La résurrection partitionniste anglo-montréalaise

2019/04/24 | Par Frédéric Lacroix

Le gouvernement du Québec a présenté son projet de loi portant sur la laïcité le 21 mars. Et hop!, quelques jours plus tard, le Conseil des commissaires de la English Montreal School Board (EMSB) votait une résolution affirmant qu’elle « n’entend pas appliquer les dispositions du projet de loi sur les signes religieux ». La plus grosse Commission scolaire anglophone annonçait tout bonnement qu’elle allait contrevenir à une loi du gouvernement du Québec. La Presse du 3 avril nous montrait une photo d’enseignantes de la EMSB manifestant contre le projet de loi devant une école. L’une d’elles brandit une pancarte dont tout le texte est en anglais, sauf pour deux mots: « SUIVÉ-MOIS» (sic). Deux fautes en deux mots. Ce massacre de la langue française, quand on daigne la parler bien sûr, par les opposants à la loi n’est pas fortuit.

Avec ce projet de loi sur la laïcité, le partitionnisme anglo-montréalais va vivre une de ses résurrections épisodiques. Ce mouvement a connu ses heures de gloire lors de l’adoption de la loi 101 du Parti Québécois le 26 août 1977 et à la suite du référendum de 1995. Rappelons qu’entre 1967 et 1977, le Québec a vécu, selon Guy Rocher, une « grande crise linguistique, la plus grave de son histoire ». L’Union Nationale (UN) fit voter en 1969 la loi 63, la « loi pour promouvoir la langue française au Québec », loi qui vint, dans les faits, consacrer le statu quo et le libre-choix de la langue d’enseignement. Il faudra l’élection du Parti Québécois en 1976 et la loi 101 pour régler la question.

Les commissions scolaires anglophones sont actives depuis longtemps pour torpiller les lois québécoises qui ne font pas leur affaire. Voici quelques extraits de ce que l’on écrivait à leur propos en 1977 dans Le Devoir : « Offensive des responsables anglophones contre la loi 101 : les commissions scolaires anglophones déclarent qu’elles n’obéiront pas aux dispositions sur la langue d’enseignement »; « Le Protestant School Board of Greater Montreal (PSBGM) affirme que la loi 101 est ultra vires et l’inscription d’aucun élève ne sera refusée »; « La Commission scolaire du Lakeshore contestera la loi 101 en Cour suprême »; « La PSBGM et Lakeshore songent à recourir à des souscriptions afin de défrayer les frais pour les enfants inscrits illégalement ».

De plus, rappelons que la EMSB est visée depuis 2016 par une enquête de l’UPAC (encore une enquête qui ne débouche pas !). Pour comprendre le contexte, il faut remonter à 2009. Cette année-là, le PLQ met en place le « Programme de l’expérience québécoise » afin d’offrir la citoyenneté canadienne, clé en main, aux étudiants internationaux complétant leur diplôme dans une université québécoise. Le ministère de l’Immigration écrivait noir sur blanc dans ses présentations sur les campus anglophones de Montréal qu’il n’y avait pas de grille de sélection ni d’entrevues dans ce programme ! Le rôle de la EMSB semble avoir été de remettre des diplômes de complaisance pour des cours de français bidons, diplômes qui ne sanctionnaient pas un apprentissage réel de la langue, mais qui permettaient aux non-francophones de déposer un dossier d’immigration au Québec.

Dans les années postérieures à 1977, Ottawa a pris le relais des commissions scolaires dans la contestation de la loi 101. Comme Trudeau père ne voulait pas avoir recours au pouvoir de désaveu du fédéral, ce qui aurait sans doute mené à une crise susceptible de servir de tremplin à l’indépendance du Québec, il a plutôt mis en branle son projet de rapatriement de la constitution canadienne, en y annexant une Charte des droits taillée sur mesure pour émasculer la loi 101.

En 2006, la Cour suprême du Canada infirmait une décision de la Cour d’appel du Québec qui interdisait le port du Kirpan dans les écoles. Avec ce jugement, la Cour suprême décrétait que les « droits religieux » étaient plus importants que les autres droits. La Cour suprême rendait ainsi une décision conforme au préambule de la constitution canadienne de 1982, qui se lit ainsi : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu » (notons que seule la version anglaise de la constitution a valeur juridique, et encore là, ce n’est pas fortuit). La crise des accommodements était lancée. Le PLQ a présenté en 2017 le projet de loi 62, loi qui, comme la loi 63 de l’Union Nationale, consacrait le statu quo.

L’actuel projet de loi 21 de la CAQ est un projet de loi républicain qui propose, pour la première fois, la mise en place explicite d’une véritable laïcité (bien que partielle). Il postule implicitement que les droits religieux ne sont pas toujours supérieurs aux autres droits. Ceci est inacceptable pour Ottawa. On touche ici au cœur du problème : pour une bonne partie des Anglo-Montréalais, le gouvernement du Québec est illégitime quand il prétend faire autre chose que gérer l’intendance. Leur vrai gouvernement, c’est Ottawa. Il n’est pas étonnant que les commissions scolaires servent de bases à la contestation, car elles sont une forme de gouvernement local (avec pouvoir délégué cependant).

On peut prévoir que, dans le cas de la laïcité comme pour celui de la Charte de la langue française, le travail de sape d’Ottawa sera sans fin, mené avec une détermination hargneuse et tous les moyens dont dispose l’appareil fédéral. Rappelons-nous que depuis l’adoption de la loi 101, Ottawa a travaillé sans relâche pour la détruire morceau par morceau, rapatriant même la constitution pour y parvenir. Un exemple ? En 2008, le juge Hilton, dans un jugement unilingue anglophone, a fait sauter la loi 104, qui interdisait l’utilisation des « écoles passerelles » pour donner accès au système public anglophone. Une contestation à laquelle les commissions scolaires anglophones ont contribué financièrement.

Même si Ottawa n’utilise pas son pouvoir de désaveu, il faut comprendre que l’utilisation de la clause de dérogation ou clause nonobstant, annoncée par François Legault, ne met une future loi sur la laïcité en sécurité que pour cinq ans, après quoi la loi doit être votée à nouveau. Cela signifie que la laïcité risque de tomber dès qu’un parti multiculturaliste (PLQ, QS) ou une coalition de ces partis (si un régime proportionnel est mis en place) prendra le pouvoir. La laïcité, comme le français langue commune, ne sera jamais un acquis tant que nous serons dans le Canada. Gaston Miron disait : « Tant que la souveraineté n’est pas faite, tout peut être remis en question ». La seule façon pour le Québec de se mettre à l’abri de l’ingérence d’Ottawa est de réaliser l’indépendance.

 

Photo : Le Devoir – Jacques Nadeau