Jean-Claude Labrecque fait revivre le tournage de 1934 de Maria Chapdelaine

2019/06/03 | Par Ginette Leroux

Il y a vingt ans, alors qu’il travaillait en France comme assistant caméraman, le hasard l’a conduit dans un petit restaurant aux environs de Paris. Sur les murs étaient accrochées quarante photos du tournage de « Maria Chapdelaine », un film réalisé en 1934 par le français Julien Duvivier.

Ce film, il l’avait vu à New York dans les années 1960. Fortement touché, il s’était promis d’y revenir un jour. À l’époque, l’assistant caméraman était courtisé par les producteurs américains, comme c’est le cas pour nos talentueux caméramans actuels.

Cette rencontre inspirante fut le point de départ de l’aventure cinématographique de Jean-Claude Labrecque qui, au cours des cinquante dernières années, a réalisé plus de quarante films documentaires et de fiction. « Ça m’a donné le goût de rester chez nous et de travailler pour les gens de chez nous », me confie le réalisateur qui a reçu l’aut’journal dans son appartement, offrant une vue imprenable sur un mont Royal enneigé, un après-midi de février.

À Colette Loumède, productrice de l’ONF, à qui l’idée souriait, il affirme être prêt à tourner. Depuis le temps que le scénario lui trottait dans la tête. L’organisme public qui avait prévu, au départ, un film de 20 minutes, a su s’adapter aux volontés du documentariste chevronné. Du court, il passait au long métrage.

La recherche débute en 2013. Il sollicite d’abord les fonds d’archives françaises. La déception est immédiate, car peu de matériel a été sauvé à la suite de la Seconde Guerre mondiale, sans compter que d’autres producteurs étaient passés avant lui. Il reste cependant de nombreux négatifs dont il tirera des copies.

Il frappe ensuite aux portes des maisons de Péribonka. Les gens ont collaboré avec ce « quêteux » intéressé aux albums de famille à la recherche de photos anciennes rappelant le passage de l’équipe française au village, quatre-vingts ans après l’événement.

« Oui, mais le film, papa ? », s’écrie un enfant voyant son père et Labrecque en train de feuilleter un album d’époque. Il grimpe au grenier et redescend avec, dans les mains, quatre bobines de films de 16mm.

Une trouvaille extraordinaire. Le photographe J. E. Chabot avait fixé sur pellicule le tournage de « Maria Chapdelaine ». Chabot ne s’était pas contenté de filmer, mais il avait saisi, dans son appareil photo, les Péribonkois qui « se mettaient beaux pour figurer dans le film ».

« C’était comme de trouver une bobine de Louis Lumière », dit Labrecque qui, en plus d’avoir donné une deuxième vie au travail du metteur en scène français, s’est fait un devoir d’insérer dans son documentaire toutes les séquences restaurées du photographe de Dolbeau.

Après les photos et le film de l’époque, Labrecque rend visite à deux témoins privilégiés à qui il donne la parole. « J’avais 11 ans dans le temps. On partait du magasin général de Péribonka. Il fallait marcher sur le trottoir vers l’église », se rappelle Jacques Dionne. « Ne regardez pas la caméra, sinon je vais me mettre à gueuler, nous disait monsieur Duvivier », ajoute en riant le vieil homme qui, en 1934, avait accepté de figurer dans le film du cinéaste français.

Fleurette Dionne, une vieille dame douce comme une brise d’été, assise aux côtés de son frère, en garde elle aussi de très bons souvenirs. « Un événement extraordinaire dans un petit village », dit celle qui a vu, de ses yeux, Madeleine Renaud et Jean Gabin, jouer les rôles principaux. L’équipe de tournage et le matériel cinématographique, facilement accessibles aux gens du cru, avaient aussi beaucoup impressionné les villageois.

Dans tous ses films, sa caméra reste à hauteur d’hommes, proche des gens. Au fond, Jean-Claude Labrecque est un amoureux des gens. Il aime saisir sur le vif, sans artifices, la fibre qui les unit à la vie et à l’histoire : le cours de son œuvre cinématographique.

Pourquoi avoir choisi le « Maria Chapdelaine » de Duvivier plutôt que celui de Marc Allégret (1950) ou plus près de nous, celui de Gilles Carle, réalisé en 1983 ?, lui ai-je demandé. Le plus simplement du monde, il me répond que « le meilleur, le plus authentique et le plus touchant des trois reste celui de Duvivier ».

Ce film montre bien le travail de nos arrière-arrière-grands-parents qui ont travaillé dur pour défricher ce beau coin de pays. « À la campagne, il faut vivre en harmonie avec le voisin ou avec la parenté, car, en cas de besoin, tu peux compter sur eux », explique le natif du quartier ouvrier de Limoilou.

« Cette entraide se voyait à Québec, mais elle demeure encore plus solide à Péribonka où le clan constitue le ciment de la société, poursuit-il. À force de bras, de force, de sacrifices, ils ont construit un pays. Encore aujourd’hui, cette valeur est très présente. »

Amené par la productrice Colette Loumède, Nicolas Lévesque, jeune documentariste talentueux de Roberval, se lance à son tour sur le terrain déjà occupé par Julien Duvivier et Jean-Claude Labrecque. Il a pour mandat de filmer le « maître » québécois en action.

Une première pour le réalisateur d’expérience qui, à première vue, n’était pas très enthousiaste à l’idée « Au départ, ça me gênait, mais comme il était très discret, il ne m’a pas dérangé. Je l’ai laissé faire son travail », souligne un Labrecque souriant.

Ce n’est qu’au montage que son œil exercé de caméraman a compris que les séquences tournées par Nicolas cadraient complètement, attiré par l’effet de miroir que lui renvoyait la caméra de l’autre braquée sur lui.

Nicolas Lévesque, qui n’a pas participé au montage, ne sait pas encore que son travail a été retenu. Parions qu’il sera très heureux du résultat.