de Seaspan à Vancouver?

Avons-nous oublié que les brèches dans la gestion de l’offre en agriculture, concédées comme monnaie d’échange dans l’Accord Canada-Europe et le Partenariat transpacifique, et qui touchent si durement les agriculteurs québécois, sont l’œuvre des conservateurs?

Faudrait-il effacer de l’ardoise la part de nos impôts fédéraux dans les neuf milliards de dollars engloutis dans fiasco financier de Muskrat Falls, avec la complicité des libéraux et des néo-démocrates, pour un projet de centrale hydroélectrique du gouvernement terre-neuvien qui va concurrencer les exportations d’Hydro-Québec ?

Qui d’autre que les conservateurs ont le plus pénalisé les travailleurs saisonniers avec leur réforme de l’assurance-emploi en les obligeant, entre autres, à accepter un emploi à 100 km de leur résidence? Avons-nous la mémoire assez courte pour accepter de passer sous le tapis leur offensive antisyndicale?

Ne soyons pas dupes ! Remplacer les libéraux par les conservateurs, c’est changer un bonnet blanc par un blanc bonnet.

Examinons d’un peu plus près la principale promesse qu’Andrew Sheer aux Québécois : un rapport d’impôt unique, géré par le gouvernement du Québec. La demande du Québec n’est pas nouvelle. Mais elle est toujours restée lettre morte.

Déjà, en 2004, le ministre libéral québécois Yves Séguin déclarait qu’ « il n'y a pas de raison pour qu'on maintienne en concurrence deux systèmes de perception. La vraie administration fiscale la plus installée au Québec, c'est Revenu Québec ».

Quinze ans plus tard, dont dix années de supposé « fédéralisme d’ouverture » des conservateurs, où en sommes-nous? Au même point. Dans l’opposition, les conservateurs sont passés maîtres dans l’art de dire le contraire de ce qu’ils font lorsqu’ils sont au pouvoir.

Expliquons pourquoi les partis fédéralistes ne répondront jamais positivement à cette demande. Si Ottawa laissait à Québec le pouvoir d’administrer l’impôt, il lui laisserait par le fait même le pouvoir de lutter contre les paradis fiscaux.

Pour ce faire, il faut avoir accès aux renseignements fiscaux des contribuables. L'État ne peut imposer des revenus dont il ignore l'existence. En fiscalité internationale, cela passe par les traités fiscaux et les accords de partage de renseignements. Or, ces traités, signés par Ottawa, interdisent aux pays étrangers de partager des renseignements avec d’autres partenaires que le gouvernement fédéral. Les seuls renseignements qu'ils peuvent divulguer sont ceux qui permettent d'appliquer la loi fédérale de l'impôt. C’est la raison pour laquelle le régime fiscal du Québec doit être calqué sur le régime fédéral. Le jour où la loi québécoise dérogerait de celle d’Ottawa, le gouvernement du Québec n'aurait plus accès à l'information et ne pourrait pas appliquer ses dispositions.

Un rapport d'impôt unique géré par Québec nécessiterait qu’Ottawa informe les pays étrangers, incluant les paradis fiscaux, qu'ils doivent partager les renseignements fiscaux avec le gouvernement du Québec.

Jamais les banques torontoises ne le permettront.  Et, malheureusement, elles pèsent pas mal plus lourd que le Québec au complet dans les décisions qui se prennent à Ottawa. Les banques de Bay Street mettront tout en œuvre pour que le projet déraille. Elles sont parmi les plus importantes utilisatrices de paradis fiscaux au monde. À titre illustratif, il y a trois ans, le FMI révélait que 80 % de tous les actifs bancaires à la Barbade, à la Grenade et aux Bahamas sont détenus par trois d’entre elles: la Royale, la Scotia et la CIBC.

Si les libéraux sont proactifs dans l’utilisation légale des paradis fiscaux, les conservateurs le sont tout autant. En 2009, les conservateurs ont modifié en catimini la loi de l’impôt pour rendre légale l’utilisation de 22 paradis fiscaux. Le Canada autorise aujourd’hui 25 paradis fiscaux. Qui peut sérieusement penser que les conservateurs vont lutter contre l’évitement fiscal !

Un rapport d’impôt unique géré par le gouvernement du Québec? Cette promesse conservatrice ne se concrétisera vraisemblablement jamais.

Les conservateurs croient pouvoir faire des gains au Québec, en misant sur le phénomène de l’alternance. Ils croient que l’électorat ne vote pas tant pour un parti que contre le gouvernement en place lorsqu’il déçoit. Croire que les conservateurs représentent l’alternance, c’est miser un Québec amnésique, ayant oublié le règne des conservateurs. Que le chef des conservateurs, Andrew Sheer, se définisse comme un « Stephen Harper avec un sourire » devrait nous rafraîchir la mémoire.