Revue de presse

2019/05/24 | Par Pierre Dubuc

Comment « pas de baseball et une ligne rose » est devenu « du baseball et pas de ligne rose »

Au moment où Luc Ferrandez démissionnait de son poste de maire du Plateau, claquait la porte de l’administration Plante et quittait la vie politique, la société d’investissements Claridge, propriété de Stephen Bronfman, et le promoteur immobilier Devinco annonçaient une entente au sujet du développement de l'immense terrain au Bassin Peel où le Groupe de Montréal souhaite ériger le stade des Expos de Montréal 2.0.

Rappelons que, comme par hasard, Stephen Bronfman, par l’intermédiaire de sa société d’investissement Claridge, a investi des millions de dollars dans le projet de 1600 copropriétés Les Bassins du Nouveau Havre dans le secteur Griffintown, adjacent au Bassin Peel, et dans le développement de l’îlot Le Séville, un ensemble résidentiel de 450 appartements en copropriété sur la rue Ste-Catherine Ouest, pas très loin non plus du Bassin Peel !

Le terrain convoité du Bassin Peel est la propriété d’une société de la Couronne, la Société immobilière du Canada. Stephen Bronfman est un ami intime de Justin Trudeau, qui l’avait recruté, en 2013, pour financer sa course à la direction du Parti Libéral. Bronfman a rapidement recueilli 2 millions $, ce qui lui a valu d’être nommé, par la suite, à la tête du comité chargé des finances du Parti Libéral fédéral.

Luc Ferrandez justifiait ainsi sa démission : « Incapable d’influencer la mairesse (ainsi que le président du comité exécutif et les membres du comité exécutif) sur la gravité de la situation et des mesures qui s’imposent, je choisis de ne pas rester dans cette équipe ».

Il faut croire que Stephen Bronfman a plus de succès auprès de la mairesse. Valérie Plante a été élue sur la base d’un programme dont deux des éléments majeurs étaient la construction de la ligne rose du métro et son opposition à la construction d’un stade de baseball pour les Expos.

Aujourd’hui, elle est incapable de convaincre le ministre François Bonnardel et la CAQ de la pertinence de la ligne rose et elle se montrait « enthousiaste » devant la perspective du retour des Expos. Selon Radio-Canada (22 mars 2019), elle se disait en attente du plan d’affaires du groupe dirigé par Stephen Bronfman. « C’est ce que je leur demande pour nous aider à nous préparer et être prêts le jour où, admettons qu’on dise : ‘‘oui, c’est le bassin Peel, il y aura un stade’’ ».

Luc Ferrandez disait vouloir forcer, par sa démission, Projet Montréal « à regagner la confiance de l’électorat ». Pour mobiliser la population montréalaise, il faudra révéler au grand jour les intérêts financiers et immobiliers occultes qui prennent réellement les décisions à Montréal. Luc Ferrandez pourrait jouer un rôle important à cet égard.

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New York – Hydro-Québec : Ne pas vendre les kilowatts avant

Les commentateurs politiques ont noté que le président d’Hydro-Québec n’avait pas accompagné le premier ministre François Legault lors de sa rencontre avec les autorités new-yorkaises. Par la suite, ils ont interrogé les talents de négociateur de Legault lorsqu’il a déclaré que toute vente d’électricité supérieure à zéro cent était une bonne affaire, étant donné les surplus d’Hydro-Québec.

En fait, Legault craint peut-être que la déclaration publique du maire Di Blasio, du mois d’avril dernier, exprimant l’intérêt de son administration à relancer des discussions pour mener à un contrat d’approvisionnement ferme de plus de cinq térawattheures dans le cadre de son « Green New Deal », ne soit qu’un élément de propagande dans sa campagne pour l’investiture du Parti démocrate pour les prochaines élections présidentielles.

Tout comme il est possible que ce ne soit qu’une manœuvre pour négocier un meilleur prix pour l’achat de gaz naturel auprès de fournisseurs américains. Avec l’explosion de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis, l’hydro-électricité fait face à une dure concurrence. D’où la surenchère de Legault avec une vente d’électricité supérieure à zéro cent qui serait une bonne affaire. Donc, on négocie… Et il ne faudrait pas comptabiliser trop tôt dans la colonne des revenus d’Hydro-Québec, la vente d’électricité à la Grosse Pomme.

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Au Collège Dawson, 250 000 $ ça change le monde…

Dans le reportage sur les Instituts Confucius, publié, le 22 mai, sur le site de Radio-Canada (« L’éducation, nouveau champ d’influence de la Chine au Canada »), le journaliste Frank Desoer cite le directeur du collège anglophone Dawson de Montréal, Richard Filion, qui remet en question l’universalité des droits humains.

« Les droits humains tels qu’on les a proclamés en 1949 après la Deuxième Grande Guerre sont considérés comme universels. Mais est-ce qu’il n'y a pas là une forme d’impérialisme? », se demande M. Filion, dans une forme interrogative qui invite à croire qu’il y répond positivement.

Il ajoute « On parle de Tiananmen, des Ouïgours, des camps de rééducation, du Tibet… Toute société a ses vertus et ses vices. Les nôtres ne sont pas à ce point exemplaires qu’on puisse prétendre être des modèles universels ».

Bien qu’il affirme n’avoir jamais été au fait de cas de censure à l’Institut Confucius sur le campus de Dawson, Richard Filion, raconte, « assis à son bureau où trônent plusieurs objets d’art chinois », relate le journaliste, qu’il dit comprendre, même s’il ne l’approuve pas, la volonté des autorités chinoises d’imposer un code de pensée et de conduite très strict. « Il faut savoir relativiser les choses », déclare-t-il.

Il ne pouvait pas si bien dire. Nous nageons en plein relativisme culturel. Celui de M. Filion n’est sans doute pas étranger au fait que le collège Dawson, qui compte plus de 10 000 étudiants (dont une majorité de francophones et d'allophones), abrite sous la bannière d’un Institut Confucius la plus grande école de langue chinoise au pays et qu’à ce titre le gouvernement chinois lui verse environ 250 000 $ par année.

La Chine n’est pas la seule à contester l’universalité de la Déclaration des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948. À l’époque, l’Arabie saoudite s’est abstenue parce qu’elle s’opposait à liberté de religion et à l’égalité entre les hommes et les femmes.

En 1990, les 57 pays de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) ont adopté une Déclaration des droits de l’homme en islam qui ne reconnaît que les droits et libertés conformes à la charia. Chaque année, ces pays présentent des résolutions devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU pour faire reconnaître le concept de « diffamation des religions » dans le but exprès de criminaliser le blasphème et de l’inscrire dans le droit international.

Cette démarche a eu des échos au Québec. En 2011, Montréal a été l’hôte de la Deuxième conférence des religions, organisée par les universités McGill et de Montréal. Elle avait pour but « de reformuler la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 ».

S’opposer à une telle reformulation serait, si on suit le raisonnement de M. Filion, une « forme d’impérialisme » ! Et, si tel est l’enseignement qu’on dispense dans le plus gros cégep du Québec, il n’est pas étonnant qu’une bonne partie de la jeunesse montréalaise s’oppose à la loi no. 21 sur la laïcité de l’État.

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La carte chinoise dans la manche du Québec

Lors de son voyage à Washington, le Premier ministre du Québec a invité les États-Unis à venir exploiter les minéraux, et plus particulièrement les terres rares, du Québec. Aujourd’hui, la Chine produit plus de 90 % des terres rares de la planète, un ensemble de 17 métaux essentiels aux technologies de pointe que l’on retrouve dans les téléphones intelligents, les écrans plasma, les véhicules électriques, mais aussi dans l’armement. Les terres rares sont d’une grande importance stratégique et constituent l’arme secrète de la Chine dans son rapport de force face aux États-Unis.

Pendant que le Québec s’offre comme alternative à la Chine pour les terres rares, le Canada est l’objet de multiples décisions de l’administration Trump, qui ont pour effet d’envenimer ses relations avec la Chine. Il y a eu l’inclusion d’une clause dans la nouvelle version de l’ALENA qui bloque, pratiquement, l’adoption d’un traité de libre-échange entre le Canada et la Chine.

Puis, il y a les pressions de Washington pour que le Canada bannisse Huawei dans l’implantation de la technologie 5G et la demande d’extradition de Mme Meng Wanzhoo, la fille de son fondateur de Huawei.

Cette semaine, le sénateur démocrate américain Mark Warner, vice-président du comité du Sénat sur le renseignement, a demandé au Canada de dénoncer plus fermement le sort réservé aux Ouïghours en Chine. Des pressions sont aussi exercées sur le Canada par des organismes proaméricains comme Human Rights Watch pour qu’il utilise les dispositions de la loi Magnitsky afin de sanctionner des représentants du gouvernement chinois, comme Ottawa l’a fait à l’égard de la Russie après l’occupation de la Crimée.

La Chine a riposté en emprisonnant deux ressortissants canadiens accusés d’espionnage, mais aussi par des mesures économiques. Beijing a mis fin aux importations de canola canadien, privant les producteurs de l’Ouest du pays de revenus de près de 3 milliards de dollars.

En fait, la détérioration des relations entre le Canada et la Chine, orchestrée par Washington, frappe surtout l’Ouest du pays et des entreprises reconnues pour leurs associations avec le Parti Libéral. Ainsi, il en coûterait près d’un milliard de dollars à Bell et Telus pour mettre fin et remplacer leur recours à la technologie Huawei.

Le jeu triangulaire Québec-Canada-États-Unis n’est pas nouveau. En 1962, Québec s’était tourné vers Boston pour financer la nationalisation de l’électricité et contourner l’opposition des intérêts canadiens-anglais de la rue Saint-Jacques. Au début des années 1980, Washington avait appuyé la juridiction de l’Alberta, du Québec et des provinces sur les ressources naturelles contre le Nouvelle Politique Économique (NEP) de Trudeau père. Après le rejet de l’offre d’un nouveau partenariat Québec-Canada, tel que formulé dans le Livre blanc sur la souveraineté-association du gouvernement de René Lévesque, le Québec a tourné le dos à l’Ontario et s’est prononcé pour le libre-échange avec les États-Unis.

Qu’en sera-t-il cette fois-ci, alors que la triangulaire s’inscrit dans un cadre international? À suivre…

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La campagne européenne bien particulière de Steve Bannon

Des responsables politiques français ont réclamé l’ouverture d’une enquête parlementaire de l’Assemblée nationale française contre le Ralliement national (RN), le parti de Marine Le Pen, pour « intelligence avec une puissance étrangère ». Pour appuyer leur demande, ils font référence à un extrait du film The Brink d’Alison Klayman consacré à Steve Bannon (Le film était récemment à l’affiche au cinéma du Parc).

Dans cet extrait, Steve Bannon rencontre, dans un chic hôtel londonien, Louis Aliot, compagnon de Marine Le Pen et numéro deux du RN, et Jérôme Rivière, responsable des questions internationales du même parti.

On voit Rivière proposer à Bannon de participer à des réunions secrètes « avec Marine et des gens qui veulent rester anonymes, des ambassadeurs, des préfets, de gens vraiment au cœur du gouvernement qui nous soutiennent, mais ne veulent pas être reconnus publiquement ».

Bien entendu, on n’a pas manqué de faire le lien avec la vidéo démontrant le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache en train de discuter ouvertement avec la fille d’un oligarque russe de la possibilité d’échanger l’octroi de contrats publics contre le financement secret de son parti.

Mais, contrairement à la vidéo autrichienne, la réunion entre Bannon et les représentants du FN n’a pas été filmée à leur insu ! La cinéaste ne cache pas sa présence. Elle a d’ailleurs filmé plusieurs autres rencontres « discrètes » de Bannon avec des représentants de différents partis européens d’extrême droite, avec l’autorisation de Bannon ! Que le film sorte en salle à la veille de l’élection européenne n’est sûrement pas au hasard, tout comme l’arrivée très médiatisée, cette semaine, de Bannon dans une suite à 2 500 euros la nuit à l’hôtel Bristol de Paris.

L’ancien directeur de campagne de Donald Trump ne cache pas son intention de fédérer les populistes européens, sous le thème central de leur opposition à l’immigration et, plus particulièrement, à l’islam. Il a créé à cet effet une organisation politique sous le nom The Movement. Il vient d’acheter un monastère en Italie pour le transformer en université populiste et y former des cadres. Chose certaine, Bannon ne manque pas de fonds. Dans The Brink, un de ses principaux associés est un ancien vice-président de Goldman Sachs et le film se termine par l’annonce d’un don de 100 millions de dollars d’un mécène à The Movement.

Bannon déclare préparer une « révolution mondiale »… avec la complicité des médias. « Plus vous obsédez les médias, plus ils deviennent votre meilleur allié », affirme-t-il. D’où la présence « contrôlée » de la cinéaste Alison Klayman et la présence médiatisée de Bannon à Paris la veille de l’élection européenne.